si vous préférez,
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par Paul HACCOUR Maroc |
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Extrait de La Belgique Apicole
, 25(1-2), 1961, p13-18 |
Les apiculteurs wallons qui, avant la guerre 1914-1918, s’intéressaient à l’apiculture rationnelle ont conservé un agréable souvenir des visites organisées qu’ils firent au rucher de M. F. Haccour, président de la Limburgshe Bieënteelers à Bourg-Léopold. Son fils, Paul Haccour, apiculteur professionnel, s’est établi au Maroc où il conduit d’importants ruchers. Sa communication sur l’abeille saharienne, que nous reproduisons ci-après, intéressera certainement nos lecteurs.
L’abeille saharienne est l’une des trois races peuplant les ruchers du Maroc; elle vit dans le Sud marocain, plus particulièrement dans le Tafilalet. Ce territoire, d’une altitude moyenne d’environ 700 m, situé au sud du Haut Atlas, en bordure de la frontière algérienne et du Sahara, possède des palmeraies arrosées par des oueds qui permettent, malgré leur régime torrentiel, des cultures étendues. Le climat, de caractère présaharien, est sévère : on y enregistre d’importants écarts de température entre le jour et la nuit. L’air y est très sec : en hiver, il gèle, en été, le thermomètre marque facilement 48°C à l’ombre, et des vents de sable fréquents et pénibles arrêtent, quand ils soufflent, toute activité. Par surcroît, des invasions acridiennes périodiques entraînent à la mise en œuvre de puissants moyens de destruction qui, s’ils sont efficaces à l’encontre des sauterelles, anéantissent aussi les insectes utiles, en particulier les abeilles.
Les principales ressources apicoles de la région sont d’abord le palmier dattier et plusieurs espèces d’arbres fruitiers. Le maïs, l’orge alimentent les populations; des luzernières et diverses légumineuses entretiennent un bétail important et, le long des routes et des pistes, sont plantés des eucalyptus et des tamarix. Dans les étendues désertiques croissent des genêts, des saxifrages, des composées épineuses, des trèfles qui fleurissent à des époques différentes et assurent une importante production de miel de très bonne qualité.
C’est dans cette ambiance que vit l’abeille saharienne. Celle-ci, de couleur jaune-rouge, s’apparente à ses congénères Cypriotes ou à celles d’Asie Mineure, pays d’où elle a dû vraisemblablement être importée voici plus de deux mille ans, à la suite des migrations juives.
L’importante barrière du Haut Atlas sépare le Sahara du reste du Maroc, isolant du même coup le Tafilalet et empêchant la race locale d’abeille de se mélanger avec celles du Nord. Aussi cette race saharienne a-t-elle conservé ses caractères propres, tout en s’acclimatant et se multipliant dans les oasis.
Le Tafilalet est ainsi devenu le berceau marocain de l’abeille saharienne. Puis, avec le temps, celle-ci a emprunté le chemin des caravanes qui longeaient le Haut Atlas en direction de l’Atlantique et s’est infiltrée dans les basses vallées, pour gagner finalement les plaines du Souss où elle a rencontré les abeilles noires, Telliennes et Marocaines, races très agressives. Des croisements donnèrent alors un hybride très résistant et très prolifique, en même temps que moins agressif, dont les individus — abeilles ou mâles — sont tous de couleur jaune-rouge; seules les reines ont le ventre jaune clair, avec un dos noir.
Lors de mon installation au Maroc, mon attention fut attirée, au cours d’une visite dans le Souss, par cette abeille de race jaune que je pris pour la véritable saharienne décrite dans les ouvrages d’apiculture par Philippe BALDENSPERGER (†1948), professeur à Jérusalem vers la fin du siècle dernier et au début du nôtre, lequel étudiait à l’époque toutes les races possibles, pour découvrir la mieux appropriée à une production industrielle du miel.
Je fis donc des élevages de cette race et, à un certain moment, j’obtins une reine entièrement jaune-rouge, ou plutôt rouge-chaudron. Je crus à une mutation, mais un voyage de prospection effectué vers 1935 dans le Tafilalet et les oasis du Figuig me permit d’identifier la véritable race saharienne. En ramenant à Sidi-Yahia du Gharb des souches achetées au cours de ce déplacement, j’entrepris alors un élevage pur et commençai la sélection en vue d’obtenir une race homogène.
L’abeille saharienne est de dimension moyenne. Très douce, elle tient bien le cadre et on la manipule sans fumée. Sa robe est d’un jaune-rouge, semblable à celle de l’abeille d’Asie Mineure; ses premiers anneaux sont jaune-rouge, très larges et bordés d’un trait noir, le troisième plus étroit, les deux derniers noirs, garnis de poils jaunes. La langue, plus longue que chez les telliennes, mesure en moyenne 7,7 mm et atteint jusqu’à 8,2 mm comme j’ai pu le constater à diverses reprises, ce qui pourrait expliquer la puissance de cette abeille comme butineuse et les grandes réserves de miel qu’elle peut accumuler par rapport à ce que réalisent les autres races, Le mâle est très gros, comparé aux races noires; il possède un très large anneau jaune-rouge, le deuxième très fin, les autres noirs, garnis de longs poils jaunes; le ventre et les flancs sont très jaunes. La reine est très longue et grosse, de couleur jaune-rouge tirant au rouge-chaudron, avec la pointe de l’abdomen souvent foncée, parfois même noire. On en rencontre aussi où un étroit filet noir souligne les segments de l’abdomen. Cette reine est très prolifique et règle sa ponte avec beaucoup d’économie; au printemps elle arrive, grâce à la douceur du temps, à pondre au-delà des possibilités des couveuses.
