publié en français
par Payot, Paris, 1951. épuisé. |
par le Docteur Maurice MATHIS de l'Institut Pasteur de Tunis |
Tous les apiculteurs connaissent la fausse-teigne par les ravages quelle produit dans les gâteaux de cire sortis de la ruche et non soumis aux vapeurs dun gaz toxique : vapeurs de soufre, tétrachlorure de carbone, chloropicrine. Tous les apiculteurs ont eu à déplorer la perte de colonies faibles à peu près entièrement détruites par la fausse-teigne, mais tous pensent que les ravages de ce parasite sont inexistants dans les colonies populeuses et qui se défendent bien. Cest là une erreur et nous allons montrer le rôle considérable de cet insecte dans la destruction des abeilles.
Ce parasite a été très bien observé par Réaumur lui-même, qui lui a donné le nom de fausse-teigne pour le différencier des mites ou vraies teignes. La systématique moderne désigne cet insecte sous le nom de Galleria melonella, famille des Pyralidés (appelée aussi en français gallérie).
T.L. Smith, du collège dArkansas, étudiant lélevage de la fausse-teigne, commence ainsi son article : « La fausse-teigne Galleria mélonella, se rencontre partout où lon élève des abeilles ». Cest là un point capital. La fausse-teigne est un parasite strictement spécifique des ruches; en dehors des ruches, il lui est impossible de subsister. Nous apercevons immédiatement ce caractère de la spécificité commun à tous les parasites. Il se trouve donc que, si la fausse-teigne ne peut pas vivre en dehors des ruches, cest quelle sest adaptée dune manière rigoureuse à son hôte.
Quelques auteurs apicoles du siècle dernier ont reconnu dans la fausse-teigne un ennemi redoutable, sans toutefois sen rendre compte exactement. Lombard en 1812 écrit : « Pendant 15 à 16 ans, cette vermine ma fait perdre annuellement environ le quinzième de mes ruches ». Il nous a laissé des observations tout à fait justes sur la biologie de ce parasite. « Son papillon, dit-il, pénètre dans toutes les ruches fortes et faibles, probablement à la faveur du mouvement de ses ailes, ou par la célérité de sa course, car il court plutôt quil ne marche. Le papillon de cette vermine paraît autour des ruches dès le mois davril, et on continue à le voir jusques et compris le mois doctobre. »
Au cours de nos recherches sur la biologie des abeilles, nous avons eu loccasion dobserver ce parasite dans de nombreuses circonstances, mais son rôle nous apparaissait, au début comme assez insignifiant. Cétait une grave erreur.
On trouve « toujours » un certain nombre de chenilles de la fausse-teigne dans le couvain operculé de toutes les ruches, des plus fortes aux plus faibles.
Chacun pourra en faire la constatation dune manière très simple. Il suffit denlever un rayon de couvain operculé dune ruche après en avoir chassé toutes les abeilles et de le mettre dans une cage grillagée, placée à une douce température : 25 à 30°C. En quelques jours, on pourra recueillir des dizaines de chenilles âgées de 10 à 15 jours.
A Paris en 1941, nous isolons les 6, 13, 25 septembre et 9 octobre, des cadres de couvain operculé de différentes ruches. Nous les plaçons dans une étuve, à labri de tout papillon ; une semaine après leur sortie de la ruche, tous ces cadres sont ravagés par de grosses chenilles de la fausse-teigne.
A Tunis, un cadre François Huber isolé le 19 novembre 1943 nous donne : 31, 68, 27, 10, 3, 6, 2, 2, 1 chenilles de la fausse-teigne, soit 150 au total.
Un autre cadre enlevé le 25 novembre 1943 nous donne dans les mêmes conditions 91 chenilles.
Un tout petit rayon de couvain operculé de 10 cm2, que nous enlevons dune ruchette le 24 juin 1946, laisse sortir en quelques minutes 35 chenilles de la fausse-teigne.
Certes dans les conditions naturelles les abeilles luttent sans cesse contre lattaque des chenilles de la fausse-teigne, mais dans quelle mesure cette lutte est-elle efficace ?
On peut noter avec certitude que : la fausse-teigne existe à peu près sous toutes ses phases de développement (ufs, chenilles jeunes, chenilles au stade pré-nymphal à lintérieur de son cocon) au cours de toute lannée.
