Article par Erik Österlund PI 5062B SE-69400 Hallsberg, Sweden |
Le monde apicole aspire à une abeille tolérante à Varroa. Et la recherche n’arrête pas. On a de bons articles à cet égard. Nous savons aussi qu’il existe des lignées d’Apis mellifera qui peuvent vivre avec Varroa jacobsoni sans trop de problème. D’après plusieurs rapports, l’Apis m. capensis peut le faire. L’Apis m. scutellata en Amérique du Sud peut aussi se débrouiller1. L’Apis m. lamarckii, d’Afrique du Nord, en est une troisième2. Récemment nous avons lu un article qui rapporte que la nord-africaine Apis m. intermissa peut développer une certaine résistance.
Plusieurs projets d’élevage concernant des abeilles résistantes aux acariens sont en cours. On a publié des articles sur des lignées de Carnioliennes avec des signes de résistance en Yougoslavie.
On a certains espoirs que les lignées africaines possèdent en commun des caractères qui font montre d’une certaine résistance aux Varroas. Un trait intéressant à cet égard semble être un taux élevé d’infertilité des femelles Varroa dans le couvain d’ouvrière. Cela pourrait indiquer une biochimie un peu différente dans le liquide corporel des larves d’abeille ou une différence dans le temps de maturation de ce couvain.
Jusqu’ici (1991) on n’a trouvé aucun Varroa en Suède continentale. Cependant, sur Gotland une île de la mer baltique, le Varroa cause de grave problèmes aux apiculteurs. Et il n’en est que quelques-uns pour croire que nous ne l’aurons pas sur le continent. Cette île (Gotland) est le seul territoire suédois où ont émigré les Varroas. Par certains côtés, nous avons de la chance. Nous avons la possibilité d’étudier l’apiculture « avec » les acariens dans les conditions que nous pouvons nous-mêmes fixer. Notre but était d’essayer de n’employer que des méthodes « biologiques » et des « acides organiques » comme l’acide formique. Ingemar Fries de l’Université agronomique de Uppsala (SLU) avait dirigé ce travail. En bref, il est possible d’utiliser ces méthodes « normales » sans aucune perte de rendement. Mais elles exigent pas mal de travail. Récemment les autorités ont permis l’usage du Perizin (coumaphos) aux apiculteurs du Gotland moyennant une formation.
Naturellement, il y a aussi en Suède des apiculteurs qui envisagent la possibilité de trouver une bonne lignée commerciale qui serait résistante à « ce » parasite. Il y a eu pas mal d’articles prétendant les possibilités de trouver une abeille résistante parmi les races élevées en Europe. La lignée Yougoslave pourrait être une exception. Pourtant, la philosophie du Frère Adam est bien que l’on ne peut élever et sélectionner pour un caractère qui n’existe pas dans une lignée. Il faut l’obtenir d’une autre lignée et l’incorporer dans la vôtre. C’est cette philosophie qui l’a rendu célèbre partout dans le monde. Pourquoi ne pas essayer de l’appliquer dans ce cas aussi ?
Puisque l’A.m. scutellata montre çà et là des variations dans son tempérament irascible, on pourrait imaginer la possibilité d’une sélection vers un tempérament plus calme. Il pourrait même être plus aisé de lui introduire des gènes « calmes » à partir de A.m. ligustica, par exemple, par croisement suivi de sélection. Cette possibilité est bien confirmée par les travaux de Bob et Barry Meise, travaux parus dans le American Bee Journal (ABJ).
Mais s’il existe une lignée africaine avec un bon niveau de tolérance à Varroa, et relativement douce et calme, il serait, bien entendu, plus facile de réussir avec succès ce croisement-sélection. La monticola en Afrique Apis mellifera monticola est, selon la littérature, une sous-espèce sélectionnée naturellement dans les forêts tropicales des montagnes de l’Afrique de l’Est, vivant à des altitudes de 2 000–3 000 m. La température moyenne annuelle de cette zone est de l’ordre de 11°C. Notre connaissance des monts du Kenya nous donnent l’impression que c’est correct, au moins pour les plus hautes altitudes couvertes de forêts tropicales. Un brouillard dense et des nuages bas couvrent souvent ce type de zone avec très probablement de longues périodes sans activité de vol valable6, 7. On a décrit ces abeilles de taille moyenne et plus grandes que toutes les autres races de l’Afrique tropicale6. De plus cette race monticola est relativement douce en comparaison avec les autres abeilles africaines8, 9.