Les abeilles sahariennes vont butiner très loin et j’ai pu en rencontrer à plus de 8 km de leur ruche. Mises en compétition avec les autres races locales, elles récoltent beaucoup plus de miel et de pollen et sont en même temps très économes. Contrairement à la race tellienne qui poursuit son élevage tant qu’elle a des provisions, même si la miellée est terminée, la Saharienne en effet la réduit aussitôt et garde précieusement ses réserves.
Les apiculteurs du Tafilalet logent leurs abeilles dans l’épaisseur des murs de leurs habitations. Les cavités aménagées à cette fin sont de faibles dimensions : 20 cm de haut, 25 cm de large, 50 cm de profondeur sont fermées par un panneau mobile constitué d’une planche ou, plus souvent, d’un clayonnage de roseaux fendus, enduit d’une argile mélangée à de la menue paille ou de la bouse de vache. Ce type de ruche, dont le volume est d’environ 20 à 30 dm3 est visiblement trop exigu, car il faut au moins 60 dm3 pour loger la ponte normale d’une reine; aussi force-t-il les abeilles à un essaimage fréquent.
L’entrée de la ruche est située sur le côté, à l’extrémité d’un petit couloir de 20 à 30 cm de long, et cette entrée est elle-même protégée par une planchette perforée de trous rapprochés, dont le calibre permet le passage des abeilles mais interdit celui des parasites tentés de pénétrer dans la ruche, en particulier les gros coléoptères.
Malgré leur ingéniosité, ces ruches au volume ridiculement réduit ne permettent pas une apiculture rentable et, comme il est dit plus haut, conduisent les abeilles à essaimer trop souvent. La récolte de miel est, dans ces conditions, nécessairement minime et les réserves sont toujours trop faibles pour permettre un estivage convenable, d’où une grosse mortalité durant les fortes chaleurs de l’été et la nécessité, pour l’apiculteur soucieux de conserver ses abeilles en vie, de leur fournir, durant les périodes de disette, des figues ou des dattes humectées d’eau et écrasées.
L’ensemble de ces conditions défavorables — climat, habitat, nourriture — a sélectionné une race réellement très rustique et très résistante qui, par ses caractères, se différencie des autres abeilles.
La récolte du miel a lieu après la moisson des orges, vers le mois de mai. La totalité du produit est consommée sur place, une bonne part en rayons que l’on écrase à la main et que l’on laisse égoutter dans les poteries appropriées, percées de trous. La partie liquide est, de son côté, conservée dans des pots vernissés.
Lorsque l’apiculteur du Tafilalet récolte sa ruche, il l’enfume à l’aide d’un enfumoir en terre cuite, semblable à une louche coiffée d’un couvercle percé de trous; un manche de 20 cm permet de tenir l’engin à portée des lèvres et d’y souffler par une large ouverture, afin d’activer la combustion d’une bouse de vache séchée, qui développe une abondante fumée blanche.
Quand on dégage le panneau de fermeture, les abeilles abandonnent progressivement les rayons suspendus au plafond de la ruche pour se rassembler en grappes dans le couloir d’entrée, ou sur le mur, près de l’entrée. La forme de la ruche permet à l’apiculteur de suivre parfaitement son travail, d’arrêter l’opération en présence du couvain et de cesser de prélever le miel dès qu’il juge suffisante la réserve à conserver.
Pour un observateur averti, la quantité de miel amassée dans de si petites ruches est surprenante; aussi, dès que l’abeille saharienne est logée dans de confortables ruches à cadres, a-t-elle vite fait de remplir trois à quatre hausses de beaux rayons très blancs.
Actuellement, des essais comparatifs en grand sont en cours. Pour cela, nous avons édifié un rucher comprenant quatre colonies de cinq races différentes : italienne, tellienne, marocaine, banate et chypriote. Des pesées précises nous donneront une idée comparative des possibilités de chacune.
De même, nous avons confié des essaims à diverses stations expérimentales, en vue d’essais comparatifs permettant de juger du comportement, en différentes régions du globe, de cette race saharienne que l’on peut dire nouvelle bien qu’elle soit très ancienne.
Nous serions très heureux, pour terminer, si notre travail de sélection et de diffusion pouvait conduire à une amélioration des rendements, avec une race douce, de maniement facile, et s’il parvenait ainsi à aider l’apiculture en général.
Extrait de La Belgique Apicole
, 25(1-2), 1961, p13-18 |
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