Extrait de La Belgique Apicole, 2(5), 1938, p 150-153, Avec leur permission. |
Article du Dr Hector Wallon, MD Bruxelles, Belgique |
L’article que j’ai fait paraître dans le numéro 3 de « La Belgique Apicole » de cette année, avait pour but de poser une question jusqu’ici peu débattue entre nous : prévenir l’essaimage en sélectionnant nos abeilles et servir ainsi d’introduction à une série de communications à ce sujet.
Lorsque l’on veut s’occuper de sélection, il est indispensable d’envisager d’abord ce qui se passe dans l’élevage des animaux domestiques ; ceux-ci sont d’espèces différentes. Dans une espèce, il y a plusieurs races ; chez le cheval, par exemple, on trouve les chevaux de trait lourd comme les Brabançons, les chevaux de courses et bien d’autres encore. Parmi nos abeilles, on compte notamment la race italienne, la race caucasienne, etc.
Tous les individus qui composent une race présentent une série de caractères communs. Parfois, un caractère nouveau apparaît chez des individus d’une race. Un agneau noir dont tous les ancêtres sont blancs, par exemple. L’apparition de ce caractère nouveau s’appelle une mutation.
Les mutations sont fréquentes. Il arrive souvent que, dans une même espèce, la même mutation se représente. Quand un caractère nouveau est favorable, les éleveurs essayent de le reproduire, de le fixer, c’est-à dire de le rendre héréditaire. Ils y arrivent en prenant comme reproducteurs, les animaux qui présentent le caractère désiré et en suivant certaines lois. Ce travail des éleveurs porte le nom de sélection.
La sélection peut arriver à créer des races nouvelles : on l’applique dans ce sens à l’élevage canin, par exemple.
Mais, depuis un demi-siècle, on a choisi parmi les individus d’une même race, ceux qui présentaient certaines qualités. L’ensemble des individus obtenus dans ces élevages constitue une lignée. En voici un exemple: il y a plus de cinquante ans, on commença à exporter d’Italie des quantités de poulettes à pattes jaunes. Celles-ci, très bonnes pondeuses, avaient le grave défaut de trop couver.
Un aviculteur anglais sélectionna les poules de Livourne et parvint à obtenir un élevage complet de poules Leghorn qui ne couvent jamais. L’ensemble de ces « Leghorn » constitue une lignée. (Le nom de « Leghorn » est la corruption anglaise du mot « Livorno », c’est-à-dire Livourne, port par lequel se faisait l’expédition des poulettes italiennes).
La fièvre de couvée chez la poule et la fièvre d’essaimage chez l’abeille se ressemblent fort. L’une et l’autre sont indésirables pour l’homme, car elles diminuent la production. Les aviculteurs reprochaient à la poule de Livourne de trop couver comme nous reprochons à l’abeille carniolienne de trop essaimer.
Les méthodes habituelles d’élevage sont bien différentes dans la basse-cour et dans l’apier : quand la fermière installait une poule-couveuse, elle lui confiait des œufs de la récolte du jour. Ceux-ci, pour une large part, provenaient de poules qui ne couvaient pas en saison. Une sélection relative était donc assurée.
Pour les abeilles, on fait exactement le contraire. L’apiculture fixiste exigeait, à l’automne, la destruction des colonies n’ayant pas essaimé.
Actuellement, les ruches sont généralement peuplées à l’aide de reines du commerce. Ces dernières, dont il sera reparlé, ne peuvent donner aucune sécurité au point de vue de l’essaimage, le seul mot dont nous allons nous occuper ici.
Les nouvelles colonies sont fondées avec des essaims. Bien des apiculteuurs renouvellent les mères avec des cellules maternelles prélevées dans la ruche d’à-côté qui essaime. Toutes ces méthodes consistent à semer l’essaim ; on doit donc récolter l’essaim.
Seules, les précautions connues sous le nom de « mesures préventives contre l’essaimage » sont appliquées ; mais toutes ces mesures n’ont cependant pas résolu la question.
En pleine ville de Bruxelles, on récolte chaque année des essaims. La ville et les faubourgs ont un service spécial organisé par la police en prévision de ce genre d’accidents. Voilà une mesure préventive contre l’essaimage dont on se préoccupe peu dans nos traités ! Nous devons en convenir : l’essaimage continue à diminuer sensiblement nos récoltes de miel !
Toute sélection, dans les élevages, tend à fixer, c’est-à-dire à rendre héréditaire une ou plusieurs qualités qui se rencontrent dans la nature : c’est ainsi que dans chaque ferme il s’est toujours trouvé un certain nombre de poules qui ne couvaient jamais.
Chez les abeilles, nous ne sélectionnons pas les sujets, mais les colonies : la meilleure souche est celle qui donne régulièrement du miel. L’activité de toute une population doit se solder en bénéfice. Les apports doivent être suffisants pour nourrir, assurer la reproduction et laisser une réserve de miel dont profite l’apiculteur. Il nous importe peu d’avoir, dès le printemps, nos ruches bourrées de nectar si la réserve doit s’envoler en un essaim que toute inattention ou préoccupation nous exposera à perdre.
