Original : La sélection de l’abeille Plaquette de 10 pages, parue en français, dans un cahier de vulgarisation apicole, à compte d’auteur |
Article de Jean Verlaine, Vieille route de Marloie, 75, BE-6900 Marche-en-Famenne, Belgique. |
La génétique et la sélection de l’abeille posent des problèmes particuliers et complexes, or l’apiculture a besoin d’abeilles améliorées susceptibles d’assurer des rendements élevés, nécessaires à sa rentabilité, à sa survie.
Où en est-on en Wallonie? À la sélection massale tout au plus ...
Quelques maigres crédits distribués par l’intermédiaire des fédérations apicoles à des éleveurs de reines ... Alors qu’une Station de Sélection, équipée de matériel scientifique, dirigée par un généticien ayant de la pratique apicole pourrait avoir une action décisive sur l’amélioration du cheptel apicole wallon.
La sélection est une affaire sérieuse !
Un être vivant provient d’un œuf. Chez certaines espèces animales, dont l’abeille, des jeunes peuvent naître d’un œuf non fécondé (parthénogenèse). Un œuf fécondé résulte de l’union de deux cellules vivantes : l’une est appelée ovule ou gamète femelle et l’autre, beaucoup plus petite, s’appelle spermatozoïde ou gamète mâle. Cet œuf se divisera ensuite en plusieurs cellules pour former le nouvel être qui, entre autres, va élaborer des cellules sexuelles en vue de perpétuer l’espèce.
La cellule sexuelle se compose de la membrane cellulaire, du protoplasme, du centrosome et du noyau. Au point de vue héréditaire, le noyau est la partie essentielle de la cellule. En effet, lors de la maturation sexuelle, la substance chromatique contenue dans le noyau se condense puis se brise en courts bâtonnets qui sont appelés chromosomes et dont le nombre diffère pour chaque espèce vivante mais qui est invariable pour une espèce donnée.
Les généticiens considèrent que les caractères physiques et moraux de l’être vivant existent dans les chromosomes mais qu’il n’existe pas deux cellules sexuelles absolument identiques, chacune d’elles contenant une combinaison différente des caractères héréditaires appelés gènes (les parties des chromosomes qui portent ces caractères héréditaires).
On entend par caractère toute qualité ou défaut de conformation, une particularité, une aptitude quelconque. On entend par hérédité la ressemblance plus ou moins grande qui se manifeste entre les ascendants et les descendants. L’on doit à Mendel d’avoir établi les lois fondamentales de l’hérédité.
On trouve parfois des reproducteurs qui transmettent avec une fixité étonnante à leurs descendants tous ou quelques-uns de leurs caractères : ce sont des raceurs. Cette faculté n’est évidemment pas l’apanage du mâle ...
Attention : ce n’est qu’en examinant la descendance du reproducteur que l’on pourra être fixé sur sa valeur car on ne doit pas se fier aux seuls caractères extérieurs.
La lignée est l’ensemble de toute la descendance d’un être vivant.
La lignée pure est celle dont les ascendants ne se sont jamais croisés avec des individus de « sang » étranger. Seule la lignée pure reproduit fidèlement les caractères des parents. Elle est génétiquement stable.
Le terme lignée pure s’applique à des individus qui sont pratiquement homozygotes, mais la lignée pure, telle qu’on peut la concevoir théoriquement, est une chose qui n’existe pas dans le règne animal. À noter que chez l’abeille, la conservation de lignées pures pose un problème du fait qu’un taux de consanguinité élevé n’est pas bien supporté.
Une variation spontanée, appelée mutation, se produit parfois dans la descendance héréditaire.
La réapparition d’un caractère qui depuis un temps plus ou moins long ne se manifestait plus dans une race s’appelle atavisme. Plus le nombre de sujets impurs (hétérozygotes) est grand dans une race, plus les cas d’atavisme sont fréquents.
Sélection signifie le choix d’une partie seulement de la variation génétique à l’intention des générations suivantes ; donc toute sélection conduit à une spécialisation.
Un bon éleveur a le désir d’améliorer la qualité de son cheptel ; pour y arriver, il est indispensable qu’il sélectionne, c’est-à-dire qu’il choisisse ses reproducteurs avec le plus grand soin et qu’il élimine les descendants indésirables.
Chez l’abeille, la finesse de la sélection est très bonne puisqu’une seule mère peut produire un grand nombre de descendants. On peut utiliser cet avantage pour remplacer une abeille par une autre dans un secteur donné : avec 500 reines donnant 2000 mâles chacune, on arrive au total de 1 000 000 de mâles en une année.