La monticola est une abeille dont on ignore les caractéristiques et l’étendue de la population. Elle a été complètement isolée dans des niches montagneuses, entourée par l’A.m. scutellata — probablement à l’origine de l’abeille africanisée (AHB) d’Amérique du Sud. Son isolement est dû à des facteurs écologiques. Elle vit à des altitudes plus élevées et est « très probablement » protégée par la zone des forêts tropicales et son climat plus rude. Précédemment, des observations indiquaient que les métissages entre la monticola et la scutellata étaient rares et clairsemés. Et par conséquent, qu’il s’agirait aussi d’un isolement « reproducteur », dû peut-être à des différences de comportement d’accouplement. Tout ceci est peut-être correct, mais nous avons observé plusieurs colonies que nous pourrions déclarer « métisses » par leur couleur, taille et agressivité. Cependant, nous avons vu également, particulièrement sur le Mt Kenya, des colonies que nous avons jugées être de très pures monticola, qui coexistaient, dans le même rucher, avec des colonies que nous pourrions appeler scutellata au vu de leur couleur et agressivité. Les différentes populations de monticola que l’on a pu observer sont probablement les restes d’une population plus importante formant un unique groupe pendant la dernière glaciation et qui furent séparées l’une de l’autre il y a quelques milliers d’années10.
En 1987, le Frère Adam recherchait la patrie de la A.m. monticola en Tanzanie. Inspiré par ses résultats, une nouvelle expédition a été préparée pour mars 1989 — cette fois vers le Kenya. L’un des quatre membre de cette expédition, Erik Björklund, secrétaire de l’association suédoise d’apiculture, avait de bons contacts sur le Mt Elgon et au Kenya occidental. Le hollandais Michael van der Zee avait de bons contacts autour du Mt Kenya et l’expérience du safari précédent, effectué en Tanzanie en 1987. Bert Thrybom de Suède est médecin — très intéressant à avoir à portée de main — expérimenté en élevage apicole et pratiquant l’insémination instrumentale. Enfin, Erik Österlund est rédacteur du journal apicole « Bitidnigen », sélectionneur avec 200 colonies.
Début mars, nous sommes arrivés à l’aéroport de Nairobi. Le Kenya que nous découvrions était un beau pays à la population agréable. Nous avons loué une LandRover bon marché des années 50. La « Old Lady », comme nous l’avions appelée, nous a transportés par les combes pierreuses vers les hauteurs de la forêt tropicale jusqu’à 3 500 m sur le Mt Elgon ; et à travers 50 cm de boues sur des km en route pour le Mt Kenya ; et jusqu’à 4 000 m et ensuite le retour à Nairobi. Evidemment, les pneus ont attendu pour crever que nous soyions au cœur du parc naturel « Wild Life Park » parmi les animaux sauvages. Notre but au Kenya n’était aucunement de faire des observations scientifiques, mais simplement de chercher des colonies d’abeilles particulières et de rapporter des œufs et du sperme d’A.m. monticola en Suède pour y faire de l’élevage.
Ce genre de voyage est loin d’être un mini-trip de vacances. C’est un dur labeur et il est parfois dangereux. Un moment fut pour nous une fraction d’éternité que probablement jamais nous n’oublierons. Nous descendions les pentes supérieures du Mt Elgon. La pluie de l’après-midi avait transformé le sol rouge en boue aussi glissante que du savon. Nous étions douze sur la « Old Lady », surchargée, y compris nos quatre gardes armés. Les roues ont perdu leur adhérence et la « Lady » glissa lentement vers un ravin profond d’une vingtaine de mètres. Silence complet à bord. On n’entendait que le bruit du moteur et de la pluie. A la dernière seconde, notre « Ange Gardien » orienta les roues dans la bonne direction. Dieu soit loué.
Il est difficile de choisir la bonne saison pour une tâche comme la nôtre. Notre intention était de disposer d’une saison complète en Suède pour utiliser le matériel que nous allions y ramener. Évidemment, nous avons dû choisir la saison pour avoir de bons mâles. Nous savions que nous étions juste avant la saison des pluies après une période de temps sec. Mais cela correspondait à un faible taux de mâles. D’autre part, où nous allions, sur les pentes de la montagne, il pleuvait parfois l’après-midi, même en saison sèche. Nous espérions donc qu’il y aurait des mâles mûrs dans les colonies.
Sur notre route pour le Mt Elgon, nous avons traversé l’« elephantland » dans la brume de la forêt tropicale. Vers 3 000 m nous nous sommes arrêtés et avons commencé à chercher des abeilles. Il était 10 heures et le soleil commençait à percer la brume. La température montait doucement et nous pouvions entendre des abeilles bourdonner. L’un de nos accompagnateurs nous raconta que quelques années auparavant, il avait amené au même endroit quelques personnes d’une Université de Californie.
