La Sicile

Arrivé à Messine, le 19 septembre, nous partions aussitôt pour Randazzo, sur le versant nord de l’Etna, région bien connue en apiculture.  Il n’y a pas tant d’années, on ne pouvait trouver dans toute l’étendue de l’île que l’abeille indigène, Apis mellifera var. sicula, mais, ces dernières années, des reines de l’Italie septentrionale ont été importées.  Si cette importation d’abeilles « jaune éclatant » doit, en fin de compte, être profitable à l’apiculture en Sicile, est une question non encore résolue.  Une autorité bien connue de Rome exprimait des doutes et une profonde inquiétude à ce sujet.  Dans le voisinage de Randazzo nous n’avons trouvé que des métis, et suivant informations reçues, il en irait de même pour tout le nord-est de l’île.  Mais en venant à Randazzo, nous envisagions surtout de prendre contact avec le Cav. P.A. VAGLIASINDI, l’autorité apicole la plus qualifiée de Sicile.  Sur son conseil, nous partions pour le secteur sud-est extrême de la Sicile, pour Noto et Raguse, région où abonde le caroubier (Ceratonia siliqua).  Tous les ans, quand le caroubier fleurit, en octobre c’est un afflux de colonies qu’on descend des collines avoisinantes.  Le caroubier est une des sources les plus généreuses de nectar.  Lors de notre visite, les arbres étaient en boutons et la migration des apiculteurs n’avait pas encore commencé si bien que nous avons manqué une chance unique de nous documenter sur l’ampleur des variantes dans les caractères des lignées siciliennes pures.  Nous pûmes néanmoins nous assurer quelques spécimens de reines siciliennes pures dans la région.

La sicula a la réputation d’être fort apparentée à l’abeille tunisienne, sans que, pour autant que nous sachions, la chose ait été établie définitivement.  Au moment de notre visite, il était fort malaisé de se faire une idée des caractères généraux de la sicula .  C’était au terme de la longue sécheresse estivale, les pluies d’automne n’avaient pas encore commencé et la grande miellée de caroubier non plus.  Aussi toutes les colonies étaient-elles au point le plus bas.  Pratiquement, le couvain était absent des colonies que nous examinâmes et, dans chacune, les provisions étaient presque épuisées.  Notre conclusion n’en est pas moins que l’abeille sicilienne indigène doit posséder une énergie extraordinaire et une longévité exceptionnelle, sans quoi elle ne survivrait pas aux longues périodes de famine.  Elle a la réputation d’avoir mauvais caractère; nous avons pu en manier sans protection aucune — tout au moins les colonies examinées dans les régions de Noto et Raguse.  Par contre, nous sommes tombés en Sicile Centrale sur certaines colonies terriblement méchantes.  On nous a assuré que la sicula est peu encline au pillage, voire ne pillerait pas du tout — ce qui, si c’est vrai, serait un trait fort précieux.  Ce n’est que l’épreuve à nos ruchers qui révélera les vraies propriétés de cette abeille et déterminera, et son mérite comme productrice de miel dans ce pays, et sa valeur possible en vue du croisement.

Dans beaucoup d’endroits de la Sicile, on fait de l’apiculture aussi primitive qu’elle dut l’être, pour autant que nous le sachions, dans la lointaine antiquité.  Par-ci, par-là, on trouve des cadres mobiles, mais la majorité des colonies est hébergée en caisses à rayons fixes.  Elles sont confectionnées, soit en bois, soit, plus souvent, en tiges de fenouil géant (Ferula thyrsifolia), d’où le nom des ruches : « férula ».  Les tiges ont environ 4 centimètres de diamètre et sont extrêmement légères, comme du bouchon dont elles ont très certainement la capacité isolante.  Construites en bois, ou en fenouil, les caisses ont environ 25 cm de côté et environ 75 cm de long.  Les deux extrémités sont fermées par une planche bien ajustée.  L’espace occupé par les abeilles peut être réduit, si nécessaire, en enfonçant la planche de derrière vers le centre de la ruche.  Ces caisses sont invariablement empilées, cinq l’une sur l’autre en général et il arrive que jusqu’à vingt piles soient mises côte à côte, formant un bloc énorme.  Un abri ouvert, en pierres, toit de tuiles incliné, donne la protection nécessaire contre le soleil et la pluie.  Toutes les manipulations se font vers l’avant : les caisses sont tirées et remises en place suivant nécessité.  A la récolte, les abeilles ne sont pas détruites mais seulement refoulées à l’avant au moyen de fumée.  La ruche « ferula » est typiquement sicilienne et, à notre connaissance, ce mode de construction ne se trouve nulle part ailleurs.

La flore nectarifère de Sicile est nettement subtropicale.  Les sources principales sont : citronnier, oranger, mandarinier, acacia et caroubier, thym de montagne et oléandre, plus un certain nombre de sources de moindre importance.