Conférence présentée en la Salle St Martin au Syndicat apicole de Colmar (France) le 15 Avril 1987 |
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Frère Adam Kehrle, O.S.B., Abbaye St. Mary, Buckfast, Sud Devon, Angleterre Adaptation française Raymond Zimmer |
Je pense qu’il n’est pas inutile de soumettre cette question à un examen objectif. Et cela dans une perspective d’élevage, mais aussi d’un point de vue strictement pratique.
Des avis différents voire contradictoires, au sujet des possibilités et des conséquences d’une acclimatation de l’abeille, se sont manifestés dès l’introduction du cadre mobile en 1850, mais aussi dès les premiers débuts de l’apiculture moderne. En Angleterre, jusqu’à l’apparition de l’épidémie de l’île de Wight — c’est-à-dire l’acariose — on croyait, dur comme fer, que l’écotype local devait nécessairement s’avérer le plus productif dans les conditions données. N’était-il pas une branche du groupe racial de l’Ouest de l’Europe, qui s’était adapté aux conditions climatiques particulières dès la fin de la dernière glaciation ? Aux U.S.A. par contre, à la fin du siècle dernier, on était d’avis que les importations des Balkans seraient plus rentables que celles importées, 200 ans plus tôt, d’Europe de l’ouest. A cette même époque, on pensait la même chose en Europe centrale. Dans ce cas, toutefois, on estimait que ces abeilles importées devaient s’acclimater avant de pouvoir donner la pleine mesure de leur capacité. De pareilles suppositions sont encore aujourd’hui prises comme base de départ. Une réflexion concrète, et les constatations faites partout ailleurs réfutent toute possibilité d’une acclimatation de l’abeille, telle qu’elle est généralement comprise. L’erreur faite ici provient d’une confusion avec les principes de Darwin, qui prévoit une adaptation génétique à l’environnement. Le principe « de la survie du plus adapté » selon Darwin prévoit une progressive élimination, sur un long laps de temps, des individus les moins vigoureux. Il est évident que pour l’abeille, ce n’est pas la perte de quelques individus qui entre en ligne de compte, mais bien la mort de colonies entières, qui, n’ayant pu s’adapter aux conditions spécifiques de l’environnement pour une raison quelconque, sont alors, en principe, classées comme pertes hivernales.
Il existe une adaptation « fugitive » en plus de l’adaptation génétique. Un endurcissement ou une résistance contre de basses ou hautes températures, comme cela existe couramment dans le monde animal et végétal. Cette forme d’adaptation fugitive, passagère, n’existe pas chez l’abeille. Ni l’Amérique du Sud, ni l’Australie, ni la Nouvelle Zélande n’ont jamais eu une abeille autochtone. Manifestement les importations d’Europe ont parfaitement faits leur preuve sans aucune acclimatation aux conditions d’environnement.
Dans le cas de l’abeille, une acclimatation dans le sens tel qu’on l’entend couramment est exclue. A cela il y a une cause, qui est la reine, mais aussi les mâles, donc les individus qui sont les seuls déterminants pour la reproduction. Ils se trouvent en permanence dans un environnement où la température et l’hygrométrie subissent des variations minimes. Les reines et les mâles n’entrent en contact avec le monde extérieur que lors du vol nuptial et lors de l’essaimage, et cela seulement si les températures extérieures et l’ensoleillement sont suffisants. Les ouvrières qui doivent affronter les avatars du monde extérieur sont la seule partie de la population qui ne joue pas de rôle lors de la fécondation et de la transmission héréditaire. En outre leur sensibilité à la chaleur et au froid comporte des limites bien définies. A la limite inférieure l’abeille s’engourdit, à la limite supérieure elle meurt. Il existe bien de petites différences entre les races quant au point d’engourdissement. La sensibilité correspondante est en outre conditionnée par l’élevage et la consanguinité. Ces qualités sont déterminées par l’hérédité, leur mise en évidence et leur épanouissement sont influencés par un élevage ou une consanguinité négative. Une acclimatation telle qu’elle se présente d’ordinaire dans le monde animal et végétal n’entre apparemment pas en ligne de compte chez l’abeille.
Le conglomérat des races et des écotypes représente le résultat d’une adaptation génétique qui s’est étendue sur des millions d’années. Les races individuelles portent généralement les noms des pays dans lesquels elles se trouvent. Toutefois les races ignorent les frontières d’états. La dénomination de « race géographique » serait bien plus juste. Toutes ces races ont été élevées et formées par la nature selon le principe darwinien d’une élimination de toute unité non adaptée avec le but final qui est la survie de l’espèce. Les différentes espèces et formes archaïques d’antan, dont il ne subsiste plus que des fossiles, sont les témoins des espèces qui n’ont pas pu s’adapter aux changements de l’environnement. Avec les races géographiques, la Nature nous a légué des exemplaires uniques ayant de précieuses qualités et des potentialités remarquables. S’ils sont livrés à eux-mêmes, il est indéniable que les écotypes et souches concernés sont les plus aptes à lutter pour survivre lors des années où les conditions mellifères sont mauvaises. Mais il n’est pas certain qu’elles seraient pour autant les plus rentables ni les plus économiquement valables comme cela est volontiers admis. L’ancienne abeille anglaise, disparue depuis 70 ans déjà, constitue l’exemple le plus classique. Les apiculteurs de ce temps croyaient mordicus, qu’il n’existait pas d’abeille plus rentable dans les conditions d’environnement anglaises. Mais c’est le contraire qui était le cas, comme l’ont aussitôt manifesté les résultats et les développements qui suivirent. La disparition de l’abeille autochtone a permis un développement tout à fait inattendu de l’apiculture partout en Grande Bretagne. Les importations d’abeilles se sont avérées beaucoup plus rentables et cela sans aucune adaptation. Selon mes recherches, la Nature ne nous a toutefois pas légué de race qui puisse correspondre parfaitement aux exigences de l’apiculture moderne. Toutefois la Nature a mis à notre disposition, dans la grande variété génétique, les pierres de construction indispensables à l’élaboration d’une abeille qui pourrait correspondre à nos exigences. Même si cela n’est pas toujours reconnu, la Nature soutient encore aujourd’hui nos efforts d’élevage de la manière essentielle suivante : c’est que les mauvaises années et les mauvaises récoltes mettent en évidence de considérables manquements et inconvénients qui ne se manifesteraient pas si les conditions d’environnement étaient toujours favorables. En même temps, elle nous signale les individus les plus capables de survivre, les plus productifs, et les plus dignes d’élevage.
