Original : Deutsche Bienenwirtschaft et Bee World paru en français, en 1954, par épisodes, dans La Belgique Apicole, vol. 18 avec leur permission. |
Article du Frère Adam, O. S. B., Abbaye St. Mary, Buckfast, Sud Devon, Angleterre. Traduction et adaptation française par Georges Ledent, Bruxelles, Belgique. |
Belg.Apic. 18(1-2) 1954 p7-9
Nos nombreux lecteurs que passionne le problème, si vaste et si complexe, de la sélection en apiculture sont vivement reconnaissants envers Georges Ledent de leur avoir procuré la possibilité de prendre connaissance, dans leur langue maternelle, de limportante étude du Frère Adam sur l’art de lElevage apicole.
Améliorer l’abeille par un élevage scientifique constitue la tâche primordiale de tout apiculteur ou de tout groupement apicole progressiste. Le fondement essentiel d’une apiculture fructueuse est l’abeille elle-même. Une production intensive de miel constitue une impossibilité en l’absence d’une abeille à rendement maximum. Les ruches, instruments apicoles et tous les dispositifs techniques dont dispose l’apiculteur moderne, n’exercent qu’à très peu d’exceptions près une influence directe sur le rendement en miel. Ne nous faisons pas d’idées erronées : tous les perfectionnements techniques en fait de ruches et d’instruments ne visent pas plus loin, en fin de compte, qu’à rendre plus aisée la manipulation des populations. Il existe une tendance à lier le type de ruche au rendement. En réalité, la forme et l’exécution d’une ruche n’ont pas d’influence notable sur le rendement en miel. La grandeur de l’habitation (ou, plus exactement, la capacité cubique de la chambre d’élevage) est, par contre, un élément déterminant de l’importance de la récolte. En ce qui regarde les conditions mellifères, l’apiculteur n’a pas le choix dans la plupart des cas. Il lui faut adapter sa méthode à la miellée dont il dispose. En revanche, il lui appartient d’améliorer son abeille; ceci est la condition déterminante fondamentale qui lui permettra de prétendre au résultat le plus satisfaisant en fait de production de miel.
Ce que l’on a déjà écrit au sujet des possibilités de l’élevage en apiculture est phénoménal et les avis les plus opposés ont été émis. Les uns prétendent que l’abeille est un animal sauvage dont, au cours des millénaires, la forme de vie et les caractères sont devenus immuables, si bien que tout effort en vue d’en faire l’élevage, pour l’améliorer, est voué à l’insuccès. Les optimistes, par contre, se promettent d’obtenir par élevage des résultats frisant l’incroyable. Soyons net en présence de ces contradictions, de toute cette confusion, et déclarons qu’une chose est bien certaine, c’est que seul un élevage mené avec une persévérance obstinée et conséquente, qui sait quel but il poursuit est susceptible de conduire finalement au succès.
Personne ne dira que les différences de rendement d’une population à l’autre, au même rucher, avec des miellées identiques, ne sont pas le fait de caractères internes héréditaires. Des différenciations marquées existent non seulement en matière de rendement mais encore, tout autant, dans toutes les autres propriétés. Là où des différences héréditaires d’existence se manifestent, là où il y a variabilité, existe la possibilité fondamentale d’influencer par élevage. De fait, une longue expérience pratique dans le domaine particulier de l’élevage apicole m’a fort éclairé sur les possibilités ainsi que sur les limitations existant en la matière.
La science moderne de l’hérédité et la recherche touchant l’élevage ont dégagé les lois et rapports qui forment la base générale de l’élevage. Malgré le fait que l’abeille occupe une place particulière en raison de l’hérédité haploïde par les mâles, il n’y a pas ici exception aux lois mendéliennes de l’hérédité. La scission s’opère; on peut faire de nouvelles combinaisons. Les difficultés résultant de l’hérédité haploïde des faux-bourdons ne sont pas insurmontables. Sans doute, en présence de l’abâtardissement multiple, ce n’est qu’un hasard extrême qui permettra de mettre la main sur le cas idéal. Mais cela ne change rien au fait que, sans même atteindre à proprement parler le cas idéal, l’on parvienne à obtenir par sélection d’hérédité des combinaisons précieuses du point de vue économique, et ce en opérant sur un petit nombre de générations durant un temps limité. Mes expériences ont démontré qu’il n’était pas exclu d’arriver ainsi à développer des caractères nouveaux chez l’abeille.
Il en existe plusieurs. C’est le but poursuivi qui déterminera laquelle est juste ou meilleure. Les principales, en tenant compte de l’objectif envisagé, sont : élevage en race pure ou aussi élevage de lignées; élevage par croisement ou par combinaison; en sus, élevage mutatif. Ce dernier, en fait, n’entre guère en ligne de compte ici à ma connaissance, pas plus que dans le cas de divers animaux et plantes utiles. On parle aussi d’élevage par choix ou sélection, ce qui veut dire une seule et même chose. Mais cela, c’est la baguette divinatoire à utiliser quelle que soit la méthode d’élevage, la clé de tout succès : sans sélection, impossible de réussir un élevage quelconque. Là où il n’y a pas triage, choix, il n’y a pas élevage !
La Nature trie, sélectionne, fait un choix. En réalité, la Nature est un éleveur sévère, impitoyable. Mais son objectif n’est pas productivité, encore moins productivité maximum, ni perfection dans la forme ou la couleur, mais uniquement conservation et expansion de l’espèce. Fidèle à ce but, la Nature tend, dans son élevage, à la diversification (par opposition à la pureté raciale). Elle mélange et croise constamment, étendant la richesse des facteurs héréditaires garantissant le matériel et la variété dans l’assortiment d’où émergera, par choix naturel, ce qui convient. Toute la façon dont l’abeille se propage et s’étend tend à garantir un mélange constant des facteurs héréditaires. Des différences génétiques importantes dans les propriétés morphologiques autant que physiologiques, de même que des fluctuations marquées en fait de rendement sont, par suite, de règle chez l’abeille dans la nature.
Tout apiculteur averti les connaît, les constate parmi les diverses populations de même provenance, au même rucher, dans une ambiance identique, lorsque libre jeu est laissé aux tendances d’élevage de la nature. Le rendement moyen par colonie est alors très réduit. Par contre, il y a toujours des rendements individuels phénoménaux et, tout à la fois, un certain nombre de populations qui déçoivent totalement. Le facteur dominant chez des populations que la nature a élevées est leur rendement moyen minime. Au contraire, c’est le rendement moyen atteint durant une période couvrant plusieurs années qui juge une apiculture rentable.
L’apiculteur progressiste doit viser à un rendement moyen élevé, le plus élevé possible. Des fluctuations profondes en fait de rendement doivent être éliminées. Les propriétés héréditaires déterminant et provoquant le rendement maximum doivent être réunies et fixées de façon à garder de manière durable les plus hautes prestations. Un record isolé et momentané ne mène pas au but; des prestations extrêmes passagères n’ont pas la signification de progrès en élevage. Le but important de tout élevage consiste à obtenir du permanent. Si ce que l’on a atteint ne pouvait pas être maintenu, l’élevage ne serait qu’effort vain, éternellement inutile. La stabilité dans le rendement n’est réalisable que grâce à la concentration des caractères engendrant le rendement.
Cet élevage conduit à maintenir une constance dans l’hérédité et dans le rendement. Il est le moyen indispensable, l’unique moyen qui mène au permanent et au succès dans l’élevage. L’éleveur travaillant la combinaison, autant que celui qui uvre sur la mutation, doivent repasser par l’élevage en race pure pour assurer la conservation des résultats qu’ils ont obtenus.
Il ne fait pas de doute que, bien conduit, un élevage en race pure peut faire de grandes choses. Mais il a ses limites bien définies. Isoler les caractères désirés, élever dessus et les fixer constitue un pénible et long labeur. Ce n’est que pas à pas que l’on parvient à intensifier telle ou telle propriété et on ne peut la fixer que grâce à une ténacité ininterrompue et consciente du but poursuivi. L’amélioration du rendement est à sa limite, et épuisée, aussitôt que les caractères recherchés ont été fixés de façon homozygote, à peu de distance de la pureté. De plus, sitôt la pureté de la race atteinte par consanguinité intervient un risque de baisse de la vitalité et du rendement. La possibilité de « surélevage » ne peut être négligée. Bien que l’élevage en race pure soit la voie inéluctable par où passe tout progrès permanent en fait d’amélioration de l’abeille, il importe néanmoins qu’il soit pratiqué sur la base la plus large si l’on veut éviter l’échec.
Pour échapper aux dangers de la consanguinité, les Américains ont développé leur procédé des hybrides quadruples. En réalité, ce ne sont pas des bâtards au sens strict du mot, mais seulement des croisements entre lignées pures d’une seule et même race (italienne). C’est une sorte d’élevage en race pure, mené sur une très large base. J’y verrais un élevage de lignée, à ceci près que, dans le cas présent, les croisements de lignées ne sont pas utilisés pour l’élevage ultérieur. Cette méthode d’élevage présente l’avantage essentiel d’éviter les dégâts de la consanguinité et d’arriver à produire des sujets doués de cette « hybrid vigor », de cette vitalité et de cette énergie particulières fréquentes chez les bâtards F1. Ce procédé d’élevage est extrêmement minutieux et, en outre, ne donne pas un relèvement durable des bonnes qualités, ni n’améliore l’abeille. Il manque tout à fait le but essentiel de tout élevage qui est de conserver de façon durable ce que l’on a acquis.
Belg.Apic. 18(3) 1954 p46-51
Chez tout être vivant se manifestent de temps à autre des modifications héréditaires, dites mutations. Dans la nature, ces modifications génétiques redisparaissent bientôt, parce qu’il est rare qu’elles présentent un avantage pour l’être qui en est affecté, au contraire.
