L’Italie

Arrivé en Italie le 7 septembre, nous disposions exactement d’un mois dont une semaine à consacrer à la Sicile.  Ce manque de temps nous obligera à sacrifier le Nord-Est, région avoisinant la Yougoslavie.

C’est dans cette région que, depuis des temps immémoriaux, l’abeille italienne et la Carnica se sont entremêlées et que se sont, en toute probabilité, fixées des lignées intermédiaires incorporant les caractères désirables de l’une ou l’autre race de façon homozygote, lignées précieuses entre toutes.  Sans une enquête approfondie dans cette région, notre mission ne serait pas remplie et nous espérons nous y consacrer lorsque nous irons en Yougoslavie.  (Je pense que le Nord de la Yougoslavie pourrait présenter des surprises sensationnelles – Note du traducteur)

La popularité mondiale de l’abeille italienne est incontestée.  En fait nous pensons que l’apiculture moderne n’aurait jamais progressé comme elle l’a fait, sans l’abeille italienne.  L’apiculture commerciale, telle qu’elle est actuellement pratiquée dans tout pays à forte production de miel, serait quasi une impossibilité pratique sans elle.  L’abeille italienne est un des dons de la nature, offert à un pays qu’elle a comblé avec une générosité inégalée.  Elle n’est pas parfaite en tous points, mais la nature l’a dotée d’une combinaison de qualités et ce dans une mesure qui n’atteint aucune autre race.  L’abeille italienne a ses défauts — ils sont sérieux — auxquels elle doit de n’avoir pas atteint une popularité absolue et universelle.  Ses caractères généraux sont si connus qu’il serait inutile de les nommer ici.  Mais ses défauts principaux, tels que nous les voyons, peuvent demander à être précisés.  Elle a une tendance à une élevage excessif à la fin de la grande miellée et, quelques exceptions mises à part, elle puise de façon extravagante dans ses provisions durant l’hiver.  Il lui manque la robustesse, l’endurance, la longévité et la puissance de vol que manifestent, à des degrés divers, la plupart des autres races.  Elle dérive abondamment et son peu d’endurance l’expose à la dépopulation printanière, chaque fois que les conditions de climat contrarient un développement hâtif de la colonie au printemps.

Il existe trois variétés distinctes d’abeilles italiennes: celle qui a la teinte du cuir, la variété jaune éclatant fournie généralement par les éleveurs commerciaux, et un type coloré citron très pâle, rarement rencontré.  L’abeille dite italienne dorée n’est pas du tout une vraie italienne.  C’est le produit d’un croisement d’italienne et de noire, comme l’ont démontré clairement nos expériences de métissage.

La généralité des expérimentateurs conclut à la supériorité économique de l’italienne à teinte de cuir sur la plus attrayante jaune éclatant.  Les premières reines exportées d’Italie venaient des Alpes Ligures, d’où le nom « abeille ligure », et c’est cette abeille fauve indigène de Ligurie qui a établi le renom de l’abeille italienne.  La vraie « Ligure » ne se trouve que dans la région montagneuse entre La Spezia et Gênes.  Sitôt à l’ouest de Gênes, apparaissent les métis.  Du côté d’Impéria et de San Remo, l’abeille noire française, avec son mauvais caractère bien distinctif, déborde en territoire italien.

La jaune éclatant a son habitat délimité principalement, vers le nord, à la plaine de Lombardie et, au sud, étendu à toute la Péninsule jusqu’à Catanzaro.  Plus bas, le type le plus exécrable de bâtard domine dans le reste de la Calabre, conglomérat hétérozygote d’ « italienne jaune » et de « noire indigène sicilienne ».  Bien que n’ayant pu explorer entièrement les régions au nord de la plaine lombarde, à en juger par ce que nous avons constaté et d’après les renseignements recueillis, ce seraient des hybrides qui domineraient sur les versants sud des Alpes helvétiques.

Dans les Dolomites et autour de Bolzano, il y a prévalence marquée de métis.  Par contre, au lac de Côme et dans le Tessin avoisinant, l’ « italienne jaune » se rencontre plus communément.  Mais ce sont des abeilles noires et des bâtards qui prédominent nettement dans la zone plus à l’ouest, dans le Val d’Aoste.  Dans les régions où l’ « italienne jaune éclatant » est indigène, nous verrons la tendance à propoliser s’accentuer progressivement au fur et à mesure que nous descendons vers le Sud.

Nous avons rendu visite à la plupart des éleveurs bien connus de reines italiennes, près de Bologne.  Ils nous ont assuré que leurs clients demandent des reines jaune éclatant.  Tout commerçant fournit ce que demande le client — par nécessité — s’il tient à rester sur le marché.  Il est hors de doute que ces établissements fournissent ce qui peut se faire de mieux comme lignée du type jaune éclatant.  Mais nous n’avons pas le moindre doute que c’est la « fauve Ligure » qui est, de loin, la meilleure abeille.

Il y a relativement peu d’apiculteurs commerciaux en Italie, pays surtout d’apiculture sur une petite échelle.  L’agriculture y est pratiquée trop intensivement pour permettre de tenir un grand nombre de colonies dans une localité.  Pour cela, les zones montagneuses où abondent thym, sauge, bruyère, etc., offrent les meilleures perspectives à la production commerciale de miel.  La Calabre paraît particulièrement favorisée à ce point de vue.  Il s’y trouve, en outre, de vastes bocages d’orangers et de citronniers le long de la côte, qui donnent une riche récolte au premier printemps, avant que ne démarre la flore de montagne.  Les bruyères des monts de la Calabre, bruyères méditerranéennes blanches, donnent un miel blanc que la force centrifuge permet d’extraire.  Il semblerait que, souvent, les provisions d’hiver proviennent du jus de figues de la seconde récolte qu’on laisse généralement pourrir, les fruits étant trop petits.  De bonne source, il nous a été rapporté que certaines colonies en avaient emmagasiné près de 7 kilos net, l’automne dernier.  Dans ce climat subtropical, les abeilles hivernent parfaitement sur ce jus de figues.

L’apiculture n’a pas jusqu’ici atteint un niveau élevé d’efficience, en Italie.  Néanmoins un mouvement se dessine.  Le cadre d’usage courant est le « Dadant » ou le « Langstroth ».  En Campanie, sur les collines d’Albe et dans l’Italie du nord-ouest, on utilise encore largement des ruches-caisses d’environ 25 cm de côté et hautes de 60 cm.