Le Frère Adam et
son Abeille Buckfast
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Article par Erik ÖSTERLUND, © Erik Österlund picture PI 5062 B S-69400 Hallsberg (Suède) Avec sa permission Traduction en français par Jean-Marie Van Dyck Namur (Belgique) |
Original anglais dans American Bee Journal
, 123(2), 1983, p 85-88 |
Le Frère Adam envisage de combiner les meilleures qualités des différentes races en une nouvelle super abeille possédant une combinaison de qualités, qui donne une récolte maximum avec un minimum de travail.
Le Frère Adam a consacré une vie, presque 70 années, à développer une nouvelle abeille, l’abeille Buckfast. Il est né le 3 août 1898 dans du sud de l’Allemagne sous le nom de Karl Kehrle. Garçon de 12 ans, il était arrivé en 1910 à l’abbaye de Buckfast, le monastère bénédictin du Devon, Angleterre dans le but de devenir moine. En 1915 il commençait son travail avec les abeilles et en 1919 il reprenait la responsabilité du rucher de l’abbaye.
Le Frère Adam a, dans son livre "Beekeeping at Buckfast Abbey", page 52, formulé son objectif d’élevage comme suit: " Notre but final est de produire une abeille qui nous donnera récolte moyenne constante maximale avec un minimum d’effort et temps de notre part. "
L’idée directrice du Frère Adam est qu’aucune des races natives seules ne possède toutes les meilleures combinaisons possibles de qualités convenant a l’homme. Mais exactement comme pour le programme d’amélioration du maïs, de tels croisements suivis par la sélection peuvent nous donner de meilleures abeilles. Le Frère Adam veut combiner les meilleures qualités des différentes races en une nouvelle abeille super possédant une combinaison des qualités qui donnent à l’apiculteur moderne les récoltes maximales avec un minimum de travail.
Quand l’acarien Acarapis woodi, responsable de l’acariose, envahit les Iles Britanniques, il extermina complètement les abeilles noires natives. Trente des 46 colonies du monastère furent décimées en 1915/16 : tribut à l’infestation des acares (les abeilles noires de l’Angleterre d’aujourd’hui sont les descendantes d’abeilles noires importées). Les 16 colonies survivantes étaient toutes peuplées par des reines Italiennes accouplées avec des faux-bourdons noirs indigènes. C’est le meilleur de ces croisements qui devint la base de la nouvelle abeille du Frère Adam.
Aujourd’hui, il y a, à l’abbaye de Buckfast, 320 colonies de production et 520 nuclei de fécondation; ces derniers sur quatre rayons mesurant 210 mm de large sur 286 mm de profondeur (demi-cadre Dadant modifié). Près de 350 de ces nuclei sont habituellement hivernés et les jeunes reines employées pour remérer les ruches de production le printemps suivant.
Quatre à six colonies peuplées par un groupe de sœurs sont placées sur l’emplacement d’accouplement dans la lande Dartmoor dans le but de production de faux-bourdons. Elles ont chacune deux tiers d’un cadre (Dadant modifié) de rayon de faux-bourdons. L’insémination artificielle est aussi employée pour les expériences de croisement.
Le travail d’élevage du Frère Adam est partagé en deux parties principales. La premier comporte le développement de ses lignées originales, l’abeille Buckfast. La seconde est formée de ses croisements expérimentaux entre les autres races et l’abeille Buckfast, ainsi que leurs générations suivantes. Le développement complet d’un nouveau croisement en une lignée montrant une raisonnable stabilité génétique demande au moins sept années. A ce moment, on a plus que les qualités désirables de la race étrangère dans la nouvelle combinaison. Dans ses lignées originales, il n’a inséré que des caractères de deux autres races, selon son nouveau livre, Züchtung der Honigbiene, Delta-Verlag, Bonn, Allemagne. Vers 1940, il inséra une combinaison développée avec l’abeille noire française, et vers 1960 une autre avec une abeille grecque (de type carniolien. En Suède nous avons aussi des lignées Buckfast qui sont originaires de colonies du Frère Adam appartenant à des lignées ayant des caractères de l’abeille sahariensis et de l’abeille anatolienne. Une troisième partie du travail d’élevage du Frère Adam consiste en des lignées formant des combinaisons développées entre d’autres races et l’abeille Buckfast et n’ayant pas donné de caractères à ses lignées originales.