Nous sommes arrivés le soir au campement du Mt Elgon, avec les boîtes contenant les mâles rassemblés. N’ayant aucun accès à l’électricité, nous avons dû collecter le sperme à la lueur des torches. Et nous n’avions aucun moyen de conserver ce sperme à une température idéale. Nous allions devoir le garder à la température ambiante de cette zone tropicale pendant deux semaines. Les capillaires contenant le sperme furent mis dans des tubes à essai, eux-mêmes enveloppés de papier humide.
En prévision du voyage de retour en Suède, nous avons introduit des reines en boîtes d’élevage. Juste avant le départ, on a découpé des morceaux de rayon avec œufs, enveloppés de papier humide et placés en sachets de plastique. Et ces sachets, et le sperme ont voyagé dans nos bagages de cabine. Nous n’étions pas autorisés à emmener des abeilles vivantes en Suède. Seul ce matériel génétique de la monticola du Mt Elgon a été utilisé en Suède. (On a ŽlevŽ les reines en Hollande. NdTr)
Durant les jours qui suivirent ce premier jour réussi, nous sommes allés mener nos recherches sur les pentes kenyanes du Mt Elgon. A environ 3 000 mètres, dans un endroit déboisé depuis le début du XXme siècle, nous avons trouvé une colonie intéressante. Les abeilles étaient tout à fait grandes, mais très jaunes. Et elles étaient très défensives, vraiment poursuivantes, apparemment sous l’influence de la scutellata. Une intéressante observation : sur le même arbre, il y avait une autre colonie aux abeilles plus petites, mais noires, et pas du tout agressives comme l’autre. On pourrait réellement décrire celles-là comme ayant relativement bon caractère.
Généralement les abeilles sont plus grandes au fur et à mesure que l’on monte. Nous avons vu aussi une similitude avec les rayons. A 3 500 mètres, les cellules d’ouvrières sont légèrement plus petites que les européennes. Mais les rayons de couvain d’ouvrière des colonies vers 1 600 mètres comportent des cellules très petites. Elles sont plus de 10 % plus petites que les cellules d’ouvrières européennes faites sur cire gaufrée du commerce. Ces données correspondent aux informations de la littérature11.
En général, plus elles sont haut sur les pentes, plus les troncs sont davantage remplis de rayons. Il nous a semblé qu’elles ont moins tendance à essaimer que celles du bas des pentes.
Nous en concluons donc que c’est vers 3 500 mètres que ces abeilles correspondent le plus aux descriptions de la monticola de la littérature, et que la zone de forêt tropicale est extrêmement importante pour la protéger des métissages.
Ensuite nous avons pris la direction du Mt Kenya. C’était une longue route vers le centre du Kenya. La dernière partie du voyage fut vraiment boueuse.
Nous n’avons pas trouvé beaucoup de forêts tropicales sur le Mt Kenya. Et là-bas, le climat n’était pas du tout aussi brumeux que sur le Mt Elgon. Cela semblait plus sec, avec une température moyenne supérieure. Sur le Mt Kenya, nous n’avons trouvé aucun endroit où toutes les colonies étaient uniformément noires. Nous avons trouvé quelques colonies avec un taux faible d’ouvrières à bandes jaunes et avec un caractère convenable. En fait certaines colonies du Mt Kenya nous ont semblé être au moins aussi douces que les meilleures du Mt Elgon, peut-être encore plus calmes. Au même endroit où nous avons observé ces dernières, nous avons aussi trouvé des colonies tout à fait différentes, en couleur et en caractère. Les pires nous ont suivis mais pas plus qu’environ 50 m. Les colonies étaient nettement plus petites que les plus grandes du Mt Elgon. Aucune abeille n’était aussi grande que les plus grandes du Mt Elgon. Il nous a semblé y avoir beaucoup de colonies sur le Mt Kenya. Nous y avons même vu des essaims en vol. Dans quelques ruches, les abeilles venaient à peine de commencer à bâtir des rayons. C’était probablement là la saison des essaims car nous approchions de la fin de la saison sèche. Nous n’avions cependant pas vu de signe d’essaimage sur les pentes du Mt Elgon.
