Dans ma relation précédente, concernant mes voyages et trouvailles en 1950, je déclarais que l’enquête devait nécessairement s’étendre à tous les pays riverains de la Méditerranée qui possèdent une abeille indigène de valeur remarquable.  Fin juin, commencèrent les préparatifs préliminaires aux expéditions prévues pour l’année suivante.  Dans une recherche de l’ordre envisagé, rien ne peut être réalisé sans l’aide directe et l’étroite collaboration des compétences de chaque pays à visiter.  Plus les préparatifs auront été poussés initialement, plus les perspectives de succès seront probables.  Huit mois consacrés à ce travail se révélèrent à peine suffisants.  Je désire ici exprimer toute mon estime et toute ma gratitude aux compétences de chacun des pays visités, pour l’aide dont j’ai bénéficié.  En fait, sans leur cordiale coopération, il ne m’aurait jamais été possible d’atteindre le succès obtenu.

Dans une enquête de ce genre, la détermination de l’époque et de la succession des pays visités est, dans une importante mesure, dictée par l’avancement de la saison apicole.  Ceci me réussit remarquablement, comme les événements le prouvèrent.  Je quittai l’Angleterre le 19 février avec comme premier objectif l’Afrique du Nord : Algérie, Maroc, Tunisie, Tripoli, la Cyrénaïque et l’Egypte.  Mais, après mon départ, un message fut reçu des autorités égyptiennes demandant de postposer ma visite en raison de complications politiques.  En outre, alors que je me trouvais déjà en Algérie, le décret de loi martiale empêcha l’expédition prévue à l’Est, le long de la côte africaine.  De fait, il me fallut rentrer par mer à Marseille et, de là, m’embarquer pour Israël, où je passai dix jours.  Je touchai Haïfa le 9 avril, visitai ensuite la Jordanie et la Syrie, le Liban, Chypre, la Grèce, la Turquie, la Yougoslavie, l’Italie septentrionale et finalement l’Espagne et le Portugal.  Mais tandis que la tournée avançait, il apparut que, pour cette fois-ci, il me faudrait renoncer à la Turquie si je voulais terminer en temps utile avec les moyens dont je disposais.  A mi-août, comme j’arrivais aux Alpes Ligures, intervint un autre facteur qui remit en question 1’inclusion, dans le voyage, de la péninsule ibérique, pour l’automne, quand bien même il semblait que le succès final de ma tâche dût en dépendre.  L’effort soutenu depuis février rendait une interruption indispensable, mais après un court répit, je fus en mesure de regagner l’Angleterre, le 28 septembre.

Afrique du Nord

L’abeille indigène de l’Afrique du Nord est connue sous divers noms.  Des naturalistes l’appelèrent Apis mellifera unicolor var.  intermissa.  Le zoologiste V. BUTTEL-REEPEN lui donna la sous qualification intermissa dans l’idée qu’elle était une espèce intermédiaire entre l’abeille unicolore de Madagascar et la variété Lehzeni de l’Allemagne septentrionale et de la Scandinavie.  Des recherches ultérieures devront déterminer si cette supposition est fondée.  Néanmoins, la littérature scientifique connaît cette abeille sous le nom de intermissa depuis 1906.

D’Amérique, Frank BENTON visita la Tunisie en 1883, pour déterminer la valeur des abeilles trouvées dans cette partie du monde.  Il recueillit quelques reines et baptisa cette nouvelle variété du nom de « abeille tunisienne » supposant sans doute que cette race était cantonnée à la Tunisie.  John HEWITT visita le même pays par la suite et fit connaître l’abeille nord-africaine aux apiculteurs anglais sous le nom « d’abeille punique ».  En Afrique du Nord, on la désigne communément comme « l’abeille arabe ».

La distribution géographique de cette race dans sa forme la plus typique ,est limitée à la région bornée à l’Est par le désert de Libye, au Sud par le Sahara, à l’Ouest par l’Atlantique et au Nord par la Méditerranée.  En toutes directions se dressent donc des barrières infranchissables aux abeilles.  Leur habitat natif, il est clair qu’il ne se borne pas à la Tunisie ; notre abeille est indigène tout autant en Tripolitaine, Algérie et Maroc.  Néanmoins son centre de distribution principal se situe indéniablement sur les élévations dites « tell » par les Arabes, si bien que l’appellation « abeilles du Tell » proposée par Ph. BALDENSPERGER, le premier, paraît la plus propre.

Il est fort surprenant que les recueils de références ne contiennent que de plus qu’indigentes indications sur les caractéristiques de l’abeille du Tell (tellienne), et presque tout ce qu’on en dit la déprécie.