Une autre constatation nous avait toujours étonnés : la taille réduite, laspect rachitique des chenilles de la fausse-teigne que lon veut élever au laboratoire en leur donnant de vieux gâteaux de cire par rapport à celles que lon trouve dans certaines colonies détruites entièrement par ces chenilles qui sont alors : grosses, grasses, florissantes à souhait et qui donnent des papillons superbes. Nous entreprenions alors une étude méthodique de ce parasite, espérant que sa biologie nous éclairerait, indirectement, mais dune manière certaine sur celle des abeilles.
Des ufs pondus, soit à lintérieur de la ruche soit à lextérieur naissent de petites chenilles minuscules, douées dune très grande agilité. Ces chenilles pénètrent activement dans la colonie et attirées par un thermotropisme positif se portent dans la zone du nid à couvain. La plupart dentre elles se font massacrer par les abeilles, mais beaucoup échappent grâce à leur petitesse. Elles creusent alors de minuscules galeries entre les parois des cellules hexagonales et se nourrissent aux dépens de la gelée sur laquelle repose les petites larves du couvain. Lorsque les larves dabeilles sont operculées (huit jours après la ponte de luf par la reine abeille), les chenilles de la fausse-teigne sont complètement mises à labri de lattaque des abeilles. Le loup est en quelque sorte enfermé dans la bergerie. Il y a là une adaptation absolument étonnante, comme toutes celles que nous constatons dun parasite à son hôte. La chenille de la fausse-teigne dévore en toute tranquillité les nymphes des abeilles et grâce à leurs mandibules peuvent passer aisément dune cellule à une autre en perçant la fine cloison de séparation en cire. Le stade nymphal de labeille durant 13 jours, la chenille de la fausse-teigne a largement le temps de terminer sa croissance. Au stade pré-nymphal, son thermotropisme positif diminue et elle séloigne du nid à couvain. Elle perce alors lopercule et cherche à quitter la ruche. Ce stade est critique pour elle, car les abeilles toujours attentives la massacrent très souvent. Ce sont ces grosses chenilles de la fausse-teigne que lon voit expulser de la ruche, portées au loin par les abeilles.
La chenille de la fausse-teigne file alors son cocon, soit dans la ruche, si les abeilles sont peu nombreuses et la laissent en paix, soit entre les parois de bois de la ruche, soit dans le sol. A ce stade la chenille a des mandibules très puissantes et elle arrive à creuser dans le bois le plus dur une véritable logette de protection.
Selon la température, la chenille de la fausse-teigne peut, soit rester plusieurs semaines ou plusieurs mois au stade pré-nymphal, soit se nymphoser et donner un papillon en quelques jours. Dès leur naissance les papillons saccouplent, et la femelle qui na besoin daucune nourriture commence sa ponte de 300 à 1 000 ufs. Cette femelle est attirée par lodeur de levain que dégage toute ruche en pleine activité et sy porte activement, en volant presque uniquement la nuit.
Pendant longtemps nous nous sommes demandés comment ce papillon pouvait sintroduire impunément dans une colonie dabeilles dont lentrée est toujours gardée avec une grande vigilance. Nous pensions alors que le papillon devait pondre au dehors de la ruche, cest ce qui arrive très souvent, mais ce mode est inhabituel ; le papillon pénètre dans la ruche normalement et il est moins refoulé que nous limaginions. Réaumur avait constaté le fait et sétonnait que les abeilles fassent si peu de cas de cet ennemi quelles pourchassent activement sous formes de chenilles. On pourrait croire que les abeilles ne savent pas que ce papillon est si dangereux. La réalité est tout autre. Un jour apercevant dans une ruche un papillon, nous lavons écrasé sur place. Quel na pas été notre étonnement de voir les abeilles les plus proches de ce magma informe sy précipiter en battant des ailes comme en présence dune reine.
Il y aurait donc un phénomène comparable au mimétisme, mais qui porterait sur lodorat doù le nom dolfacto-mimétisme. Ladaptation de Galleria melonella, parasite des abeilles est parfaite à tous les stades.
On peut affirmer quune colonie attaquée par la fausse-teigne sera toujours vaincue et détruite dans un laps de temps plus ou moins long. Comment se fait cette destruction ? Peut-on évaluer les ravages de la fausse-teigne ? Comment la combattre ?