Dans le cas de l’abeille, il peut à peine être fait mention d’un élevage mutatif étant donné que les mutations observées jusqu’ici engendrent presque exclusivement des manifestations morbides : yeux rouges ou blancs, carence pileuse ou absence de coloration pileuse, défaut dans le développement des ufs ou stérilité, insuffisance dans le traitement du nectar en raison d’une anomalie organique ou physiologique. L’unique modification génétique relevée jusqu’ici qui, à un certain point de vue, soit susceptible d’être considérée comme avantageuse serait l’incapacité déterminée héréditairement, chez une reine fécondée, de pondre des ufs non fécondés, soit donc une reine qui, après fécondation, ne peut produire des faux-bourdons. C’est une mutation qui se produit très rarement. Il y aurait manifestement là un défaut organique, susceptible d’être transmis effectivement par hérédité par la reine. Vraisemblablement, la possibilité existerait d’élever en une race pure cette mutation, en ayant recours à des mâles issus d’une reine non fécondée (affectée de cette mutation). Le processus serait sans doute compliqué. Cette mutation n’en a pas moins une grande importance scientifique puisque le cas en question prouve la possibilité d’un élevage mutatif ayant une valeur économique.
L’élevage en race pure ne peut mettre en évidence que des propriétés déjà existantes dans le fonds héréditaire d’une race ou d’une lignée. Par suite, c’est ce que contient ce fonds qui constitue la limite de ce à quoi peut conduire tout élevage. Cependant nous savons que chaque race d’abeilles possède des propriétés diverses ayant leur valeur économique. Pour en faire la synthèse, il nous faut recourir à l’élevage par combinaison.
L’élevage par combinaison constitue un domaine inexploré en bonne partie, pour l’abeille. Ses possibilités théoriques et ses problèmes ont été déjà largement traités dans la littérature, mais on ne connaît guère, dans ce domaine, de cas où il ait été fait des essais sur une large base. Peut-être mes expériences poursuivies pendant de nombreuses années sont-elles les seules qui aient conduit à un résultat pratique.
Cet élevage présente des difficultés techniques non négligeables. Par contre, je crois qu’on en a exagéré les difficultés théoriques. Sans doute, au cours des abâtardissements multiples, la dispersion ne permettra-t-elle pour ainsi dire jamais de mettre la main sur le sujet idéal, du moins par voie directe. Qu’on y parvienne par un détour ne change rien au fait qu’on aura pu produire de nouveaux types d’abeilles par des combinaisons nouvelles ayant une valeur économique particulièrement élevée. Un exemple frappant : on connaît l’indomptable propension à piquer de l’abeille française, ainsi que ses nombreuses autres caractéristiques indésirables (du moins à notre point de vue). Eh bien ! Je suis parvenu à élever, en peu de générations, une dorée qu’il était pratiquement impossible d’induire à piquer, qui n’avait pas de tendance à essaimer et qui n’amassait pas de propolis. Sa couleur était d’un or bien plus foncé et joli que celui des élevages américains. C’était, à tous points de vue, une abeille véritablement idéale, à cette exception près qu’elle ne résistait pas à l’acariose qui faisait de tels ravages dans cet élevage, qu’il fallut l’abandonner pour raisons financières.
Mes essais de croisement ont fait la preuve de ce que des produits nouveaux, révolutionnaires, possédant une valeur économique réelle, pouvaient être obtenus. Le temps viendra où l’élevage par combinaison exercera une influence décisive sur l’apiculture. Toutefois, il ne pourra être mené à bien que par des associations apicoles ou des institutions scientifiques.
Jusqu’ici, j’ai exposé brièvement les traits principaux qui sont à la base des diverses méthodes d’élevage. Le point principal à considérer ensuite est le but poursuivi. Si celui-ci n’est pas bien défini, l’élevage voguera comme un navire sans gouvernail, en haute mer : jamais il n’atteindra le port.
Dans une certaine mesure, l’objectif de l’élevage sera conditionné par le climat, les conditions mellifères et les vues personnelles de l’éleveur. Mais à la base existent certains traits fondamentaux de valeur moins particulière, indépendants de ces circonstances : les principales propriétés liées au rendement ne sont pas affectées par les variations climatiques et mellifères.
Le but final de tous nos efforts est de créer une abeille dont la productivité moyenne et durable en miel soit maximale, avec un minimum de frais et de temps. Le facteur prépondérant, déterminant la rentabilité d’une apiculture, est le rendement moyen au cours d’une série d’années. On sait qu’il existe des races d’abeilles donnant un rendement exceptionnel quand l’année est bonne, et un raté complet lorsque les conditions sont médiocres. C’est le cas de la Ligurienne qui a la réputation de bien rendre quand les conditions sont bonnes mais de décevoir dans le cas contraire. Il faudra même, le cas échéant, la nourrir là où une race moyennement prolifique s’en tirera d’elle-même sans peine. Une race qui s’adapte requiert moins de temps et de frais. A ce point de vue, l’ancienne abeille indigène anglaise se comportait admirablement. Elle savait rendre encore quelque chose dans les mauvaises années. Par contre, sa moyenne sur une série d’années était sérieusement inférieure à celle de la Ligurienne. Il existe aussi des races à haut rendement, c’est entendu, mais dont l’agressivité fait que les soigner devient pénible, demande un temps incompatible avec une apiculture économique, sans parler d’autres désagréments.
L’apiculteur professionnel, aux prises avec les réalités, est contraint à considérer froidement et objectivement le but que poursuivra son élevage, sans se laisser égarer par des considérations académiques douteuses. Par nécessité, son but se définit : le plus fort rendement par colonie, le moins de frais et de temps.
Grâce à quelles propriétés économiques principales ce but sera-t-il poursuivi efficacement ? Pour bien saisir mon exposé, il importe que nous passions en revue chacune des propriétés qui entrent en ligne de compte.
Une fécondité convenable constitue la condition préalable à notre objectif d’élevage : un rendement maximum sans une population ayant une force correspondante est une impossibilité. Si même la fécondité seule n’est pas le facteur décisif, tout rendement maximum en dépend néanmoins en première ligne. Une reine qui, au moment déterminé du développement de la population, ne couvre pas de sa ponte 9 à 10 rayons Dadant, ne correspond pas à nos exigences.
J’ai pleine connaissance des avis opposés, souvent exprimés sur ce sujet brûlant. Il y a 30 à 40 ans, les autorités anglaises compétentes proclamaient : « nous ne voulons pas des abeilles, mais du miel ». C’était là, certainement, un sophisme de la pire espèce, le plus absurde qui ait jamais existé en apiculture. Bien sûr, nous ne voulons pas de colonies à viande qui transforment en couvain chaque livre de miel, et il en existe sans aucun doute. Une fécondité comme il la faut doit se conjuguer nécessairement avec une série d’autres propriétés économiques indispensables.
Parmi ces dernières, un zèle infatigable prend la première place : il est le levier qui mue en valeurs véritables toutes les propriétés économiques. Si le zèle de l’abeille est proverbial, il est cependant des abeilles qui sont de vrais vauriens. Le zèle est très certainement une propriété conditionnée par des facteurs héréditaires, mais multiples. De plus, son épanouissement au plus haut degré repose sur la coopération de tous les composants d’une chaîne de propriétés économiques.
Une des tâches les plus importantes dans l’élevage est de développer des lignées à l’épreuve de la maladie, c’est-à-dire permettant de faire l’économie de tous traitements. Il n’existe pas de traitement qui ne présente l’inconvénient que son action (pour autant qu’il coupe effectivement la maladie) n’ait qu’une durée passagère. Autrement dit : sitôt qu’on a recours à des médicaments, leur usage nécessite qu’on les applique de façon permanente. Une colonie réceptive sera vite réinfectée et retombera, victime de la maladie.
Un exemple lumineux sous ce rapport est fourni par la résistance à l’acariose. Il importe toutefois de bien faire la distinction entre résistance et immunité.
Dans la série des propriétés indispensables prend ensuite rang l’anecballie. Elle est indispensable, absolument, aux yeux de l’apiculteur. L’essaimage, non seulement entraîne des pertes de temps et de travail antiéconomiques, mais annihile également toute possibilité de rendements records pour ce qui est du miel. Une race qui posséderait des qualités de toute espèce mais manifesterait un penchant indomptable à essaimer serait véritablement sans valeur dans une exploitation moderne.
Un exemple pratique et d’expérience personnelle : il y a quelques années, nous avions 30 colonies à reines d’une lignée alpestre bien connue, pour essais et comparaison. Elles furent réparties également dans nos dix ruchers. Hivernage et développement de printemps satisfaisants au-delà de toute attente. Un essaimage échappant à tout contrôle amena une perte de rendement, pour les 30 colonies, de 870 livres sterling (115 000 francs belges). Cas exceptionnel ! Nous connaissons un apiculteur de métier, un des plus forts d’Angleterre, qui ne s’en tira guère mieux avec la même race alpestre et sa perte se répartissait sur 200 colonies.
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Fécondité, zèle, résistance aux maladies et anecballie, à mon avis les qualités principales, constituent la base de notre élevage. Les qualités suivantes, que je vais passer en revue, sans être indispensables, n’en ont pas moins une importance très grande lorsqu’il s’agit de poursuivre notre but, car chacune contribue à intensifier le rendement.
A mettre au premier rang comme condition de réussite dans l’élevage. Personne ne contestera qu’il existe de grandes différences héréditaires en fait de longévité. Voyez les variations dans la durée de l’existence des reines. Les conditions d’existence à partir de l’uf et surtout durant la période de développement influe puissamment sur la durée finale de l’existence de la reine comme de l’ouvrière. Quand nous parlons de durée de vie, en fait c’est de puissance vitale ou mieux encore de puissance d’action qu’il s’agit. La durée de la vie, chez l’abeille, est déterminée par la dépense d’énergie. Elle sera abrégée en proportion de l’intensité avec laquelle l’énergie vitale sera consommée.
