Grenoble (France) le 14 février 1987 |
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Frère Adam Kehrle, O.S.B., Abbaye St. Mary, Buckfast, Sud Devon, Angleterre Adaptation française Raymond Zimmer |
C’est pour moi un grand honneur d’avoir été invité à cette manifestation. J’ai accepté de venir sans hésitation aucune, car je porte un grand intérêt à l’apiculture de votre pays. Vos professionnels sont parmi les plus performants d’Europe. J’ai pu constater à maintes reprises qu’ils savent obtenir les meilleurs rendements avec le minimum de moyens. Les apiculteurs français sont en effet des techniciens astucieux qui ont su garder autant leur liberté que la capacité d’innover. Mais avant tout je voudrais adresser mes sincères remerciements à Yvon Achard ainsi qu’à tous les responsables des organismes apicoles ici présents, qui ont bien voulu m’inviter.
J’apprécie également cette invitation, car elle va me permettre de mettre en évidence les particularités de la pratique apicole indispensable pour obtenir des rendements maximum avec l’abeille en général et l’abeille Buckfast en particulier.
En tant qu’éleveur de la Buckfast, il me sera sans doute possible de dire assez objectivement quelles sont ses capacités productives réelles, mais aussi ses limites. Et aussi de montrer par quelles qualités elle se distingue des autres races.
En contact quotidien avec l’abeille depuis près de 70 ans, et cela dans une grande exploitation intensive, on acquiert indiscutablement des vues et connaissances, qui sont interdites à la plupart des apiculteurs et scientifiques.
Je ne voudrais pas ici parler des problèmes du quotidien de l’apiculture, ni des méthodes apicoles spécifiques à des conditions particulières d’exploitation et de miellée. Je voudrais plutôt me concentrer sur les bases indispensables, lorsque l’on essaie d’atteindre des rendements supérieurs. A Buckfast les buts visés étaient toujours rigoureusement économiques, liés à une perte minimale de travail et de temps. Nous tenons également compte de l’investissement pour la construction des ruches et le matériel nécessaire.
Le volume de la chambre à couvain est de la plus grande importance, pour obtenir les plus hauts rendements par ruche. Ce n’est ni la forme, ni la construction d’une ruche qui détermine le rendement, mais la force de la population. Seule une chambre à couvain illimitée peut donner des rendements supérieurs dans des conditions de miellées déterminées. Elle seule permet un total épanouissement des possibilités de ponte de la reine. A cela s’ajoute un minimum de travail et de temps. Dans une entreprise rentable cela est aussi important que les résultats réels des récoltes.
C’est à Hanovre à 1953 que j’ai pour la première fois relevé l’importance de la chambre à couvain illimitée tant pour l’économie que pour l’élevage. En Allemagne cela a été ressenti à l’époque comme révolutionnaire, car la mode générale allait dans une direction opposée, dans l’idée que l’on obtiendrait ainsi plus de miel. C’est l’inverse qui est vrai. Il est bien entendu que l’on peut produire du miel dans n’importe quelle ruche, toutefois avec des résultats forts différents.
Lorsque l’on utilise deux corps pour le nid à couvain, ayant une surface de rayons identique à celui de la ruche Dadant, l’on n’obtiendra pas le même rendement qu’avec la ruche Dadant, contrairement à une opinion largement répandue. Cela n’empêche personne d’utiliser cette méthode avec succès, mais selon notre expérience, d’authentiques très hauts rendements ne peuvent être atteints. Les résultats de récoltes correspondant à ces deux manières de faire peuvent même présenter des différences importantes Ce qui, dans notre cas, se manifeste avec le plus d’évidence lors de la récolte sur la bruyère. A l’époque où nous utilisions la mesure de cadre anglaise (un cadre un peu plus grand qu’un demi-cadre Dadant, cadre appelé en Angleterre « British standard » et en Belgique « WBC »), nous récoltions, dans des conditions identiques de miellées, systématiquement la moitié de ce que nous rapportaient les ruches Dadant (12 cadres). Durant une période de 15 années, ces résultats se confirmèrent indiscutablement en comparaison avec les 2000 ruches d’un apiculteur professionnel qui utilisait notre abeille, mais avec la ruche anglaise citée plus haut.