Ces ravages sont très variables, dune année à lautre, et dépendent pour une grande part de la force de la colonie attaquée, de labondance des miellées. Lombard dans ses estimations nous semble très au-dessous de la réalité.
Tous les apiculteurs ont remarqué, sans y attacher une grande importance quun rayon de couvain operculé présentait toujours un certain nombre de trous ou manques. Ils pensaient que ces trous sexpliquaient facilement, soit que la reine ait oublié de pondre dans une cellule, soit que la nymphe soit sortie. Ces deux explications ne sont pas valables : 10 parce que la reine pond dans toutes les cellules sans exception, il suffit dexaminer un cadre fraîchement pondu; 20 quune abeille ne peut pas naître isolément puisquelle provient dun uf pondu à quelques instants dintervalle de ses voisines.
Ces trous ou manques sont le fait de la fausse-teigne. On peut compter sur un cadre de 200 à 1000 manques sur une seule face dun gâteau de cire, soit 400 à 2.000 pour les deux faces ; soit pour 10 cadres de 4.000 à 20.000. Comme ces manques se renouvellent à chaque période de ponte de 21 jours, on peut estimer au bas mot entre 40.000 et 100.000 le nombre des abeilles que la fausse-teigne peut détruire dans une ruche à linsu de lapiculteur. Bien entendu nous laissons de côté, les colonies entièrement détruites, le quinzième des effectifs de Lombard.
Ce taux de destruction peut paraître considérable et beaucoup dapiculteurs le mettront en doute. Quils réfléchissent cependant, quils cherchent dans leur souvenir. Nont-ils pas été parfois surpris de la baisse de production de leur rucher en dépit dune saison qui sannonçait particulièrement favorable ?
Un apiculteur débutant installe un essaim dans une ruche, il na pas grande expérience, il fait néanmoins pendant quelques années de belles récoltes et il augmente son cheptel, puis progressivement, en dépit de son expérience les récoltes diminuent, les abeilles donnent moins dessaims, rien ne marche comme avant. Que sest-il passé ?
Le premier essaim établi nétait pas parasité, puis la fausse-teigne sest introduite dans le rucher à la faveur dune nouvelle colonie en ruche. Elle sest développée peu à peu augmentant ses ravages. Bien entendu on peut lutter en ne conservant que des colonies très fortes, en les aidant par un nourrissement stimulant, mais nous savons fort bien que tôt ou tard le parasite aura le dessus. Que faire alors ?
Comment les abeilles se sont-elles défendues contre la fausse-teigne pendant les millénaires qui ont précédé son exploitation par lhomme ? Dune manière bien simple : par lessaimage.
Supposons un essaim qui a parcouru plusieurs kilomètres et qui sinstalle dans un trou de rocher ou dans un tronc darbre. Cet essaim napporte avec lui, ni ufs, ni chenilles, ni papillon de la fausse-teigne ; il se développe sans aucun parasite et chaque année essaime, une ou plusieurs fois selon les saisons favorables ou non. A un moment donné, plus ou moins long plus ou moins court, un papillon de la fausse-teigne attiré par la colonie viendra déposer ses ufs. A partir de ce moment, la colonie est vouée à une destruction certaine ; sa résistance pourra durer des années, mais elle succombera en définitive, le nombre des parasites saccroissant sans cesse.
La colonie détruite, les gâteaux de cire complètement dévorés, le parasite disparaîtra à son tour. Un an, deux ans ou plusieurs années sécouleront avant que le trou de rocher ou le tronc darbre ne soit de nouveau peuplé par un nouvel essaim venu de très loin sans parasite et le cycle reprendra.
Cest là un phénomène tout à fait général. Une espèce animale sinstalle dans une zone favorable, elle se développe en progression géométrique, un parasite survient, il se développe aux dépens de la première espèce plus vite quelle ne peut le nourrir (nouvelle progression géométrique) ; lespèce parasitée entraîne dans sa disparition le parasite. Il peut se faire que le parasite soit lui-même parasité et le cycle se complique. Tous ces différents facteurs entrant en jeu, on peut arriver à un état déquilibre, satisfaisant pour lensemble des espèces. Cest ce qui arrive toujours pour la flore et la faune dun territoire ou dun pays présentant le même climat. Lintroduction dune espèce nouvelle pourra de nouveau rompre cet équilibre, qui tendra de nouveau à se rétablir, ainsi de suite. Toutes ces considérations biologiques ne nous écartent pas de notre sujet, contrairement à ce que lon pourrait penser elles nous apportent la solution du problème.