Suivant mon expérience, il y a corrélation entre fécondité et longévité. Fécondité maximum signifie existence brève, tandis que la longévité extrême se rencontrera plutôt dans les lignées à fécondité inférieure à la moyenne. Un exemple frappant en fut l’abeille anglaise, dont la longévité était un trait dominant. On sait que sa fécondité restait au-dessous de la normale. Sans doute cette longévité extraordinaire a-t-elle contribué à son extermination par l’acariose.
La puissance du vol, si elle est nette, permet à l’abeille d’augmenter son aire dans une mesure appréciable; il dépendra d’elle, en fait, le cas échéant, que telle source de nectar puisse être atteinte ou non. L’abeille anglaise était extraordinairement puissante au vol. Jusqu’en 1916, nous récoltions presque chaque année de fortes quantités de miel de bruyère, à notre rucher de l’abbaye, duquel la bruyère la plus proche était distante de 3,6 km avec une dénivellation d’environ 400 m. Malgré l’éloignement considérable, en 1915, les colonies indigènes de même que les bâtardes, amassèrent en moyenne 50 kg de miel de bruyère chacune. Depuis lors, nous n’avons plus récolté de miel de bruyère au rucher du jardin du monastère que l’une ou l’autre année, quand la température était exceptionnellement favorable. Les 50 kg par colonie de 1915 furent le chant du cygne de notre abeille indigène. L’hiver suivant, l’acariose faisait ses ravages.
Le flair est le complément nécessaire corroborant d’une puissance de vol supérieure. S’il n’est pas très développé, l’abeille ne poussera guère ses investigations au-delà d’une limite réduite. Il comporte toutefois sa contrepartie : il peut dévier vers le pillage. L’un entraîne l’autre et je ne vois guère comment ils seraient dissociables. Comment une abeille bien douée de flair ne céderait-elle pas à la tentation de chiper ? Pratiquement, les meilleures colonies, suivant mon expérience, sont toujours les premières chaque fois qu’il y a pillage.
Une tendance inébranlable à se défendre, le plus sûr antidote contre le pillage, est un attribut indispensable de l’abeille idéale. Nous la trouvons développée au plus haut point dans les races orientales, sans doute en raison de la nécessité, que nous ne connaissons pas dans les zones tempérées, de lutter farouchement contre des ennemis nombreux et redoutables.
Ceci comprend, pour notre abeille idéale, toute une série de qualités. Elle devra ne pas s’engourdir facilement quand, par une journée printanière ensoleillée mais fraîche, elle sortira en quête de pollen ou d’eau. Qu’elle résiste au froid extrême importe moins. Durant l’hivernage, elle sera capable de tenir le coup sur des provisions de qualité médiocre, sans sortie d’hygiène. Cette faculté est elle-même conditionnée par le comportement de la population en présence de brutales sautes de température, de dérangements, etc.
Sous notre climat du sud-ouest de l’Angleterre, la mellifica et la carnica ont tendance à prendre l’air à toute hausse du thermomètre. Dans les mêmes conditions, notre propre lignée garde un repos complet. Les colonies sont comme mortes depuis le début de novembre jusqu’à fin février, jusqu’au vol général de propreté. Toute activité de vol en mauvaises conditions atmosphériques se traduit par une consommation inutile d’énergie et de vie d’abeilles.
Il y a liaison étroite entre repos d’hiver et consommation des stocks. Cependant le degré de repos n’est pas seul à déterminer la consommation. La force de la population entre aussi en ligne de compte. Et des différences considérables se marquent. Il a été constaté généralement que la Ligurienne est prodigue à l’extrême, tandis que la Carniolienne est un modèle d’épargne. La solution du problème tient dans les effectifs modestes et le repos profond. Un élevage raisonné conduira à des résultats très tangibles, dans ce domaine.
Il est superflu de le mentionner que la façon dont la colonie se développe au printemps est déterminée par facteurs héréditaires. Pour moi, tout au moins dans le sud-ouest de l’Angleterre, le développement de printemps doit s’opérer sans nourrissement stimulant et pas avant que ne soit revenu un temps à peu près propice. Ce développement, une fois commencé, devra se poursuivre sans interruption.
Les éleveuses précoces gaspillent leur énergie en vols par temps défavorable. La grande dépense de force, au cours de ces entreprises héroïques, ne présente guère d’avantages. La lignée résultant d’un bon élevage se passera de tout nourrissement stimulant, épargnera vos frais et votre travail et ne vous fera pas courir de risques inutiles.
Belg.Apic. 18(5) 1954, p105-107
L’ardeur à récolter du pollen n’est pas nécessairement aussi intense que celle à butiner le nectar. La Ligurienne n’est pas avide de pollen. Dans une colonie d’Italiennes, on trouvera rarement surabondance de pollen, même quand, comme chez nous, la région en offre à profusion. L’indigène Anglaise était une récolteuse remarquable. La Française, de même, mais elle va jusqu’à le porter au travers de la grille et à en déposer dans le magasin à miel. Et cette propension est, chez elle, conditionnée héréditairement. Il vaudrait la peine de développer cette tendance dans les pays et régions où le pollen est rare, de même que partout où la fécondation joue un rôle économique particulier. Chez nous, au sud-ouest de l’Angleterre, une ardeur prononcée à récolter du pollen est un désavantage marqué.
Cette qualité, qui a son importance, pourrait exercer une influence indirecte sur le rendement en miel, dans la mesure où une population peu encline à bâtir tend facilement à essaimer. L’ardeur à bâtir, au contraire, pousse au travail et au zèle. Il existe de forts écarts dans l’ardeur des diverses races et lignées. Incontestablement, l’indigène Anglaise était la plus ardente que j’aie connue. C’est avec une rapidité étonnante qu’elle bâtissait des rayons impeccables et magnifiques. Nous sommes parvenus à conserver cette qualité dans notre lignée, en bonne partie. C’est un grand avantage puisque, dans notre système, tous les rayons doivent, chaque année, être renouvelés dans les magasins à miel.
Liée intimement à l’ardeur à bâtir, nous avons la tendance ou le besoin plus ou moins impérieux de bâtir en cellules à mâles. Cette construction et l’élevage de mâles, lorsqu’une certaine mesure est dépassée, sont extrêmement antiéconomique. Mon opinion est que, par un élevage soigneux, des progrès très notables sont réalisables de ce côté.
Ardeur à bâtir et rangement du miel sont étroitement liés. La colonie qui ne bâtit pas volontiers est contrainte à disposer son miel à proximité du couvain. C’est peut-être une bonne chose suivant les régions et les miellées. Dans notre élevage, nous nous efforçons d’arriver à ce que le miel soit stocké à distance du couvain. Par-là, les abeilles sont encouragées à bâtir, à récolter, les conditions préalables indispensables en vue d’éviter l’essaimage sont remplies. En outre, un nid à couvain non resserré, depuis la mi-mai jusqu’à fin juillet, est une nécessité élémentaire pour réussir dans les régions à miellée tardive. Et quand la bruyère donne, l’instinct de la conservation même détermine les abeilles à ranger les stocks d’hiver dans le nid à couvain sans que l’apiculteur ait à s’en mêler.
Son importance est primordiale là où on cultive le trèfle rouge. Ce n’est pas le cas dans le sud-ouest de l’Angleterre. Dans d’autres régions, par contre, surtout le Norfolk, ce trèfle donne des récoltes de miel considérables. L’apiculture est pratiquée en Angleterre principalement avec des lignées italiennes, ce qui fait qu’on ne s’intéresse guère à la question de longueur de langue. En dehors du trèfle rouge, il n’existe pas, à ma connaissance, de fleur à nectar posant ce problème.
Le miel de trèfle rouge n’est pas de qualité extraordinaire, mais il est impeccable pour l’hivernage. En liaison avec ceci, il y a lieu de mentionner une particularité chez certaines races et bâtards, de la prendre en considération, notamment dans les pays ou la coloration du miel en détermine la valeur commerciale : il existe des races qui ont tendance à récolter du miel médiocre pendant qu’italiennes et cypriotes rapportent du miel de toute première qualité.
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Dans la première partie de mon exposé, il n’a été fait allusion qu’aux qualités de l’abeille, d’importance primordiale pour la production du miel. Nous en arrivons maintenant à celles qui n’ont pas d’influence sur le rendement, mais n’en sont pas moins indispensables à la réalisation de notre seconde exigence : la réduction des frais d’exploitation et du temps à y consacrer. Nous rencontrerons particulièrement ici les qualités qui rendent plus aisé le travail de l’apiculteur. D’autres, de valeur purement économique et esthétique, seront également passées en revue.
Apiculteurs et éleveurs émettent généralement des opinions opposées sur bien des points. Ici, une réjouissante unanimité se manifeste en faveur de la douceur. Je ne connais qu’une exception, un apiculteur arabe, qui est d’un autre avis. Cet homme à la page possède un grand rucher non loin de la route principale de Jérusalem à Jéricho. Ses colonies, de souche syrienne pure, répondaient intégralement à ses exigences en fait de férocité : ses ruches étaient inviolables.
L’irritabilité rend le travail pénible et fait perdre un temps précieux, sans parler du risque constant de difficultés avec le voisinage. Par bonheur, la douceur est une qualité héréditaire. D’une hybridation la plus sanguinaire il n’est pas difficile d’arriver à la douceur, en quelques générations. On prétend souvent qu’il y a liaison entre la méchanceté et le rendement : on assure de même, que la douceur ou la férocité sont transmises par le mâle. L’une et l’autre supposition sont fausses.
Cette qualité facilite et accélère également le travail. Le comportement mouvant de certaines races et lignées fait perdre du temps lors de leur maniement et rend difficile, à l’extrême, la recherche de la reine.
Cette propension, fort développée chez la plupart des races, et consistant à poisser tout ce qui est à l’intérieur de la ruche au moyen de ciment résineux, est une des plus vilaines et désagréables propriété de l’abeille. Cette activité parfaitement inutile contrarie singulièrement le travail de l’apiculteur.
On sait que la fasciata n’y a pas recours; la Carniolienne, du moins quelques lignées de cette race, a une tendance à utiliser de la cire au lieu de propolis. Il semble bien que cette propension soit conditionnée par un nombre considérable de facteurs héréditaires. Il est extrêmement difficile d’éliminer entièrement cette tendance.