Voici encore une autre réflexion : une authentique sélection d’élevage, et par-là même, une réelle comparaison du rendement est une chose impossible là où la fécondité maximale d’une reine est entravée. Il en est de même là où les ruches sont disposées en lignes ou encore si elles sont mises dans des ruchers pavillons (et parfois entassées en plusieurs étages, comme cela se voit en Allemagne et en Autriche). Or, une sélection sans faille est la base même du progrès dans une exploitation moderne. Nous sommes contraints, d’accepter cette réalité, que cela vous convienne ou pas. Sans une reine de la meilleure lignée et de la plus grande vitalité, une ruche Dadant comme la nôtre, alliée à notre méthode de travail, serait inutile. Certes, il existe des souches d’élevage ayant une fécondité extrême, comme par exemple les Italiennes des U.S.A., avec leur couleur claire et brillante, capables de développer des ruches surpuissantes, mais qui échouent dans nos conditions climatiques par manque de vitalité et de résistance, de force vive. Exception faite d’une consanguinité étroite ce sont les conditions de l’élevage qui détermine la vitalité et la qualité d’une reine. Selon notre expérience, des influences négatives ou positives sur le développement d’une reine trouvent déjà leur origine dans les conditions dans laquelle se trouve la mère de cette reine.
Dans l’élevage animal en général, il est rare que l’on entreprenne l’élevage à partir d’un individu qui se trouverait manifestement dans un mauvais état, qui serait malade ou donnant des signes de sénilité. Chez les apiculteurs, par contre, on pense que les reines issues de la supercédure seraient les meilleures. Il y a ici une erreur flagrante, clairement mise en évidence par la ruche Dadant. Effectivement, nous n’avons jamais pu trouver de cette manière une reine de souche pleinement valable. De ce fait, depuis des années, nous remplaçons ces reines lors du remplacement annuel des reines, au printemps. On les reconnaît à leur aile non clippée.
Pour les besoins de nos élevages d’essais, nous utilisons de temps à autre des larves pour le picking, issues de ruches de production. Ces reines ne se distinguent jamais par une qualité optimale. Par contre, il n’est pas difficile de comprendre que les œufs d’une reine d’élevage, qui pond moins de 300 œufs par jour, ont davantage de vitalité que ceux d’une reine pondant 3000 œufs par jour. Nos essais de comparaison le prouvent indubitablement. C’est pour cette raison que les reines d’élevage prévues à cet effet sont systématiquement mises, durant la saison d’élevage, dans des nuclei. Par contre nous évitons également tout excès d’artifice et de technicité durant la période d’élevage. Nous évitons par ailleurs, et autant que faire se peut, de garder une reine de valeur dans une cage trop longtemps.
Toutes ces importantes connaissances, nous les devons à la chambre à couvain Dadant. Dans les nids à couvain plus petits, les défauts de ce genre ne peuvent pas se manifester. Une reine de 2me ou de 3me catégorie est souvent encore capable de remplir un nid à couvain de dimension modeste. Mais elle ne pourra jamais accéder au rendement auquel nous voulons aboutir. Je dois néanmoins avouer que la conversion à la ruche Dadant chez nous à Buckfast ne s’est pas faite pour des raisons de technique d’exploitation. Au début nous n’avions aucune idée des connaissances et résultats qui allaient en découler. Même des différences réelles de rendement nous ont en partie surpris.
Je ne puis contourner la question concernant la « Meilleure Abeille ». A vrai dire, il faudrait l’appeler : l’abeille la « plus productive et la plus rentable ». Dans les buts que nous voulons atteindre dans notre sélection, nous ne perdons certes pas de vue l’uniformité des caractéristiques extérieures, mais nous tolérons aussi, à l’intérieur de certaines limites, des variations de la couleur.