Nous avons eu l’occasion d’examiner une colonie sur une haute falaise au-dessus de la ligne des forêts, vers 4 000 m. Malheureusement, ces abeilles étaient petites, bon nombre étaient rayées de jaune et très agressives. Il y a quelques années, cette partie de la forêt du mont Kenya a été brûlée. Cela a probablement favorisé l’ascension des abeilles des basses terres.
Apparemment, la forêt tropicale est nécessaire à la survie de l’abeille monticola. Un signe positif est que les autorités s’impliquent fortement dans la reboisement des zones déboisées sur les flancs des montagnes. Ils connaissent la valeur des forêts pour l’économie de leur pays — Un exemple pour les autres contrées dont la situation est semblable à celle du Kenya. Si tout va bien, cela signifie aussi que les forêts tropicales des montagnes continueront à exister au profit de l’abeille A.m. monticola, aussi bien que de toute autre faune.
Nous sommes rentrés en Suède le 19 mars 1989. On a mis les morceaux de rayon avec œufs dans des colonies soigneusement préparées pour cela. Et nourries au miel dilué et au substitut de pollen. Les conditions atmosphériques étaient très défavorables, gel pendant la nuit et +2°C, le jour. Cependant nous nous sommes réjouis d’obtenir quelques reines qui, à maturité, furent inséminées par le Dr Thrybom au moyen du sperme de monticola pur, ramené du Mt Elgon.
Le succès de l’insémination avec ce sperme est probablement dû à un nouveau diluant développé par le Dr Thrybom qui revitalise le sperme après une conservation si longue et si défavorable. C’est une solution contenant des acides aminés, des hydrates de carbone et des électrolytes ; mélange qui correspond à la composition du sperme des mâles12.
De ces reines, pures monticola on a élevé une nouvelle génération de reines monticola qui ont été inséminées avec le sperme de mâles de colonies suédoises douces, de race italienne et buckfast. Ces reines donnent une progéniture à 50 % monticola. De plus, des reines suédoises, d’origine italienne et buckfast ont été inséminées avec le sperme des mâles originaux monticola afin d’obtenir l’accouplement réciproque. On a alors élevé des reines F1 que l’on a inséminées avec du sperme de mâles suédois, italiennes et buckfast, produisant ainsi une progéniture avec un héritage théorique de 25 % monticola.
Nous avons eu de réelles difficultés pour faire élever des reines monticola par des colonies italiennes. Celles-ci montraient un intérêt vraiment faible et n’acceptaient qu’à peine les larves de monticola. De ces larves pures qui étaient quand même acceptées, une part des reines produites montraient des signes de sous-développement, comme si elles avaient été élevées à partir de larves trop âgées. De ces reines qui éclosaient, certaines étaient ignorées par les abeilles des nucleis. A la fin de la semaine ou presque on les trouvait mortes au fond de la ruchette. Les colonies buckfast et croisées montraient un meilleur taux d’acceptation. La conclusion semble être sous la main : la monticola aurait une biochimie plus ou moins différente dans ses phéromones et peut-être une différente composition du fluide corporel des larves.
Les reines, pures monticola, éclosent environ 1,5 jour plus tôt que les reines italiennes ou buckfast. On n’a pas encore complètement étudié l’étape de post-operculation des ouvrières monticola, mais le temps d’élaboration depuis l’œuf jusqu’à l’éclosion est vraisemblablement plus court que chez nos races d’abeilles européennes.
Les mâles monticola sont tous uniformément noirs comme les ouvrières et les reines du matériel que nous avons ramené en Suède. Les reines ont également de longues pattes. Les ailes montrent une teinte foncée. L’indice cubital des ouvrières est égal à 2,37 (n=50). L’indice cubital des ouvrières monticola est 2,35 (n=9), selon Ruttner7.
Quelques apiculteurs, mais ils sont peu nombreux en Suède, pensent que toutes les abeilles d’Afrique sont identiques. Mais puisque ce n’est pas vrai pour les abeilles européennes, pourquoi le serait-ce pour les abeilles du continent africain ? Quoi qu’il en soit, quand ces personnes angoissées ont entendu que nous avions apporté en Suède des abeilles africaines, elles ont eu peur d’un résultat du type « abeilles africanisées » de même qu’en Amérique du Sud. Pour éviter tout métissage non désiré, on a clippé toutes les reines. On a équipé les chambres à couvain, haut et bas, de grilles à reines/mâles. Et on les visitait tôt le matin pour éviter le vol des mâles. Les apiculteurs ont réagi très positivement à ce projet. En fait, cette expédition n’aurait pas été possible sans la participation financière de nombreux apiculteurs du Nord de l’Europe, ainsi que d’organisations et fabricants d‘équipements.