L’esprit de propreté, chez l’abeille, facilite le travail de l’apiculteur et contribue puissamment à prévenir et combattre les maladies du couvain. Des essais, faits en Amérique en ce sens, ont prouvé clairement que la résistance à la loque tout au moins dans sa forme maligne, est due à un esprit de propreté développé.
Une abeille s’accommodant de rayons à moitié décomposés et il en existe est à proscrire. Il importe de le favoriser par tous les moyens dont dispose l’éleveur. Cette même qualité détermine certainement aussi la résistance à la fausse teigne, particulièrement primordiale en apiculture subtropicale.
L’importance économique d’un bon sens d’orientation, condition d’un repérage infaillible, saute aux yeux. Il atteint son summum dans les races où, au cours des siècles, la sélection naturelle a joué, les colonies voisinant étroitement. C’est particulièrement le cas chez la Syrienne et la Cypriote; aussi chez la carnica, mais à un degré moindre. Cette qualité est indispensable là où les colonies ne sont pas éparpillées. Chez ces dernières, les abeilles sont moins exposées à dériver. Si l’on veut éviter la perte de nombreuses reines lors du vol nuptial, il faut tenir compte de la faculté d’orientation.
Un exemple de la supériorité de la Cypriote : en 1920, fin août, soit à une période déjà peu favorable à la fécondation, une seule reine cypriote se perdit, sur une série de 110, alors que le déchet, à notre station de la lande de Dart atteint en moyenne 18 %, et environ 12 % par temps très favorable.
Une operculation impeccable, sans défaut ni souillure, est particulièrement appréciable dans les pays où l’on fait de la section ou du rayon. L’abeille anglaise y surpassait véritablement toute autre, avec ses opercules immaculés, bombés et accusant les contours de chaque cellule. L’inclusion de cette qualité dans l’hérédité est chose fort embrouillée. Nous avons réalisé des progrès sensibles dans ce domaine, mais sans parvenir encore à fixer parfaitement cette operculation.
La Caucasienne a la spécialité, déplorable, d’édifier des ponts entre les rayons, d’un cadre à l’autre et de cadre à planchettes de couverture. Ceci se manifeste dans toutes les races, mais à des degrés divers. Chez la Cypriote, à peine une trace, alors que chez la Caucasienne type, après un élevage, chaque cadre du nid à couvain doit être dégagé de force, à l’outil, d’où travail pénible, piqûres, massacre de nombreuses abeilles, voire de la reine.
Ces ponts avaient probablement leur justification à l’état primitif, mais sont un ennui sérieux en apiculture moderne. La chance veut que cette propension puisse être facilement éliminée par élevage systématique.
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Voilà donc les propriétés économiques principales que nous retenons en vue de notre sélection par élevage. Les caractéristiques externes sont des points de repère en fait de détermination de la race, mais jamais elles ne doivent être regardées comme des signes infaillibles indiquant le rendement. L’extrême en fait de couleur ou de forme n’entraîne pas de rendement correspondant. Comme je l’ai exposé, le rendement n’est pas lié à telle ou telle propriété seulement, mais à la coopération harmonieuse de tout un enchaînement de qualités. C’est lorsque nous aurons leur parfaite interpénétration que le rendement sera porté au maximum.
Belg.Apic. 18(6) 1954, p133-135
Dans mon exposé, je ne considère pas une race déterminée, pas plus que je n’accorde de préférence à telle ou telle lignée. Je ne mentionne des propriétés données de certaines d’entre elles que pour mettre mon thème en lumière et présenter les considérations qui dominent dans nos objectifs d’élevage. Pour être complet, voici quelques remarques touchant un problème si discuté : « importation ou race indigène ? »
Plus d’une fois, ci-dessus, il m’est arrivé de vanter les qualités de l’abeille indigène anglaise. Il ne fait pas de doute qu’elle possédait un nombre étonnant de qualités ayant une valeur économique supérieure. Aussi, ne s’étonnera-t-on pas que les sommités apicoles d’il y a 40 ans se soient élevées contre toute importation. Leur argument était : Notre race native, foncée, s’est complètement adaptée au cours des siècles, aux conditions de climat et de miellée tout à fait particulières régnant sur notre île; elle est, par conséquent, la meilleure de toutes les abeilles pour la Grande-Bretagne où la nature l’a sélectionnée durement. Malheureusement, cette argumentation, plausible, repose sur un fondement erroné. Les développements ultérieurs le prouvèrent bien. La nature n’élève pas avec le rendement comme objectif, et moins encore le maximum de rendement, mais bien la conservation et l’expansion de l’espèce. Par-dessus le marché, la nature, pas plus que l’éleveur moderne, n’est en mesure de mettre en évidence et de développer une qualité, si celle-ci n’existe pas déjà dans une race.
Vers 1916, l’abeille anglaise n’existait plus, étant tombée sous les attaques de l’acariose. Elle était dépourvue de résistance. Cette résistance se manifestait, en partie tout au moins, chez les races importées. Au cours des temps, les races étrangères dépassèrent de loin les rendements de feu la race indigène. Si bien que celui-là même, qui avait été le meneur des adversaires de l’importation, dut convenir, après des années, que la Ligure lui donnait des rendements en miel supérieurs à ceux de cette abeille qu’il avait jadis défendue avec tant d’ardeur.
Touchant ce problème crucial race indigène ou race importée n’oublions jamais ceci : l’abeille indigène n’est pas nécessairement la meilleure; il y a de bonnes et de mauvaises lignées de carnica, tout comme de ligustica et, universellement, les mauvaises lignées constituent, sans exception, la majorité.
Il arrive que, dans la littérature traitant d’hérédité, les qualités individuelles soient comparées aux pierres d’une mosaïque, et l’éleveur à l’artisan qui, choisissant et disposant harmonieusement ces pierres, en fait un chef d’uvre. Plus est large l’assortiment de pierres, correspondant ici à des qualités désirables, plus le résultat sera haut en couleur. J’ai parlé d’un enchaînement de propriétés, disant que chaque maillon n’acquiert plein développement que si tous y concourent, toujours comme dans une mosaïque. L’épanouissement de chaque qualité, prise en elle-même, est conditionné par la présence en plus ou moins grande quantité, d’autres facteurs héréditaires concomitants. Cependant, en langage courant de doctrine de l’hérédité, on accorde à chaque qualité un facteur héréditaire déterminé. C’est là une supposition qui, suivie logiquement, conduirait à concevoir l’hérédité d’une une manière qui n’a rien de commun avec la réalité. Un organisme n’est pas une juxtaposition comparable à une mosaïque. C’est un tout qui fonctionne comme un tout indissoluble dans lequel les parties sont subordonnées à l’ensemble.
Le développement d’une quelconque qualité requiert la participation des facteurs héréditaires les plus divers. Tel facteur, subordonné à une qualité donnée, n’exerce en somme son influence décisive que lorsqu’une combinaison complexe entre en jeu. Il y a une sorte de collaboration qui dépend d’un nombre plus ou moins élevé de facteurs héréditaires dont chacun exerce une influence partielle donnée, ces influences s’additionnant : l’hérédité polymère. Les qualités visées ici sont surtout de nature quantitative : longueur de langue, grandeur d’aile, etc.
Un autre cas se réfère aux facteurs héréditaires accouplés multiformes, ainsi qu’on les dénomme, sur l’allélomorphisme, dans lequel on ne relève pas seulement le partenaire dominant et le récessif, mais bien une série de vingt et plus. Chacun de ces états détermine un état différent, généralement une gradation différente de la même qualité.
En élevage, l’hérédité polymère aussi bien que l’allélomorphisme nous occuperont beaucoup. Les mutations occasionneront mainte perte et déception; n’empêche qu’il ne faut pas complètement négliger la possibilité d’une mutation gain. Ce que l’hérédité de l’abeille peut nous offrir réellement reste très peu clair. On juge la race en s’attachant à des signes externes, plus ou moins admis comme indiquant qu’une race est bonne ou a de la valeur. Par contre l’élevage sélectif, lui, cherche son salut uniquement dans le rendement, sans considération aucune pour les signes externes ou la pureté raciale.
Qui élève la race suppose avec assez de raison qu’il y a relation entre signes externes et qualités économiques intrinsèques. Je parlais, il y a un moment, de la collaboration, de la combinaison, de l’enchaînement des facteurs héréditaires. Nous savons que des signes extérieurs, en particulier la couleur, sont déterminés par une abondante quantité de facteurs héréditaires. Il est plus que probable que chacun de ces facteurs influe sur plusieurs qualités. En outre, l’expérience démontre qu’il y a plus ou moins liaison entre les caractéristiques externes d’une race et ses qualités ou défauts. Une abeille dans la robe de la carnica, avec les particularités intrinsèques de la fasciata, serait un monstre. La robe de la carnica est, dans une certaine mesure, garante de ce qu’il y a dessous. De là, il n’y a pas loin à admettre que plus les signes externes se manifestent de façon concentrée et pure, plus il y a garantie d’un maximum de qualités économiques internes inhérentes à la race envisagée.
Malheureusement la pratique a démontré que cette hypothèse ne se vérifie pas, que cette relation n’existe pas. Les signes externes, malgré cela, donnent tout de même des points de repère précieux et indispensables dans l’élevage en général, de même que dans la recherche de la race pure et de l’élevage par combinaison en particulier. Si nous n’avions pas de points fixes externes où rattacher nos tentatives en élevage, nous n’aurions pas de garantie de fixité. La constance à hériter des signes externes est un indice de la constance des qualités intrinsèques.
Par opposition, l’élevage sélectif, ou triage au rendement, ne s’intéresse pas à la pureté raciale. Le rendement est, à la fois, fil conducteur et pierre de touche. Hélas, l’expérimentation pratique démontre que cette orientation extrême conduit à des déboires. Le rendement maximum ne requiert pas nécessairement une concentration de qualités économiques, et moins encore celle de TOUTES les qualités désirables.