Dans nos régions aux miellées courtes et incertaines, c’est le plus souvent un accident irréparable.
Sélectionner ses abeilles pour éviter l’essaimage est une chose possible ! Tout d’abord, il y a les races : la carniolienne du commerce est la plus essaimeuse ; la caucasienne est la moins essaimeuse. Certaines italiennes n’essaiment que tous les deux ou trois ans. Chez les abeilles indigènes, les campinoises sont celles qui donnent le plus de rejets.
Mais, parmi les souches d’abeilles, qu’elles soient noires, jaunes ou croisées, il y a des différences notables. C’est parmi les souches les moins essaimeuses qu’il faut choisir celles que l’on destine à la reproduction.
Il existe des abeilles peu essaimeuses ; chez celles-ci, le remplacement annuel des reines peut suffire. Il en est qui renouvellent régulièrement leur reine en temps opportun, sans intervention de l’apiculteur. En voici des preuves. En plus que mon propre exemple, que j’expliquerai en long et en large dans des articles subséquents, voici quelques déclarations d’apiculteurs, qui viennent corroborer la mienne :
« Voilà vingt ans que mon père et moi, nous avons trois ruches ; j’ai vu un seul essaim ; nous ne nous sommes jamais occupés des reines. » |
« … que depuis quatre ans, une de ses ruches donnait une récolte sans essaim et sans qu’il se préoccupe de la reine. » |
« Depuis de nombreuses années
déjà, les essaims de mon rucher sont très rares. Cependant,
j’avais remarqué que, chaque année, la même colonie essaimait,
souvent en juillet-août. Bien qu’ayant une très forte
population, cette colonie avait un rendement en miel très
médiocre. En 1935, j’ai changé sa reine et depuis lors, elle n’a
plus essaimé et le rendement a été un peu meilleur. Depuis
1934 (4 ans), aucune colonie n’a essaimé. C’est à mon sens un
résultat dont je suis un peu fier. Toutes mes ruches sont du
système Dadant Blatt, mais de différents modèles. J’ai le
plaisir de vous signaler que moi aussi, j’ai dans mon rucher des
colonies qui renouvellent naturellement leur reine, en temps opportun,
sans essaimer. Je dois ajouter que ce sont mes meilleures. J’en
observe trois depuis quatre ans : l’une renouvelle sa reine chaque année
et les deux autres, après deux ans. Chaque année, ces trois
ruches donnent le maximum de rendement ; l’an dernier la moyenne fut
de 21 kilos. « Par contre, j’ai d’autres colonies dont le rendement a été médiocre, voire nul. Aussi, j’ai commencé fin juillet et début août de l’an passé à faire la multiplication, si je puis dire, de mes bonnes colonies, en prenant la reine de la souche, avec cadres de couvain et provisions, suivant la méthode habituelle, pour former un nucléus. Avec l’élevage qui allait se faire dans les souches, je croyais pouvoir disposer d’un certain nombre de cellules royales ou même de reines écloses, mais grande fut ma déception, car, alors que l’élevage s’était bien développé dans les premiers jours, après l’enlèvement de la reine, toutes les cellules royales, sauf une, ont été détruites dans la suite. « J’avais déjà remarqué que lors du renouvellement naturel des reines dans ces mêmes colonies, il ne restait presque toujours qu’une cellule royale pour l’éclosion. Ces abeilles n’ayant nullement l’intention d’essaimer assurent donc simplement l’existence de la colonie et le travail, par la suite, redevient très normal. D’après les constatations que j’ai faites jusqu’à présent, je crois pouvoir conclure que, pour obtenir un rendement maximum, il importe de faire une sérieuse sélection de reines et aussi de faux-bourdons. « Pour ce qui concerne les reines du commerce, je suis entièrement de votre avis, car je sais, par expérience, que souvent la quantité seule est visée et rarement la qualité. Vous pouvez faire état de ce qui précède et je suis à votre disposition, etc… » |
Je remercie tous ceux qui ont bien voulu me documenter et en particulier M. De Meyer qui se dépense pour aider à l’enquête. D’autres attestations me sont promises ou peuvent me parvenir : je les ajouterai aux articles qui suivront.
Donc, certaines abeilles renouvellent spontanément leur reine en temps opportun, sans intervention de l’apiculteur, et sans essaimer. Cette faculté, nous l’appellerons
anecballie, mot nouveau tiré du grec : | ||
an = ne pas | ec = dehors | ballein = jeter |
et qui signifie donc : « qui ne rejette pas au dehors ». Il m’a paru intéressant de savoir si cette disposition était héréditaire et capable de se généraliser à tout un apier. Ce sera l’objet des communications ultérieures.
Extrait de La Belgique Apicole, 2(5), 1938, p 150-153, Avec leur permission. |
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