L’abeille Buckfast type est de couleur brun cuir. De temps en temps certaines personnes pensent que nos buts d’élevage sont gardés secrets. La réalité est que dans mon livre « Les Croisements et l’Apiculture de Demain » page 120, toutes les caractéristiques essentielles sont mentionnées. Cette liste comporte 16 caractéristiques, dont 11 se rapportent directement au rendement. En plus ces caractéristiques sont signalées par des chiffres et des signes (+ et –) qui correspondent à des résultats obtenus durant une longue période. Il semble que, dans l’ensemble de la littérature apicole, ne soit nulle part fait mention de données (positives) comparables, pour l’orientation d’un élevage déterminé. Par ailleurs ces valeurs s’appuient sur des comparaisons concrètes, réalisées sur des bases aussi larges que possible. Ces comparaisons établissent en même temps le standard pour onze races et croisements de l’abeille.
Comme déjà signalé, nous n’accordons pas de valeur particulière à l’uniformité des caractéristiques extérieures. Il est facile de les obtenir par une consanguinité sélective, mais seulement au détriment du rendement et de la vitalité générale. Par contre, une uniformité héréditaire sûre des qualités économiques, est le signe par excellence, ainsi que le but, d’un effort d’élevage réaliste. Les résultats positifs, dans le cas de l’abeille Buckfast, mis en évidence dans les différents climats et parties du monde, prouvent que l’élevage a été conséquent. Un élevage pur de ce genre est indispensable dans notre apiculture moderne. Elle est la base du succès économique. Toutefois, d’après moi, de temps à autre, l’importance économique directe de l’élevage pur est surestimée. Elle peut seulement, dans des croisements F1 ou F2, en relation avec l’hétérosis, faire état de rendement maximum et cela dans des croisements de hasard convenable. Des croisements sélectifs sont l’idéal. Mais dans tous les cas, c’est la valeur réelle de la reine d’élevage qui est déterminante. Tous les apiculteurs ne disposent pas d’une station de fécondation fiable, ni de possibilités pour le développement d’une haute sélection. Mais cela n’est vraiment pas indispensable. La valeur d’une reine d’élevage sur le plan génétique conditionne souvent la valeur économique des croisements. Grâce à une reine d’élevage sûre, chaque apiculteur peut, pour une somme relativement modique, et par des moyens simples, profiter des fruits des spécialistes. L’élevage de croisement est un chapitre en soi, qui ne peut être traité ici dans le détail. Le livre « Les Croisements et l’Apiculture de Demain » contient un résumé de mes expériences en ce domaine.
Je dois néanmoins mettre en évidence que chaque race géographique, élevée par la nature elle-même, comporte des qualités et des défauts. Généralement vu, elles possèdent des dispositions héréditaires. Dispositions dont aura besoin l’éleveur qui veut progresser dans la création d’une race dite artificielle qui corresponde aux exigences d’une apiculture moderne.
D’une certaine manière, je devrais ici vous proposer quelques races géographiques pour votre utilisation. Mais par-là je ne vous rendrais aucun service. Mes explications se rapportent constamment sur une certaine race artificielle. Elle a été obtenue par un difficile travail de plus de 70 ans par le moyen de l’élevage de combinaison. Sincèrement, chaque fois qu’un apiculteur s’adresse à moi dans l’intention de passer à l’abeille Buckfast, il obtient invariablement la même réponse : s’il vous plaît, expérimentez d’abord cette abeille. Si elle vous réussi, alors seulement une conversion générale sera justifiée. Ici à Grenoble, je dirai la même chose. Je me permets encore de mentionner que j’avais déjà fait une déclaration analogue, il y a bien des années, dans les journaux d’Europe centrale.
D’autre part, je n’ai pas non plus le droit de cacher les expériences faites à travers le monde entier. Ainsi, il y a plusieurs années, à l’université de Minnesota (U.S.A.), on a fait des tests de comparaison entre les six élevages les plus répandus. Outre le rendement en miel, on a également contrôlé les plus importantes qualités économiques. Parmi elles, il y avait aussi la longévité de la reine. La Buckfast s’est montrée supérieure, non seulement pour le rendement, mais aussi pour presque toutes les autres qualités.