Un exemple d’une procédure importante de sélection est la présente, dite par Ülf Gröhn de Suède qui visita le Frère Adam plusieurs fois et échangea une correspondance extensive avec lui :
"Dans ses croisements expérimentaux, Frère Adam fait d’abord une sélection rigoureuse de parmi les reines naissantes, partiellement en faveur de la couleur brun-cuir et les couleurs relativement plus sombres. Selon ses résultats les abeilles de couleur très claires sont hautement susceptibles à l’acariose. Seulement 20 pour cent des reines naissantes sont sélectionnées pour les nuclei de fécondation. La moitié de ces reines sont éliminées après que les premières jeunes abeilles sont nées. Le reste est hiverné dans les nuclei et testés dans les colonies de production l’année suivante."
" Dans le développement de ses lignées régulières (autre qu’expérimental), Frère Adam a utilisé différents moyens de sélectionner les reines éleveuses. Une méthode qui a joué un rôle important est l’utilisation de groupes de filles. Il a, une année, obtenu environ 30 filles de chacune de ses 15 éleveuses. La moitié la plus médiocre de ces filles fut distribuée à l’automne (même si elles étaient la moitié médiocre, elles étaient bonnes). Le reste fut hiverné soit sur quatre, soit sur huit demi-cadres Dadant modifiés. "
Huit de tels cadres sur lesquels les nouvelles reines ont hiverné correspondent à presque cinq cadres Langstroth. Les abeilles doivent passer l’hiver avec le miel de bruyère qu’elles ont récolté elles-mêmes et parfois un petit supplément de sucre. Les hivers sur la lande de Dartmoor, où la station de fécondation est située, sont sévères et la température ne dépasse pas 10°C de la mi-octobre à la mi-mars. De sorte que quasi aucun vol de propreté n’est possible sur une période de près cinq mois. Tôt en mars, la consommation des réserves est estimée par le poids et la perte relative entre les croisements et différentes lignées évaluée et par la suite leurs diverses caractéristiques de valeur économique.
Toutes les colonies sont, autant que possible, remérées chaque année sauf les colonies peuplées par les éleveuses. La plupart des nouvelles reines hivernées sont utilisées pour les remérages du mois de mars. Le Frère Adam répartit un nombre égal de jeunes reines de chaque éleveuse dans ses différents ruchers de manière à faire les comparaisons et la sélection aussi rigoureuse que possible. Les meilleures de ces reines évaluées et leurs mères pourront être employées pour les élevages futurs.
Le Frère Adam ne nomme pas les reines d’après les lignées auxquelles elles appartiennent; il leur donne le numéro de le ruche où elles ont acquis leurs palmes. Mais chaque reine, ouvrière et faux-bourdon à l’abbaye de Buckfast a un pedigree connu (et pour ses lignées originales un pedigree enregistré remontant sur une période de plus de cinquante ans), aussi bien du côté paternel que maternel.
Les lignées de l’abeille Buckfast ne sont pas aussi variées que le sont habituellement les différentes lignées commerciales. Et, elles ne sont pas croisées pour former des hybrides multiples.
C’est cette dure sélection, associée à l’emploi de qualités tirées de différentes races, qui fait le succès de l’abeille Buckfast.
Un des premiers pays à importer l’abeille Buckfast fut les Etats-Unis. Maintenant, elle est aussi employée régulièrement en Australie, en Belgique, en Birmanie, au Danemark, en Hollande, en France, en Israël, en Irlande du Nord, en Suède et en Allemagne. En Suède, les premières reines Buckfast furent importées d’un éleveur des Etats-Unis. Beaucoup d’apiculteurs les trouvaient si bien qu’ils voulurent commencer leur propre programme d’élevage. Ils commencèrent à préparer des zones d’isolement. Les apiculteurs de ces zones consentaient à ne garder que des Buckfasts, de manière à favoriser l’obtention de reines Buckfast correctement fécondées. Ils commencèrent aussi un rigoureux programme de sélection à partir des reines Buckfast U.S. et de leurs filles. Mais, ce n’était pas facile à cause de l’hétérogénéité des filles. Cela pourrait avoir été dû à un emploi probable d’une génération de croisement, totalement dans la ligne de vue du Frère Adam : l’abeille Buckfast donne le meilleur résultat quand elle est croisée (comme toute autre abeille).