Il n’existe pas en pratique une abeille idéale ; une ponte printanière très précoce et très intense, par exemple, peut constituer un avantage dans une région et un inconvénient dans une autre. C’est qu’il existe une interaction importante entre l’hérédité et le milieu. Ainsi lorsque des colonies d’abeilles sont permutées dans des régions assez éloignées, l’on constate la persistance d’un comportement qui constitue une adaptation aux conditions climatiques et à la flore du lieu antérieur. Il semblerait qu’il existe notamment des abeilles adaptées à une région comportant des bruyères et des forêts et d’autre part, des races inféodées aux légumineuses et à la flore des prairies.
Dans la nature, on assiste, en des endroits bien déterminés, à l’accouplement entre les mâles vigoureux de la région, venant de plus de 8 km de distance de leur ruche et les femelles. On a trouvé des reines qui, en dix minutes de vol, avaient dans leur spermathèque une quantité de sperme correspondant à six mâles. C’est donc un comportement sexuel qui est à l’opposé de la consanguinité et vise à la réalisation d’un brassage continuel des gènes. Il faut donc être prudent dans la sélection artificielle car il est important pour une population de disposer d’une richesse de gènes aussi grande que possible parce qu’on ne peut jamais savoir ce dont une population aura besoin comme qualités dans l’avenir. Il faut donc penser à créer des conservations de souche ou de races avant d’éliminer, par sélection faite en stricte consanguinité (ou mélangé par hybridation désordonnée entre races) des gènes dont on ne peut savoir d’avance si on en aura besoin un jour ... Les techniques de sélection devraient toujours tenir compte de ce phénomène et l’on ne devrait jamais faire une sélection mais procéder à des sélections simultanées dans différentes sub-lignées. Les croisements entre ces sub-lignées pourront ensuite recréer la vigueur nécessaire.
Il serait souhaitable de réaliser une réglementation internationale en vue de la création de réserves nationales, afin de conserver l’abeille locale en vue de travaux futurs : La F.A.O. pourrait s’intéresser à cette tâche.
La sélection naturelle fait qu’une population représente, dans son milieu d’origine, un équilibre harmonieux de l’interaction gènes milieu. Sous le rapport de la résistance aux maladies les plus répandues, il a existé depuis toujours une sélection naturelle régulièrement élevée. En ce domaine, les chances de la sélection artificielle sont donc faibles.
Si la Nature a pour objectif principal que l’abeille se perpétue, l’apiculteur, quant à lui, est surtout intéressé par la productivité de ses abeilles. De plus, il faut tenir compte du fait que les miellées se sont beaucoup modifiées dans la plupart des régions, du fait des méthodes nouvelles de l’agriculture moderne. D’où l’avantage sélectif, obtenu sur place par la sélection naturelle, peut très bien aujourd’hui ne pas être le mieux adapté.
La sélection massale consiste à choisir, au sein de la masse, les meilleurs sujets et à les unir sans tenir compte du degré de parenté qu’ils ont entre eux. Ce mode de sélection exerce une heureuse influence sur les descendants, mais les résultats obtenus sont tout de même peu efficaces car ces résultats ne sont pas stables. Il est un fait qu’au hasard des combinaisons, des défauts et des qualités apportés par les croisements, on puisse réussir à produire quelques sujets de valeur mais il ne faut pas perdre de vue l’instabilité de la descendance ainsi créée.
Par l’union de deux êtres appartenant à la même famille avec l’élimination rigoureuse des non-valeurs, on fait de la sélection individuelle ou consanguine. La consanguinité peut entraîner, un affaiblissement de la vigueur surtout s’il y a absence de sélection ou emploi de reproducteurs de mauvaise constitution. Après quelques générations d’étroite consanguinité, on risque d’avoir des colonies qui ne sont plus capables de se maintenir par leurs propres moyens : à la déficience de l’élevage s’ajoute un amoindrissement de la résistance au pillage.
En ce qui concerne notre apiculture :
On devrait :
L’hybridation ou métissage est l’union de reproducteurs appartenant à des races différentes. Il existe plusieurs modes d’hybridation :
Dans tout travail de sélection, la valeur du mâle a autant d’importance que celui de la femelle. Élever des reines sélectionnées sans se préoccuper de leur assurer une fécondation de grande valeur sélective est bâtir sur le sable.
Grâce à l’insémination artificielle qui, depuis un quart de siècle, a enregistré des progrès importants, on peut désormais maîtriser la fécondation des mères d’abeilles. Laidlaw (1944), Mackensen (1948), Vesely (1961) ont mis au point un appareillage pour l’insémination instrumentale. Cette technique demande une certaine dextérité ; il convient de pratiquer beaucoup afin d’être à même de ne pas blesser les reines.