Un exemple de pratique expérimentale : le Dr Miller, de Marengo (Illinois, U.S.A.) était un homme essentiellement pratique. Apiculteur professionnel, il fit, durant de nombreuses années, de l’élevage uniquement sur rendement. La couleur le laissait indifférent. Sa lignée devint de plus en plus mélangée ce que nous appelons bâtarde. Ses abeilles, au fur et à mesure, piquaient davantage, et le maniement en devint fort pénible. Finalement survint une attaque dévastatrice de couvain suri. Les hybrides de Miller s’y révélèrent réceptives à un degré élevé. Force lui fut de s’en débarrasser.
Entre ces deux orientations extrêmes, élevage sur signes extérieurs et élevage sur le seul rendement, il en existe une troisième, tablant, partie sur les signes extérieurs, partie sur le rendement, mais point sur le rendement extrême : sur un rendement limité. Aux yeux de ces éleveurs, le rendement extrême est une illusion, un mirage trompeur. On admet qu’en général un rendement extraordinaire en miel ne repose pas sur des propriétés héréditaires, mais résulte d’une fantaisie du hasard. Par suite, utiliser la reine d’une colonie de ce genre comme mère d’élevage n’engendrerait que mécomptes et désillusions. C’est à une moyenne de rendement qu’on attache ici le plus de prix. Et il y a du vrai là dedans : la production extraordinaire de miel peut être l’effet d’un pur hasard ou aussi la suite d’un croisement en race pure, travesti. Quoi qu’il en soit, quand il s’agit de créatures homozygotes, l’axiome « du même produit le même » est d’application suivant le principe connu de longue date : « La pomme ne tombe pas très loin du tronc ».
Belg.Apic. 18(7) 1954, p169-171
La génétique moderne a démontré que, chez des êtres produits de sexualité, il n’y a pour ainsi dire pas de cas d’homozygotie absolue, de pureté dans toutes les qualités, de similitude complète. Ceci étant, il doit se produire des fluctuations, qu’on se réfère à une productivité moyenne ou élevée. En fait, il semble bien qu’éliminer constamment les individus les plus productifs empêche de progresser réellement. Supprimer ce qui dépasse la moyenne, c’est fermer et verrouiller la porte à tout progrès en élevage. La tendance naturelle est toujours à une régression, une baisse du rendement, particulièrement en élevage apicole, car la prestation de l’abeille est une chose insaisissable nous ne pouvons qu’en mesurer les résultats, les exposer en chiffres, mais sans déceler les énergies latentes qui sont à l’origine du rendement. L’apiculteur qui élève sur rendement moyen sera bien en mesure de réaliser un progrès dans telle ou telle qualité visible, mais le rendement général, surtout si l’on s’en tient à la consanguinité, tendra nettement vers un niveau en dessous de la moyenne. Par opposition, un élevage soigneux et adroit sur rendement maximum déterminera une impulsion dans le sens d’une augmentation du rendement, parce que nous y rassemblons, concentrons et intensifions les gènes de productivité. Toutefois, on n’arrive pas au succès sans se donner de la peine. Il n’y a pas de pas en avant sans effort. Aucun éleveur n’est à l’abri d’un faux pas. Aucun élevage ne recèle d’aussi grandes difficultés que celui de l’abeille.
Le but essentiel de l’élevage est de conserver ce que l’on a obtenu. Faute de pouvoir le faire, l’élevage ne serait qu’un futile effort sans fin, comme la poursuite de l’horizon. La consanguinité seule conduit à maintenir et à stabiliser ce qui est atteint. Elle est la clé de tout succès durable de quelque valeur; mais cette même clé peut tout aussi bien ouvrir la porte à des échecs.
Grâce à la consanguinité, nous pouvons former un faisceau des qualités économiques désirées, les renforcer, les maintenir. La consanguinité requiert la pureté de la race, l’homozygotie; par suite, elle conduit à la permanence et à la constance dans l’hérédité.
Bien qu’elle donne les résultats les plus précieux, nous ne pouvons pas, en même temps, en sous-estimer les graves inconvénients. Ils sont de deux ordres : pureté en ce qui touche des caractères héréditaires mauvais; vitalité et vigueur diminuées. C’est qu’il y a, par pureté de race, homozygotie, développement possible tout aussi bien du mauvais que du bon. Les constatations pleines d’enseignements des Américains, de von Mackensen et Roberts, relatives aux allèles mortels déterminant le sexe, l’illustrent suffisamment. Personne ne niera qu’il se trouve des facteurs létaux dans les conditionnements héréditaires de l’abeille. Il est cependant difficile d’apprécier ces constatations américaines sans une connaissance précise de tous les détails. Je mets en doute qu’elles aient une valeur universelle. La perte de près de 50 % du couvain de reines fécondées artificiellement même croisées avec des races parfaitement étrangères est un fait fréquent. Malgré une consanguinité intense pratiquée sur une période de 35 années, je n’ai jamais, chez des reines fécondées naturellement, noté un déchet approchant de loin ces proportions dans la ponte d’une reine. On peut supposer que, dans ce cas, il s’agit de mutations.
Il arrive cependant qu’il y ait manque de vitalité du couvain par suite de consanguinité intense. C’est une histoire très compliquée, étant donné que ce n’est que lors de disettes, lorsque le pollen vient brusquement à manquer, qu’il se manifeste une mortalité du couvain. Sitôt que le pollen donne de nouveau la mortalité disparaît. Que ce défaut soit héréditaire est démontré par le fait que la mortalité n’est pas générale et n’affecte qu’une lignée donnée, toutes les colonies de la dite lignée l’accusant. Il semble qu’il y ait là une manifestation de la sous-alimentation dont l’effet mortel est rattaché à une faiblesse héritée, que la consanguinité a développée.
Des tares de ce genre, héréditaires et attribuables à la formation par consanguinité de caractères indésirables, ne se laissent extirper que très difficilement et entraînent bien des complications. Que la stérilité des mâles soit conditionnée héréditairement et résulte de la consanguinité est plus que probable !
Les seconds inconvénients dus à la consanguinité n’ont pas pour cause des défauts héréditaires ni une disposition maladive. Perte de vitalité, diminution de vigueur et diminution du rendement , sont un phénomène caractéristique de l’élevage consanguin tout aussi bien que l’« hybrid vigour » (c. à d. l’obtention d’une vitalité supra normale) se produit dans le cas de croisement. La vraie cause de ces manifestations, et de leurs effets divergents, constitue une énigme dont le secret n’a pas été percé.
La baisse de vitalité apparaît particulièrement dans le développement printanier Celui-ci peut même échouer complètement, si le temps est défavorable. Le défaut d’énergie vitale entraîne forcément la réduction du rendement en miel. Celui-ci est cependant quelque chose de relatif qu’il est difficile d’évaluer avec précision : températures et miellées ont une influence très forte sur le développement des populations et sur le rendement. L’apiculteur attribue facilement aux conditions climatiques les ratés du rendement. Toute base de comparaison manquant lorsqu’il y a race unique, voire lignée unique, il devient impossible, dans ce cas, de faire des comparaisons ayant quelque valeur. Il n’y a pourtant que les comparaisons prolongées qui puissent nous épargner les mécomptes de ce genre, dus à la consanguinité.
Lorsqu’on pratique l’élevage apicole sans contrôle du rendement, sans essais comparatifs, sans points de repère concrets, on ne peut pas arriver à un résultat positif ayant une valeur économique. Et évaluer exactement le rendement est un problème bien compliqué. Cette évaluation sera toujours relative, relative à telle race, à telle lignée relative aussi à des conditions données d’ambiance et de miellée. D’une année à l’autre, d’une région à l’autre, souvent à quelques kilomètres de distance, s’observent de fortes fluctuations. L’apiculteur parlant de rendements et de résultats c’est connu fera toujours allusion à une année et à un endroit donnés. C’est cependant ailleurs que réside la source principale des erreurs en fait d’appréciation du rendement d’un élevage : on fait des comparaisons entre colonies d’une seule lignée, et cela ne donne que la valeur relative de chaque population par rapport aux autres provenant de cette même lignée, alors que seules donneront des bases justes d’appréciation concrète, des comparaisons portant sur plusieurs lignées d’une même race, dans des conditions identiques de situation et de miellée. Plus nombreux seront les résultats comparatifs à rapprocher et les essais répétés, plus la base deviendra sûre et le succès infaillible.
A Buckfast, les choses sont poussées à la limite du possible pour éviter tout mécompte. Les 10 ruchers sont répartis dans des régions à miellées différentes. Dans certaines, le sol est léger et sablonneux, ailleurs il est moyen, et ailleurs encore c’est de l’argile compacte. C’est là que, les années sèches, nous avons les plus fortes récoltes de pur miel de coucou blanc (Trifolium repens). S’il pleut beaucoup, la récolte y est nulle. L’hivernage y est toujours difficile en raison de la forte humidité. En sol sablonneux, c’est l’inverse. Le développement de printemps comporte des particularités propres à chacun des ruchers. Dans les vallées où ils sont situés, il neige rarement. Par contre l’hiver est rude dans la lande du Dart (Dartmoor) où est installée la station d’élevage et les colonies miniatures y sont à dure épreuve. C’est cependant là que les jeunes reines subissent les épreuves préliminaires.
Pour éviter la dérive, cause possible de conclusions erronées, les populations sont groupées par quatre, chacune orientée vers l’un des points cardinaux. Les groupes sont séparés par une bonne distance et distribués irrégulièrement. Chaque rucher comporte 30 à 40 colonies. Les jeunes reines de chacune des mères éleveuses sont, autant que possible, réparties en nombre égal dans chacun des ruchers.