Vers la fin des années 60, Ülf Gröhn, apiculteur suédois, visita pour la première fois l’abbaye de Buckfast, dans du sud Angleterre. Ce fut le début de son amitié avec le Frère Adam et de son grand intérêt pour l’abeille Buckfast. Sans Ülf Gröhn le travail avec l’abeille Buckfast ne aurait pas été aussi fructueux qu’il ne l’est aujourd’hui en Suède.
Ülf Gröhn vient d’être élu membre de la société d’apiculture suédoise (SBR, Sveriges Biodlares Riksförbund) et président de l’association d’apiculture dans le comté où il vit. Il est vraiment impliqué dans la planification du travail d’élevage avec l’abeille Buckfast.
En Suède, nous n’avons ni l’acariose ni le Varroa. Donc, il est actuellement illégal d’importer des abeilles vivantes de pays avec ces parasites. A cause de cela, Gröhn réalise ses importations d’Angleterre uniquement, qui n’a pas l’acariose, mais le Varroa. Il importe des morceaux de rayons avec des œufs âgés et de jeunes larves, emballés dans des sacs plastiques. Il les garde au frais jusqu’à son retour en Suède (C’est la dessiccation qui est le plus grand danger pour les jeunes larves). En Suède, ils sont immédiatement pris en charge par des nucs sans reine ni couvain avant d’être greffés.
En Suède nous avons deux stations de fécondation sur des îles isolées avec les abeilles Buckfast sous le contrôle de l’Association Suédoise d’Apiculture (SBR), au moins une île privée dans le même but et beaucoup d’endroits de fécondation privés isolés sur le continent. Plusieurs de ces zones sont strictement réservées aux abeilles Buckfast. L’insémination instrumentale est aussi employée.
Le matériel d’élevage nous obtenons de l’abbaye de Buckfast est formé en ce que nous appelons lignées. La lignée 427 par exemple est formée de la progéniture d’une reine qui a peuplé la colonie dans la ruche numéro 427 à Buckfast. Les reines vierges nées des œufs provenant d’Angleterre sont accouplées dans nos stations de fécondation. L’année suivante, les meilleures d’entre elles sont placées sur les îles comme productrices de faux-bourdons. De partout en Suède, les éleveurs envoient leurs reines vierges dans le but d’accouplement avec ces excellents faux-bourdons. Les première et deuxième générations de croisement ainsi que les croisements de lignée sont faits. Pour chaque reine accouplée et pondeuse, nous payons une "royalty" à l’abbaye de Buckfast. En 1982, nous avons, nous-mêmes, obtenu une très bonne combinaison de lignée, et elle sera employée en 1983 sur une de nos îles. La colonie (427/441 x 391), qui donne maintenant les filles productrices de faux-bourdons, faisaient en 1982 une récolte de miel de 158 kg.
Nous avons maintenant sept lignées sur les îles d’accouplement. Une lignée excellente est originaire de la ruche 391, 1979/80 à Buckfast. La colonie susmentionnée qui a produit 158 kg était peuplée par une reine fécondée par des faux-bourdons 391. Dans le rucher, auquel cette colonie appartient, les colonies avec au moins 50 pour cent d’héritage de la 391 ont donné une moyenne de récolte de 134 kg avec un maximum de 187 kg. On devrait peut-être mentionner que le rucher en question est situé où il y a suffisamment de nectar pendant tout l’été. La récolte moyenne de miel pour le toute la Suède est fort en dessous (30 kg). Ces zones très productives sont souvent situées à la frontière entre zones "sauvages" et cultivées qui peuvent donner le plus de nectar : d’érables, de pissenlits, de fruitiers, de framboisiers, de trèfles divers, de colza, de tilleuls, d’épilobes et de bruyères.