Même de nos jours, certains apiculteurs prétendent que leur souche d’abeilles se serait acclimatée. Mais ces personnes ne se rendent pas compte du fait que dans de tels cas, au fil des années, c’est une adaptation génétique qui entre en ligne de compte, provoquée par la sélection des individus les plus capables dans les conditions spécifiques de l’environnement. Grâce à la sélection ciblée et discriminatoire, l’éleveur moderne a des possibilités qui sont depuis toujours quasiment interdites à la Nature.
Mentionnons encore un autre aspect des choses. Il circule l’hypothèse que telle souche d’abeilles ne pourrait faire ses preuves sans une adaptation et une acclimatation préalables. Mais nous avons des preuves absolues pour réfuter sans aucune hésitation ces hypothèses. Il y a quelques années au Minnesota (U.S.A.) les milieux scientifiques avaient entrepris des comparaisons entre six souches d’élevage. Chaque lot d’expérience comprenait 10 ruches. Indépendamment du rendement en miel, on a pu relever un certain nombre d’autres qualités. Selon les publications officielles, c’est la souche importée qui s’est avérée non seulement la plus productive, mais aussi la meilleure sur d’autres points. Une expérimentation semblable réalisée au Proche-Orient a donné des résultats analogues. Lors d’essais dans le grand Nord, non loin du cercle polaire, la même souche s’est révélée supérieure à l’abeille adaptée et autochtone. Il a toujours été admis jusqu’à nos jours que les très grands rendements ne pouvaient se faire qu’au Canada ou en Australie. Cette hypothèse n’est également plus vraie. Les rendements record démontrent ce qu’une ruche en bonne disposition peut réaliser. Ils démontrent en même temps que nous n’avons, de loin, pas épuisé toutes nos possibilités d’élevage. Seuls des rendements maximums durant une série d’années, en relation avec des frais et pertes de temps minimum, déterminent la rentabilité d’une exploitation apicole.
Nous faisons abstraction de l’adaptation génétiquement conditionnée. Il est possible de l’influencer par un élevage sélectif et orientable selon les nécessités. Les résultats de ce travail sont d’ailleurs souvent confondus avec l’acclimatation. Il est par contre impératif de parler brièvement de l’adaptation de l’abeille aux conditions de situation et de vie qui sont les siennes. Cette merveilleuse possibilité avec laquelle l’abeille maîtrise, à peu de chose près, toutes les éventualités, me remplit toujours d’étonnement. En vérité, le formidable attrait qu’exerce sur nous l’abeille est largement motivé par ces facultés.
Il ne s’agit là nullement d’une possibilité héréditaire et spécifique, mais d’une disposition générale qui appartient à l’essence même de l’abeille. Elle a une capacité « tous azimuts » qui lui permet de s’accommoder à presque toutes les situations et conditions d’environnement. Elle peut par exemple s’adapter à toutes les conditions d’habitation, c’est-à-dire forme, grandeur, matière, construction, etc. … Toutefois, elle a souvent bien plus de peine à s’accommoder des interventions irréfléchies de la part de l’apiculteur. Chaque fois que ces interventions dépassent sa possibilité d’adaptation, sa force vitale défaille et la conséquence est la mort de la ruche. Notamment, si elle ne peut redresser la situation avant le début de l’hiver. L’abeille ne peut se défendre contre les interventions et les traitements contrariants, alors que cette défense existe couramment dans le reste du monde animal. Sans aucun doute, c’est le devoir le plus urgent pour chaque apiculteur de prendre conscience des particularités spécifiques et des nécessités essentielles de l’abeille.
Une acclimatation, une accoutumance, un endurcissement, qui sont généralement considérés comme indispensables, s’avèrent dans les faits, chez l’abeille, comme contraires à la Nature. Toute activité ne correspondant pas à ses possibilités normales entraîne une perte de ses forces vitales. Il y a déjà plus de 70 ans de cela, mon maître en apiculture m’avait rendu attentif à cette réalité.
Une acclimatation à des conditions d’environnement données, comme cela est généralement compris, n’existe pas chez l’abeille. Par contre, il en existe une qui est héréditairement conditionnée. Il s’agit alors d’une adaptation progressive durant un long laps de temps, par une élimination naturelle des individus les moins capables de vivre ou par une sélection déterminée faite par l’apiculteur. L’apiculteur moderne dispose à l’évidence de possibilités qui sont interdites à la Nature. Cette hypothèse contredit l’opinion généralement admise concernant l’acclimatation de l’abeille. Nos recherches s’appuient sur des expériences faites à l’échelle planétaire. Des généralisations qui s’appuient sur une base restreinte correspondent rarement à la réalité. Je vous remercie pour votre attention.
Salle St Martin au Syndicat apicole de Colmar (France) le 15 Avril 1987 |
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