De cette manière, se déterminera sans possibilité d’erreur la descendance la plus conforme, au point de vue héréditaire, au rendement le meilleur. Un exemple concret : Le rendement moyen fut, chez nous, de 72,5 kg en 1949. Cependant 22 colonies, toutes pourvues d’une reine provenant de la même mère-éleveuse l’une des six de l’année précédente donnèrent un rendement moyen de 92,5 kg, soit 20 kg de plus que notre effectif global de 320 colonies. Ce ne fut pas un effet du hasard, car ces vingt-deux colonies étaient disséminées dans nos dix ruchers. Et ce fait même prouve, par-dessus le marché, que cette lignée vedette en fait de rendement possédait également au plus haut point mainte autre qualité désirable. La même année, il se révéla, d’ailleurs, un contraste plus marqué mais dans l’autre sens chez trente colonies d’une lignée alpine conditions et miellées restant identiques ces 30 colonies donnèrent un rendement moyen de 11 kg, en regard de la moyenne déjà citée de 72,5 kg.
Belg.Apic. 18(8) 1954 p210-213
Je voudrais ici parler d’un facteur extrêmement important dans notre effort d’élevage en corrélation avec le contrôle du rendement. Ce facteur, peu apparent, c’est la grandeur du nid à couvain. Un exemple va immédiatement illustrer son importance au point de vue rendement. L’an dernier, notre récolte de miel de bruyère atteignit huit tonnes. Elle en aurait certainement fait onze et plus n’était que, par malheur, durant mon absence, les colonies n’ont pas disposé de l’espace voulu. L’apiculteur professionnel le plus fort d’Angleterre avait 960 colonies à la bruyère. Sa récolte fut de 11 tonnes. Comme toutes ses populations étaient pourvues de reines de notre lignée, la forte différence lui parut tout d’abord incompréhensible. L’année précédente, il avait déjà noté une différence, mais jamais elle n’avait atteint la proportion de cette saison 1952. Cet apiculteur expérimenté dut bien se rendre à l’évidence : la cause résidait uniquement dans la différence de contenance des nids à couvain. Les siens comportaient 13 cadres du type anglais 35 x 20 cm et les nôtres 12 cadres Dadant de 43 x 25 cm chacun, soit approximativement le double comme contenance. Evidemment, malgré la même lignée, ses populations ne pouvaient jamais atteindre la force des nôtres. A tel point qu’il nous voyait obtenir des rendements non pas doubles mais presque triples des siens, preuve de cette capacité de rendement des plus grosses populations que l’on connaît de longue date.
Un nid à couvain restreignant la capacité de ponte de la reine empêche le complet développement et, nécessairement, la pleine capacité de rendement de la colonie. Restreindre ramène la puissance propre des populations à un niveau approximativement correspondant, et par suite, des rendements maxima s’excluent. D’autre part, comment juger encore de la capacité de rendement, puisque celle-ci, du fait que la force de la population est ramenée à quelque chose de moyen, ne peut être estimée qu’avec peine ? Il y a grand risque de tirer de là des conclusions erronées au plus haut point.
Outre la récolte de miel, le nid à couvain de la Dadant nous a ménagé une foule d’enseignements précieux quant à la valeur des divers procédés d’élevage. Dans un nid volumineux, tout dommage que la reine aurait subi au cours de son développement se manifeste aussitôt, ce qui n’est pas le cas dans un nid peu étendu. Dans ce dernier, nombre de méfaits de l’éleveur restent voilés dans l’obscurité et passent inaperçus, l’étroitesse du nid restreignant de toute manière, et considérablement, la fécondité de la reine.
De toute façon, il y a quantité d’impondérables, échappant à tout compte et devant lesquels nous sommes impuissants, qui jouent un rôle important dans la production du miel. Là où, par-dessus le marché, l’indication maîtresse, c. à d. le développement maximum, est soumise à limitation, évaluer avec certitude le rendement devient impossible. Avec le temps, des progrès seront obtenus en ce qui concerne telle propriété évidente comme la douceur, la tendance à essaimer, la résistance à la maladie, etc., mais ces acquisitions s’accompagnent d’une perte de rendement. Lorsqu’il y a restriction permanente du développement maximum, de quelque manière que ce soit, le rendement, couronnement de l’élevage, se dérobe à nos efforts.
Je me rends bien compte, naturellement, qu’un nid à couvain illimité ne se recommande pas dans n’importe quelle région, particulièrement si une miellée précoce constitue la seule et unique récolte.
Comme il l’a été dit à maintes reprises, tous nos efforts en élevage comme en apiculture en général tendent à éliminer tout hasard, tout mécompte, dans la mesure où c’est pratiquement réalisable. Redoubler de précautions s’impose quand il s’agit d’une chose aussi importante que de décider du choix final des sujets d’élevage.
Le rendement maximum mis au premier plan, bien entendu, ne constituera cependant pas l’unique facteur pris en considération. Par exemple une productivité remarquable peut se trouver liée à une certaine agressivité pas nécessairement exagérée. Eh bien ! Une colonie de l’espèce, ou sa reine, ne seront pas retenues pour l’élevage, à moins que ne soient présentes concurremment (et à un degré particulier) des propriétés désirables faisant contrepoids. Pas de règle fixe d’application générale, donc, mais bien décision prise en fonction de chaque cas. Une connaissance précise et préalable des qualités de chaque race et lignée est indispensable pour bien choisir. En cette matière, on attache beaucoup d’importance à une sorte de « doigté »; je ne m’y fierais pas trop. Si ma longue expérience m’a appris quelque chose, c’est bien qu’il est impossible de déterminer à l’avance, de façon certaine, quelle sera en fin de compte la valeur d’une reine. Nous ne disposons pas de moyen ni d’indication nous permettant de distinguer parmi un lot de reines à performances identiques celle qui recèle la plus grande valeur en fait d’élevage. Seul le contrôle de la progéniture nous le dira. Aussi faisons-nous chaque année notre élevage sur un nombre de sujets. Par expérience, nous savons que, dans ce nombre, il y a toujours une reine dont la progéniture surpassera celle des autres, que ce soit pour le rendement ou pour toute autre qualité. Et je rappelle l’exemple de ces 22 colonies dont les reines provenaient d’une même éleveuse et dont la récolte dépassait de 20 kg notre moyenne de 72,5 kg. Le contrôle de la descendance garantit en outre qu’on n’est pas, en élevage, engagé sur une fausse piste. Sans doute, il y a aussi des ratés dans les sujets retenus comme éleveurs, quelque prudent qu’on ait été, mais les premiers contrôles comparatifs de la progéniture les révèlent immédiatement et nous évitent des mécomptes toujours à craindre. La tentation est là, bien sûr, car on voudrait opérer la réunion du meilleur avec le meilleur, mais quelle présomption n’y a-t-il pas, et quelle folie, à s’engager sans contrôle de la descendance, en décidant du meilleur sujet « au doigté ». C’est impardonnable de la part de n’importe quel éleveur.
Vers 1918 parut en Angleterre une petite brochure intitulée : « Let the bees tell you » (Laissez les abeilles vous le dire) traitant de l’élevage sans grands mots, mais avec un sens pratique remarquable. L’auteur mettait l’accent sur la nécessité de ne rien imposer aux abeilles : c’est à elles à nous indiquer la réponse et la solution de tout problème.
Ceci, appliqué à mon propos, se traduirait : « que la décision ressorte du contrôle et des rapprochements opérés sur l’élevage de la progéniture ». C’est la voie la plus sûre et le secret de tout succès. En dehors de là, il n’y a que jeu de hasard et, en matière si complexe, c’est sans espoir.
La vérité du précepte s’applique tout aussi bien aux sujets d’élevage et aux colonies qui auront à fournir les faux-bourdons. Déterminer à l’avance la colonie qui possède des mâles possédant la meilleure hérédité est impossible. La fécondation artificielle a mis en lumière un tas de particularités des mâles dont on n’avait guère notion jusqu’alors. Dans le cas des mâles, il ne peut, hélas, être question de contrôles et de comparaisons. Il faudrait pour cela toute une série de stations d’élevage. Là réside incontestablement le point le plus faible touchant l’élevage des abeilles.
L’appréciation des colonies à mâles se réduit à l’examen de la succession des ascendants maternels. On attribue aux mâles la capacité héréditaire de performance des colonies dont ils sont issus. Leur condition héréditaire correspond à celle de leur mère, sans restriction quelconque et l’héritage maternel correspond, lui, aux qualités et performances de leurs surs, les ouvrières de la colonie mère dont provient la reine. Les performances des ouvrières présentes dans la colonie à mâles qui sont des demi-surs de ceux-ci ne peuvent être prises en considération pour juger de la valeur des mâles au point de vue élevage. Nous en tenons néanmoins compte dans le choix final des colonies à mâles.
Un contrôle et des comparaisons, en vue de déterminer la valeur certaine d’un faux-bourdon donné, sont pratiquement irréalisables. Par suite, nous manquons de repères positifs de la valeur, au point de vue élevage, des sujets pères. Les particularités physiques ne nous donnent d’indication que quant à la pureté raciale.
Ne pouvant déterminer à l’avance avec sûreté quelle colonie va donner les mâles les plus conformes en fait d’hérédité, nous nous exposerions à un trop grand risque en n’ayant qu’une colonie à mâles par station d’élevage, sans préjudice de tous les autres inconvénients que cela comporte. Sous ce rapport, il y a bien trop de choses qu’on regarde comme évidentes et qu’on laisse au hasard. Si le malheur veut que, en dépit de toutes les précautions mises à la choisir, l’unique colonie à mâles soit médiocre au point de vue de l’élevage ce qui, faute de comparaisons précises est difficile à établir le mal est déjà fait sans qu’on puisse y pallier, plus que probablement avant que nous nous en soyons même aperçus.
Nous tournons la difficulté, problème le plus grave de l’élevage apicole, en ne nous en remettant pas à une seule colonie à mâles, mais en en utilisant toujours trois ou quatre. Les sujets maternels de ces colonies sont naturellement surs, et ce qui a pu être sélectionné de mieux parmi cent ou deux cents colonies, toutes pourvues de reines provenant de la même reine éleveuse. Cette élite n’en comportera pas moins des surs non absolument identiques entre elles dans leur conditionnement héréditaire. Par suite, la descendance femelle de ces quatre groupes de mâles voit se produire une variation additionnelle, et une sélection améliorée est rendue possible. La consanguinité n’est pas exagérément poussée.