L’insémination artificielle exige une asepsie totale car l’infection est une des causes majeures de mortalité des reines lors de l’insémination. Les meilleurs résultats sont obtenus en inséminant les reines deux fois, à un jour d’intervalle, avec 4 µL de sperme à chaque insémination (Fresnaye).
Koehler (1962) a démontré que le sperme des différents mâles qui participent aux fécondations, naturelles ou artificielles, reste séparé dans la spermathèque, ce qui explique que l’on peut observer de brusques variations de populations et l’apparition d’abeilles hybrides dans des ruches considérées comme pures, sans que la reine en ait été changée.
Il existe différentes qualités de reines suivant les méthodes d’élevage. Par ordre de valeur décroissante, on a :
L’obtention de nombreux mâles vigoureux et de souche déterminée est plus aléatoire que l’élevage des reines. Le nombre d’adultes éclos par rapport au couvain mâle est bas. Les colonies d’élevage seront renforcées au printemps et stimulées car l’élevage et la conservation des mâles dépendent de la miellée. Le traitement des reines vierges au gaz carbonique permet d’obtenir facilement et rapidement des reines à ponte parthénogénique qui ne pondent que des œufs de mâles qui seront utilisés en génétique de l’abeille. Avant d’être utilisés, ces mâles devront avoir atteint leur maturité et avoir déjà volé.
De par le monde, la génétique de l’abeille se trouve maintenant aux premiers stades d’un développement prometteur. Il serait très dommageable pour notre apiculture que les Pouvoirs publics fassent la sourde oreille aux demandes motivées qu’adresseront au Ministère de l’Agriculture les Unions professionnelles d’apiculture groupant, en Wallonie, 6000 membres qui produisent 400 tonnes de miel bon an mal an.
Outre le bien social qu’est l’apiculture, puisqu’elle offre à ses adeptes une saine distraction et parfois quelques suppléments de revenus, l’apiculture contribue à l’équilibre biologique de la nature, grâce au rôle pollinisateur prépondérant des abeilles. Si les apiculteurs abandonnaient massivement leur activité parce que notre apiculture serait devenue largement déficitaire, que de richesses naturelles seraient délaissées.
Notre miel est un produit sain qui contribue à la bonne alimentation de nos populations et à la productivité de notre agriculture, pourquoi les ministres de l’Agriculture et de l’Education ne donneraient-ils pas une suite favorable à notre demande en créant un centre de Sélection et de Recherche Apicole, à l’Institut Agronomique de Gembloux, par exemple ?
Nous avons dans l’immédiat deux possibilités :
Cela afin de conserver les meilleures lignées parmi nos abeilles indigènes tout en éliminant autant que possible les non-valeurs. Chaque apiculteur s’efforcera inlassablement de ne garder que des colonies de qualité. Bien qu’il soit difficile à l’apiculteur praticien d’apprécier son propre travail de sélection, ne fût-ce que du fait que les rendements en miel sont étroitement liés à des facteurs climatiques, la même ruche pouvant donner des rendements variant dans le rapport de 1 à 5 selon qu’elle est placée dans des conditions écologiques plus ou moins favorables.
Les plus avertis parmi nos praticiens multiplieront et diffuseront les reines issues de cette sélection empirique ... Lorsqu’ils observeront la descendance d’une souche d’élite, ils constateront l’apparition régulière d’un pourcentage de sujets médiocres ... Il faudra régulièrement éliminer ces non-valeurs.
L’éleveur, à défaut de l’insémination instrumentale, entourera les vols nuptiaux de ses reines d’un maximum de précautions pour qu’elles soient fécondées par des faux-bourdons valables, dans l’espoir d’arriver à fixer des lignées remarquables au bout de quelques années. Comme dans nos régions, il est quasi impossible d’isoler une station de sélection, il serait souhaitable que l’éleveur et ses voisins apiculteurs se mettent d’accord pour ne garder uniquement, dans un assez grand rayon, que des colonies de qualité, de race indigène. Chaque éleveur tiendrait un livre et un fichier généalogiques dans lesquels chaque reine et sa lignée seraient caractérisées. Les associations apicoles tiendraient un livre généalogique, pour autant qu’elles obtiennent la loyale collaboration de tous leurs affiliés, collaboration qui serait obtenue grâce à une information répétée.
Nous éviterons ainsi un métissage chaotique de nos populations d’abeilles indigènes et nous favoriserons la conservation et la multiplication des meilleures souches. Toutefois, il ne faut pas se faire d’illusions sur cette méthode qui ne pourra « fixer » les qualités parmi les descendants, seule une sélection scientifique pouvant améliorer nos abeilles d’une façon décisive.
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Editeur responsable : Jean Verlaine - 75, Vieille route de Marloie - 6900 Marche en Famenne