Dans les pays scandinaves, notamment en Suède, la Buckfast jouit d’une très grande popularité. Comme on vient de me l’affirmer récemment, on ne trouve actuellement plus que quelques ruches qui n’auraient pas subi l’influence de la Buckfast. Manifestement, selon les indications reçues, elle a excellemment fait ses preuves là-bas, même au-delà du cercle polaire. Une preuve évidente que l’hypothèse d’une acclimatation repose sur des illusions.
Un autre apiculteur qui, par contre, subit déjà les effets du climat continental, me donne annuellement des indications précises de chacune de ses 30 ruches. Il pratique le renforcement automnal tel qu’il est décrit dans le fascicule de Raymond Zimmer, « L’Abeille Buckfast en Question(s) ». Ces renseignements concernent l’origine de chaque reine, les résultats réels d’extraction de chaque ruche lors des miellées printanières, d’été et d’arrière-saison, et de plus le nombre de velléités d’essaimage. Lors de l’enlèvement de la hausse, celle-ci est pourvue du numéro de la ruche correspondante puis elle est pesée avant et après l’extraction (les mêmes cadres sont remis dans la hausse d’origine pour cette pesée). En 1985, les miellées de colza et de forêt étaient excellentes. La moyenne obtenue sur les 30 ruches est de 182 kg par ruche. La meilleure ruche a donné en tout 253 kg à l’extraction.
Cela n’est, certes pas, un record mondial, mais cela n’a sans nul doute pas été dépassé en Europe. Comme j’ai pu moi-même constater à la mi-août toutes ces ruches comportaient en outre 30 kg supplémentaires dans le nid à couvain de la Dadant 12 cadres ! Certes l’apiculteur en question est manifestement dans de bonnes conditions de miellée, mais il doit transhumer. 1985 a été sa meilleure année. Sa moyenne générale sur 7 ans (depuis 1980) est de 106 Kg par ruche.
Les rendements moyens obtenus sur une série d’années, conditionnent le profit d’une apiculture rentable. Je considère constamment les rendements de pointe comme une provocation pour exploiter davantage encore les possibilités d’élevage. Mais aussi comme une preuve concrète que nous ne nous sommes pas égarés dans une impasse. Ou dans des idéaux d’élevage ou de sélection de race pure. On n’aime guère citer des records, et pourtant, ils agissent comme stimulant et encouragent ceux qui se donnent beaucoup de peine sans obtenir encore les résultats qu’ils devraient atteindre.
J’ai peut-être éveillé l’impression que les résultats de récoltes seraient le seul critère de décision dans une apiculture moderne. Vu d’une façon strictement objective, cela n’est pas le cas. Comme déjà signalé, le travail et le temps réel passé par ruche, jouent un rôle essentiel. Comme nos recherches le montrent, il existe des souches et croisements qui se montrent très capables de performances, mais qui sont peu rentables soit parce qu’ils sont extrêmement agressifs ou essaimeurs. Nous avons, non seulement besoin d’une abeille aux performances maximales, mais aussi très peu essaimeuse, douce, calme et d’une extrême vitalité. Selon la répartition de la Buckfast sur tous les continents, et cela fort discrètement, il semble que cette abeille corresponde aux exigences de l’apiculture moderne. Elle ne tolère pas d’être dorlotée, mais elle ne tolère non plus que l’on néglige les soins appropriés spécifiques à ses particularités.
Dans mes propos d’aujourd’hui, je me suis confiné aux facteurs essentiels sur lesquels toute apiculture moderne doit s’appuyer, là où des rendements moyens maximum sont liés à un minimum de perte de temps et de dépense. Je fais, bien entendu, abstraction de conditions locales particulières.
L’élevage de reines de valeur, mais aussi l’utilisation de la descendance d’une souche d’élevage testée et confirmée, sont le fondement de la réussite dans tous pays et sur tous les continents.
Grenoble (France) le 14 février 1987 |
Frère Adam Kehrle, O.S.B., Abbaye St. Mary, Buckfast, Sud Devon, Angleterre Adaptation française Raymond Zimmer |