En outre le nombre des mâles à la station est quadruplé, d’où plus de choix, et la fécondation est plus rapide et plus certaine. Il faudrait une malchance vraiment incroyable, pour que les colonies à mâles s’avèrent toutes ou en majorité médiocres. Quoi qu’il en soit, on procédera à des comparaisons ici aussi. A intervalles, les colonies à mâles seront alternées, durant la période d’élevage, avec d’autres, de lignée différente.
Malgré ce que nous venons d’exposer, lorsque nous faisons des essais spéciaux de croisement, nous n’utilisons qu’un nombre donné de mâles, dont chacun est individuellement sélectionné. Nous en prenons alors environ 25 par reine, mais jamais moins de 2 500 en tout. Ce procédé particulier nous a donné déjà des résultats intéressants à portée économique, sans parler d’indications purement scientifiques recueillies concurremment. Il s’agit là d’une pratique insolite qui se justifie en vue d’essais spéciaux.
Elle a certainement une valeur scientifique, mais à peine une portée pratique de quelque envergure. De fait, même les indications scientifiques qui en découlent n’ont qu’une étendue limitée. Tant qu’il n’y a pas possibilité d’obtenir un résultat approximativement aussi satisfaisant avec la semence d’un unique mâle, ce procédé perd toute l’essence de sa valeur pour ce qui est de l’étude de la marche de l’hérédité.
La question de la fécondation multiple dans la nature et de son importance en élevage est étroitement liée à ce problème que nous venons de traiter ci-dessus. Indubitablement, il y a fécondation répétée plus souvent qu’on ne le pensait jusqu’ici. Cependant la preuve indéniable n’a pas encore été produite que, là où Il y a pluri-fécondation, chaque fécondation en soi a été, en tout ou au moins en partie, effective. A mon avis, les constatations américaines n’ont pas une valeur générale. Les observations, suivant compte rendu original, ont été faites sur une lignée d’aurea consanguine dont les mâles étaient plus que probablement affectés de stérilité. Les proportions numériques devant démontrer la pluri-fécondation effective ne concordent en outre pas sur un point important.
La répétition de la fécondation n’est pas la norme, mais bien l’exception chez l’abeille. Elle est le signe, l’indication de quelque anomalie. La stérilité des faux-bourdons est, probablement, non seulement héréditaire mais encore déterminée par l’élevage.
Comme preuve que la pluri-fécondation n’est pas si générale, voici un cas expérimental : le 19 mai 1945, éclosion d’environ 500 mâles à notre station. Les semaines précédentes avaient été excellentes comme temps, mais celui-ci devint subitement mauvais, précisément ce 19 mai, et resta pluvieux et froid constamment jusqu’au 13 juin. Ce jour-là fut clair et sans nuages, avec cependant un frais de nord-ouest. Ce fut le seul jour où il y ait eu possibilité de fécondation, car les trois jours suivants furent de nouveau nuageux et pluvieux. Le 17, amélioration et, enfin, le 18, pour la première fois, il fit réellement chaud. Le 18 juin, environ 90 % des reines étaient en ponte. Une fécondation répétée avait été ici presque exclue.
Belg.Apic. 18(10) 1954, p255-259
Jusqu’ici nous avons abordé les aspects théoriques et pratiques de l’élevage apicole. Passons à l’élevage des reines proprement dit.
Tout d’abord, je voudrais faire quelques remarques relatives à la nécessité de rejeter toutes les astuces d’élevage. J’ai déjà exposé les enseignements recueillis en la matière grâce à l’emploi de nids à couvain non restreints. Au cours des années, nous avons appris clairement que toute intervention, toute imprudence durant la période de développement, à partir de l’uf et jusqu’au stade de la reine fécondée et en pleine maturité, influencent sans rémission son rendement ultérieur, sa résistance et sa longévité.
Des déficiences manifestement provoquées se traduisent par un échec soudain ou un remérage prématuré en sourdine. Si le dommage est moins grave, la fécondité n’en sera pas moins affectée.
Selon notre expérience, une reine éclose en compartiment d’élevage n’équivaut jamais à celle qui aura vu le jour parmi une population, dans des circonstances normales. Si même la différence ne saute pas nécessairement aux yeux, elle n’en est pas moins là, toujours et sans exception. Toute reine ayant séjourné un certain temps en cage ne sera jamais l’égale de celle qui n’a jamais été emprisonnée. L’effet variera selon l’âge et l’état de la reine lors de la mise en cage. Bref, tout artifice en cours d’élevage est à rejeter et doit être évité dans toute la mesure du possible par tout éleveur soucieux du futur rendement, de la résistance et de la longévité des reines.
Chez nous, sans exception, les colonies fournissant les larves à élever sont toujours constituées de populations comportant un maximum de trois ou quatre cadres Dadant. La pratique de cette limitation poursuit un double but :
La première condition majeure dans l’élevage des larves est indiscutablement que la mère-éleveuse se trouve en plein épanouissement. La quantité de sa ponte doit être limitée pour qu’un un maximum de vitalité soit incorporé aux sujets destinés à être élevés. De même, une reine dont la population se dispose à se remérer ne sera utilisée en aucun cas. Notre expérience nous a donné et redonné la preuve absolue que les séries de larves d’élevage en provenance d’une reine de colonie fort peuplée ne valent jamais celles dont les mères ont eu leur ponte réduite à un minimum. Il en va de même pour une mère-éleveuse ayant fait ses preuves, lorsque les préparatifs de remérage de sa colonie indiquent qu’elle est à bout de forces. Toujours et sans exception, la descendance sera médiocre, selon nous.
Je sais pertinemment que le nec plus ultra en fait de reine ne peut qu’avoir été élevé à partir de l’uf. Mais nous voici aussitôt en présence d’un cas où l’idéal doit céder le pas aux nécessités pratiques, tout au moins dans les grandes entreprises. Une série d’élevage doit comporter au minimum 200 cellules. Si bien qu’il devient indispensable de transférer les larves. Transporter des ufs à l’emporte-pièce n’en donnerait jamais le nombre voulu de même âge. Nous évitons les inconvénients principaux des transferts en ne prenant que des larves ne dépassant pas 12 heures d’âge. Si le pourcentage d’acceptation de si minuscules larves n’est pas aussi élevé que quand on prend des larves ayant jusqu’à 2 jours, c’est sans importance.
Les petites colonies abritant les pourvoyeuses de sujets à élever doivent toujours être bien fournies en jeunes abeilles en nombre approprié. S’il y en a excès, le surplus des butineuses est prélevé, surtout si la miellée donne bien. S’il n’y a pas de miellée, il faut continuellement nourrir à petites doses tout au long de la période d’élevage.
Environ 4 jours avant de commencer l’élevage, un rayon, au préalable bien réchauffé, est inséré dans la colonie possédant la mère-éleveuse. Toutes les douze heures, en vérifie s’il y a ponte. Sitôt qu’il y en a suffisamment, on prépare le transfert que l’on effectuera 3 jours plus tard. Ces colonies ne doivent guère posséder d’autre couvain ouvert, de façon que les ufs destinés à l’élevage disposent d’un excédent de bouillie à partir du premier moment de leur existence.
La valeur économique de toute reine produite dépend des conditions où se sera déroulé son élevage lorsqu’elle était larve. En effet, une ambiance défavorable peut considérablement influencer l’obtention des dispositions héréditaires, au point que certains caractères ne se manifesteront pas du tout. Donc nécessité de conditions aussi bonnes que nous pourrons le faire.
L’élevage des reines se fait selon divers procédés. Les américains ont recours à l’impulsion qui pousse la colonie à se régénérer, aux fins d’obtenir des reines de valeur. Les cellules sont couvées dans un second corps de ruche séparé par une grille, par une population disposant de sa reine. Cela donne de très bons résultats si la colonie est dans l’état désirable, condition assez incertaine dépendant de beaucoup d’éléments ambiants. Durant une bonne miellée, cette méthode échoue complètement. En outre, pour bien faire, il faut qu’il se trouve toujours du couvain dans le corps de ruche contenant les cellules d’élevage. Et si la présence d’une cellule royale élevée sur ce couvain échappe, comme c’est difficile à éviter quoi qu’on fasse, à l’examen le plus soigneux de l’éleveur, toute la série d’élevage est ruinée. Bien que ce procédé soit fort répandu, nous n’y avons plus recours à Buckfast, depuis des années. Le succès y est question de chance laissée au hasard, ce qui nous paraît inadmissible en matière aussi importante. Le hasard doit être éliminé, et aussi l’influence des conditions atmosphériques et de la miellée. Nous voulons une méthode nous permettant de mettre en train un élevage à un moment déterminé, d’où l’élément hasard soit éliminé et qui nous garantisse de réussir.
Personne ne niera que l’impulsion à essaimer réunit en elle toutes les conditions préalables conduisant à un renouvellement de la reine dans les meilleures conditions possible. L’ambiance extérieure est aussi favorable au maximum au temps des essaims. La fièvre d’essaimage est l’expression, conditionnée par la nature, d’influences ambiantes portées au maximum. Eh bien, nous pouvons provoquer artificiellement l’impulsion à essaimer, plus ou moins à volonté, à un moment déterminé.