Il faut absolument remarquer le fait que les abeilles Buckfast ne sont jamais élevées d’abord pour la couleur. Cela résulte dans une variation plutôt large dans la couleur aussi bien entre les différentes lignées et même au sein d’une même lignée. Habituellement les reines sont rayées (ou comportent des bandes) avec du jaune proche du brun cuir. Les ouvrières ont souvent une ou deux et parfois trois bandes jaunes et elles sont la plupart du temps grisonnant. La couleur des faux-bourdons est plus stable. Ils sont sombres avec deux bandes bronze, et chez certaines lignées, on ne voit qu’une petite tendance seulement aux bandes bronze. La taille de la reine varie de très grande (la 391) à petite (la 441).
Les sept lignées de Suède sont les suivantes : la 285 - en 1975 en Suède, relativement claire, production élevée, développement très hâtif, la colonie mère appartenant à un type de lignée saharienne développée par le Frère Adam; la 366 - en 1975 en Suède, relativement claire, production élevée (un apiculteur à quelque 5 miles de chez moi a obtenu, en 1982, 165 kg d’une de ses colonies de cette lignée avec une moyenne de 130 kg chez les sœurs); la 424 - en 1975 en Suède, de couleur sombre, distribuée largement en Suède, la colonie de mère appartenant à un type de lignée anatolienne; la 344 - en 1976 en Suède, relativement claire; la 441 - en 1979 en Suède, de couleur sombre, les ouvrières sont excellentes nettoyeuses et vivent longtemps; la 427 - en 1980 en Suède, de couleur sombre, excellente ramasseuse de pollen (toutes les Buckfasts sont de très bonnes ramasseuses de pollen) et la 391 - en 1980 en Suède, relativement claire, bonne productrice, et très, très douce.
Toutes les Buckfasts sont normalement très douces. Et, le fait qui a beaucoup surpris - et qui a beaucoup plu - aux apiculteurs suédois, c’est qu’elles sont douces à n’importe quel moment du jour, même tard dans la soirée et par tout climat, même froid.
Un apiculteur de contrôle avec 150 colonies (il obtient des reines de différents éleveurs dans le but de les essayer), Gunnar Henningsson, dit qu’en comparaison avec les italiennes, les Buckfasts ont plus de bonnes qualités rassemblées dans chaque colonie. L’expérience d’apiculteur en Suède indique que les Buckfasts sont plus robustes, plus uniformes dans la qualité, plus productives, avec un meilleur caractère et une faible tendance à l’essaimage (anecballie).
Les italiennes ne sont pas si robustes et sont moins uniforme dans les autres qualités. Mais, sous un bon climat, dans une zone à fort rendement en nectar, elles peuvent être très bien.
Le carnioliennes sont robustes et habituellement ont un très bon comportement. Mais, leur fécondité dépend plus de la disponibilité en pollen.
L’abeille noire native est robuste, mais est souvent agressive et tend essaimer. Cette agressivité crée des problèmes en Suède au cours des accouplements naturels de reine avec ces faux-bourdons qui sont souvent les candidats les plus probables pour s’accoupler avec les reines.
Notre expérience d’apiculteur en Suède indique que ce sont les faux-bourdons Buckfast qui apportent une meilleure production de miel quand ils sont croisés avec d’autres races. Bien plus que d’autres faux-bourdons ne le font. Le meilleur croisement semble être celui comportant 75 pour cent d’héritage Buckfast (un croisement suivi par un re-croisement avec des faux-bourdons Buckfast).
L’abeille Buckfast pure s’est montrée elle-même si productive aujourd’hui que je doute qu’il serait payant pour nous de la croiser pour essayer d’obtenir des rendements encore plus élevés. Le peu de récolte supplémentaire, que l’on obtiendrait peut-être, ne compenserait pas la moindre uniformité des descendants. Avec comme conséquence ultérieure : une récolte moyenne plus basse et davantage de travail de sélection à partir du début pour obtenir de nouveau la stabilité génétique. Mais pour un grand éleveur commercial, je le crois, c’est économiquement faisable. A lui d’expérimenter avec des croisements et d’ensuite les incorporer dans les lignées régulières comme le Frère Adam le fait.
Original anglais dans American Bee Journal
, 123(2), 1983, p 85-88 |
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Article par Erik ÖSTERLUND, PI 5062 B S-69400 Hallsberg (Suède) Avec sa permission Traduction en français par Jean-Marie Van Dyck Namur (Belgique) |