Comme nous venons de le voir la fausse-teigne est lennemi le plus terrible des abeilles, mais il est si bien adapté à elles quil est vain de croire quon pourra le détruire dans la ruche. Quelle solution adopter ? Celle des abeilles elles-mêmes :
1° Ne jamais établir un rucher près dun rucher existant;
2° Créer un rucher isolé de toutes ruches - il faut compter de 500 à 1000 m, puissance de vol du papillon de la fausse-teigne - en y installant uniquement des essaims nus ou sur cire gaufrée neuve ;
3° Créer à partir de ce premier rucher, un deuxième rucher éloigné toujours avec des essaims nus ;
4° Détruire complètement le premier rucher au moment de la récolte deux, trois ou quatre ans après son installation, selon le degré de son infestation par la fausse-teigne.
La technique que nous préconisons est la meilleure et la seule quoiquelle puisse paraître à certains inapplicable.
Si nous examinons les pratiques anciennes de lapiculture, nous constatons que deux méthodes luttent efficacement contre la fausse-teigne, sans le savoir : létouffage et la pastorale.
Dans certaines régions apicoles, comme la Bretagne et les Landes où lapiculture est très répandue, toutes les fermes possédant une dizaine de colonies logées dans des paniers, que lon peuple tous les ans avec des essaims naturels, on a lhabitude détouffer avec des vapeurs de soufre un certain nombre de colonies et de les récolter en totalité. Cette pratique fort ancienne et qui donnait dexcellents résultats, tant du point de vue de la récolte que du maintien du cheptel a été interdite en France en 1942. Nous ne discuterons pas ici de lopportunité de cette loi, prise peut-être un peu hâtivement et sans tenir un compte suffisant de la biologie, des abeilles, mais nous ferons remarquer que cet étouffage avait comme conséquence immédiate une destruction massive et annuelle dune grande quantité de chenilles de la fausse-teigne. Nous verrons si lavenir nous donnera raison et si linterdiction de létouffage augmentera le cheptel ailé ou le réduira.
Nous avons vu dans le chapitre précédent en quoi consistait la pastorale ou transhumance. Un des gros avantages de cette technique et qui était passé inaperçu a été la diminution du nombre des chenilles de la fausse-teigne.
1° Toutes les chenilles enfouies dans le sol ne pouvaient plus sous forme de papillons infestés les ruches puisque celles-ci étaient à plusieurs kilomètres ;
2° Au cours du transport, les chenilles existant dans les ruches étaient fortement excitées par les vibrations du transport et tendaient à quitter les colonies. Les colonies arrivées dans leur nouvel emplacement étaient donc individuellement très fortement déparasitées.
Tout ce que nous venons de dire sapplique aussi à la petite fausse-teigne. Elle fait les mêmes ravages, mais sa petite taille rend sa découverte beaucoup plus difficile. Nous ninsisterons donc pas outre mesure.
En résumé la fausse-teigne est lennemi le plus terrible des abeilles elle ne sattaque pas à la cire comme on la cru et le croit encore, mais au couvain lui-même sous toutes ses formes ufs, larves, nymphes. Les cadavres de nymphes que lon voit expulser par les abeilles ont été tués et plus ou moins rongés par les chenilles de la fausse-teigne. Il arrive très souvent que lon trouve de jeunes abeilles sans ailes ou avec de simples moignons, des reines dans leur cellule avec les mêmes lésions, toutes ces perturbations sont le travail de destruction des fausse-teignes.
Bien entendu une colonie puissante se défend, répare les dégâts, mais nen subit pas moins un gros affaiblissement ; toute colonie dont la population vient à baisser par suite dun essaimage intempestif et qui ne peut lutter efficacement est détruite en quelques jours. Cest la manière habituelle de mourir de toutes les colonies en Tunisie où la fausse-teigne fait des dégâts encore plus considérables que dans la Métropole, en raison de son activité incessante : la diapause hivernale nexistant pas.
Nous pensons que cette étude de la fausse-teigne et de ses ravages que nous sommes les premiers à avoir mis au point rendra les plus grands services à lapiculture pratique.
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