Dans le rucher de l’abbaye: groupe de trois colonies préparées pour démarrer l’élevage. Photo Paul Jungels. |
Notre procédé consiste en ceci : une colonie quelconque sur douze cadres Dadant reçoit un second corps, par dessus une grille, avec 12 cadres de couvain operculé et les abeilles les couvrant, si possible prélevés à un rucher extérieur. Cela donnera environ un total de 20 cadres de couvain. Si la miellée ne donne pas, nourrir au miel dilué. Après 10 jours, destruction de toutes les cellules maternelles dans le corps supérieur. Les 3 jours suivants verront la colonie éleveuse regorger de jeunes abeilles. Dans le corps inférieur, contenant la reine, les préparatifs à l’essaimage battent à ce moment leur plein : les conditions les meilleures se trouvent alors réunies dans cette colonie monstre pour soigner et élever les reines. C’est l’âge des sujets à élever, âge que nous connaissons exactement 3 jours à l’avance, qui va déterminer le moment où nous démarrons l’élevage. Ce jour là, vers 10 h du matin, le corps supérieur prend la place du corps inférieur. On retire ensuite la reine.
De jeunes abeilles sont brossées à partir des cadres de couvain ouvert. Photo Paul Jungels. |
Puis les abeilles de 8 cadres environ, soit de ceux comportant le plus de couvain non operculé, sont brossées dans la colonie éleveuse. Celle-ci contient après cette opération toutes les butineuses, un excédent de nourrices ainsi que du miel et du pollen. Le penchant à essaimer est très développé. Comme reine et couvain ouvert ont été enlevés, les meilleures conditions existent pour que les sujets à élever soient immédiatement acceptés et soignés. La bouillie que les nourrices ont élaborée durant les 3 ou 4 heures d’intervalle, entre l’enlèvement de la reine et l’introduction des sujets à élever, fera que ceux-ci vont en recevoir aussitôt lorsque, vers 2 h après-midi ils seront mis en place dans la ruche. Ici. pas de risque que les minuscules larves restent négligées pendant les premières heures, ni d’autres éléments laissés au hasard. S’il n’y a pas de miellée, nourrir à dose convenable, en continuant jusqu’à operculation des cellules royales.
Comme second procédé sûr, nous avons souvent recours aux abeilles nourrices brossées. A un rucher annexe, les nourrices de deux rayons à couvain ouvert, par ruche, sont brossées et secouées de 10 ruches dans une ruche d’élevage : soit les abeilles de 20 cadres. La ruche d’élevage comportera 8 cadres Dadant bien pourvus de pollen frais et de miel. Elle est ramenée au rucher principal, l’entrée en est libérée et on lui donne un nourrisseur de miel dilué. Quatre heures plus tard, environ, les cellules à élever lui sont confiées. Si on opère sans miellée, les colonies du rucher annexe dont on va brosser des abeilles, doivent être nourries de façon continue durant les 5 jours précédents, condition indispensable pour que les nourrices soient amenées à se trouver dans la condition voulue.
Les deux procédés donnent des résultats certains, conformes à nos exigences. Le nombre de cellules royales, ici comme dans tout procédé quelconque dépend du nombre des nourrices et de leur zèle. Un bon éleveur s’intéressera cependant plus à la qualité qu’au nombre. Il n’y a rien qui ne coûte aussi cher en apiculture que des reines médiocres. Au cours de mes voyages de l’an passé, un éleveur m’exhiba une série de jeunes reines dont il était véritablement fier. Pour moi, il sautait aux yeux que, rien que sous l’angle commercial, cette collection d’êtres en miniature devait ruiner irrémédiablement sa réputation d’éleveur. Il s’agissait de reines pygmées dont le développement avait été entravé par sous-alimentation.
Il faut cependant dire ici que la taille de la reine n’est pas synonyme de fécondité. Les Cypriotes sont en moyenne de petite taille et cependant parmi les plus prolifiques qui existent. Des reines de nos élevages sont plus petites que les Carnica. Les reines de Mellifica sont grandes et cependant peu prolifiques, selon nos observations.
Encore une remarque importante : que ce soit pour l’une ou pour l’autre de nos deux méthodes, nous élevons UNE série, jamais une seconde. Ce serait cependant possible, en particulier par le premier procédé, mais la seconde série n’aurait jamais autant de valeur que la première.
Les cellules restent dans la colonie jusqu’à maturité complète. Au 10me jour après transfert des larves, la colonie et tout son contenu sont transportés à la station d’élevage. Sitôt l’arrivée, les cellules mûres sont introduites dans les petites populations pour fécondation. Si l’on utilise les abeilles de la ruche nourrice, pour renforcer la population des caissettes à la station d’élevage, il faudra nécessairement auparavant piéger les mâles indésirables.
Dans toute pratique de station d’élevage, un élément extrêmement important est constitué par la forme et la grandeur des caissettes, suivant lesquelles le travail est facilité ou compliqué et aussi le succès mis en question. Le climat, chez nous, et notre technique, nous mettent en présence d’exigences particulières à ce point de vue. Nos essais se poursuivirent pendant 20 ans pour trouver le type nous convenant le mieux. Nous avons essayé presque toutes les formes et modèles, de la plus petite section américaine à la boîte avec des rayons entiers à la dimension du standard anglais; de même les logements individuels et les multiples. Durant 12 années nous avons utilisé avec succès des demi cadres standard anglais, 4 populations chacune à 3 cadres étant logées dans chaque caissette. C’était avantageux en été mais beaucoup trop petit en hiver. Finalement, après d’autres essais encore, les demi cadres Dadant s’affirmèrent la seule solution nous convenant. Les caissettes que nous utilisons depuis 1937 sont bâties de telle sorte qu’elles peuvent contenir 16 demi cadres Dadant. Chaque caisse est divisée en deux et chaque moitié subdivisée en deux également par partitions amovibles.
Nous disposons donc de 4 compartiments comportant chacun 4 demi cadres de 19x25 cm. Cela suffit pour que ces petites populations se sustentent elles-mêmes durant un été normal, et c’est assez petit pour qu’il ne se manifeste pas de tendance à élever des mâles, en étant assez grand pour hiverner les reines en observation.
Comme l’avait déjà démontré l’Américain Prat il y a un demi-siècle, il est possible de réaliser une fécondation avec une population miniature de quelques douzaines d’abeilles. Actuellement il circule des rapports relatifs à des réussites avec seulement douze abeilles. Néanmoins, pour qu’une reine soit traitée convenablement et atteigne sa pleine valeur, l’existence d’une population comportant un nombre minimum donné d’unités, un état de choses social sont requis.
Divers logements utilisés actuellement à la fécondation n’atteignent guère ces minima. En outre un régime basé principalement sur le sucre n’a que peu de chance de concourir au meilleur résultat durant cette période délicate du développement d’une reine.
Nous évitons toute intervention qui ne soit pas absolument nécessaire pendant la période de développement d’une reine, depuis l’uf jusqu’à la maturité complète, qui se place environ 4 semaines après fécondation : sauf le transfert et ensuite la mise en place des cellules mûres, nous n’intervenons en rien. L’introduction finale, après contrôle, est pratiquée sans séjours plus ou moins prolongés en cage d’introduction.
Ici, sur le continent, on n’utilise presque exclusivement qu’une seule colonie à mâles par station. Nous en tenons en moyenne quatre dans chacune des nôtres (Quelques années plus tard, il en utilisera six. NdTR). Nous avons déjà exposé pourquoi nous nous écartons de la pratique courante : plus de sûreté dans l’assortiment de mâles, fécondation plus rapide et plus certaine.
Nota bene. Suite à la publication d'un modèle mathématique décrivant le phénomène des fécondations multiples, les Danois en utilisent au moins une douzaine. JMVD.
Les colonies à mâles doivent être, en permanence, maintenues en forme et en état de jouer leur rôle dans l’élevage. Il faut absolument veiller à ce que les mâles soient en bon état physique, que leur élevage ait été entouré de tous les soins désirables. Problème compliqué, car une lignée d’élevage hors pair est prompte à l’extrême à chasser ses mâles lorsque du mauvais temps persiste quelque peu. La remède consiste en ce cas à nourrir de façon continue au sirop 2/3 de miel et 1/3 d’eau chaque fois qu’il y a interruption dans la miellée. De plus, ces colonies seront fréquemment renforcées par l’apport de jeunes abeilles durant la saison d’élevage. Toute colonie à mâles doit, constamment, regorger de nourrices, étant donné que la valeur d’élevage des mâles de choix est conditionnée dans une forte mesure par la façon dont ils sont couvés et soignés.
La nôtre est au milieu de la lande de Dart (Dartmoor), un plateau étendu, distante d’environ 17 km de l’abbaye, et située à 400 m d’altitude dans la cuvette abritée d’un vallon. Sa position, au flanc d’un coteau couronné de pins, la protège fort efficacement du vent dominant du sud-ouest. La station est bien isolée, pas de ruches à 10 km à la ronde. En outre, cette lande présente à notre point de vue ce précieux avantage d’être totalement dépourvue d’arbres et inhabitée. Le climat, sur la bruyère découverte, est si rude qu’aucun essaim ne peut que rapidement périr dans cette nature sauvage.
On a, les temps derniers, fort mis en doute la valeur des stations d’élevage. Sans doute est-il très difficile de découvrir des stations d’élevage absolument sûres. A mon avis, un rayon de 5 km complètement sans abeilles est indispensable. Il y a des années, j’observais nos abeilles à 5 km exactement de notre station. Le temps, par hasard, favorisait ce jour-là, le vol à cette distance.
Des chaînes montagneuses, de la futaie, etc. restreignent cependant le rayon de vol des mâles.
Un isolement insuffisant mis à part, ce qui a causé la faillite de nombreuses stations d’élevage est très certainement le recours traditionnel à une unique colonie à mâles, entraînant une densité insuffisante de mâles, ou aussi un nombre insuffisant de mâles mûrs en état de féconder.
Les effectifs de mâles à notre station durant la saison d’élevage, du 20 mai au 20 juin, atteignent environ de 15 à 20 000 en état de féconder, en relation avec un maximum de 500 reines dans le même temps.
Original : Deutsche Bienenwirtschaft et Bee World paru en français, en 1954, par épisodes, dans La Belgique Apicole, vol. 18 avec leur permission. |
Article du Frère Adam, O. S. B., Abbaye St. Mary, Buckfast, Sud Devon, Angleterre. Traduction et adaptation française par Georges Ledent, Bruxelles, Belgique. |