Mes tentatives en vue de me procurer des renseignements de première main en important quelques reines d’Afrique du Nord, il y a plus de trente ans, aboutirent à un échec.  Me basant sur des informations recueillies dans l’extrême Sud de la France et la Sicile, je n’en fondais pas moins de grands espoirs sur la valeur de la tellienne en vue de son métissage.  Ce que j’ai constaté dans son habitat indigène a confirmé ce que j’en attendais depuis mon voyage de 1950 et ce que les études faites à nos propres ruchers en 1953 ont maintenant bien établi.  Les recherches biométriques du Dr Friedrich RUTTNER, sur des sujets qui lui ont été procurés, ont corroboré mon point de vue relatif à la valeur de cette race pour le métissage : il a découvert chez la tellienne tous les caractères extérieurs connus des races d’abeilles européennes.

Quand nous nous mîmes en route, fin février, presque partout régnaient des conditions hivernales.  Un contraste, une transformation plus violents que celui qui me saisit en débarquant à Alger n’est guère concevable.  La floraison de l’oranger et de nombre d’eucalyptus était bien avancée — en fait la profusion florale défiait toute description, dans les jardins et les champs, les bois et les maquis, les collines et le désert.  L’essaimage battait son plein, et aussi la miellée.

Le professeur A. STURER était sur le quai à Alger, ainsi que M. Camille PARADEAU, un des apiculteurs professionnels les plus progressistes et prospères d’Afrique du Nord.  Je tiens à le remercier pour sa précieuse assistance sans laquelle je n’aurais pu venir au bout de ma tâche dans le temps dont je disposais.  Les préparatifs qu’il avait accumulés les mois précédents, autant que sa connaissance parfaite des conditions locales, nous ont permis de pousser plus à fond notre exploration de l’Algérie et de le faire en un minimum de temps.

Nous avons visité en succession rapide une série de ruchers dans toute l’Algérie — dans les vallées reculées dominées par les cimes neigeuses du Diurjura, dans le bocage primitif qu’on trouve encore par-ci par-là le long du rivage méditerranéen, sur le plateau peu peuplé qui s’insère entre l’Atlas et le Sahara, et en bordure même du désert et même dans le désert.  Nous avons visité un grand nombre de ruchers commerciaux ; ceux-ci principalement dans la région fertile entre l’Atlas et la Méditerranée, où l’on trouve des plantations de citronniers presque infinies.  Cependant, nos recherches ont porté principalement sur des ruchers primitifs dans des endroits reculés du pays, où, par la force des choses, la tellienne a conservé au maximum sa forme et sa pureté.

L’apiculture extensive et l’usage d’équipement apicole moderne sont généralement limités à la population française.  Les apiculteurs commerciaux progressistes sont partisans de l’hybride italienne.  Les ruches sont de modèle Langstroth ou Dadant.  Les énormes étendues d’agrumes, surtout orangers, fournissent la principale source de nectar.  Des récoltes extraordinaires sont réalisées lorsque la saison est favorable et la conduite experte.  Des rendements considérables sont obtenus également de l’eucalyptus, du romarin, du thym, de la lavande et de quantité d’autres sources secondaires.  L’apiculture pastorale est largement pratiquée par les professionnels.

L’apiculture des indigènes est ce qu’on peut imaginer de plus simple et de plus primitif.  D’un bout à l’autre de l’Algérie, nous n’avons rencontré aucun autre modèle de ruche primitive que celle qui est confectionnée de tiges de Ferula.  La Ferula thyrsiflora pousse partout à profusion et atteint une taille gigantesque.  Elle donne le matériel économique par excellence pour des ruches les tiges mûres sont récoltées à l’automne et une ruche complète revient à environ 75 francs français (anciens!).  En cours de route, nous avons fréquemment croisé des chameaux et mulets se rendant au marché, chargés de ruches de ce modèle.  Malgré la méthode primitive, l’Arabe fait des récoltes qui ne le cèdent en rien à celles de certains pays d’Europe où l’équipement et la conduite du rucher sont évolués.  Sauf ce que peut lui coûter la ruche, l’arabe ne dépense rien pour produire son miel.

En Sicile, où l’usage des ruches Ferula est aussi répandu, il est prévu une certaine protection contre le soleil et la pluie.  Les ruches y sont proprement rangées en couches de quatre ou cinq superposées, avec jusqu’à vingt ruches côte à côte, le tout formant un bloc énorme de ruches.  En outre, un hangar ouvert offre une certaine protection contre les extrêmes de la température et les pluies torrentielles.  Dans un rucher arabe primitif, rien de cet arrangement ordonné et de ces précautions élémentaires.  Généralement, les ruches en Ferula sont éparses à même le sol, à l’abandon et souvent en ruine.  Les abeilles, ainsi exposées aux éléments, n’ont qu’à prospérer ou périr.  Et pourtant, outre des extrêmes de température et des pluies torrentielles, il leur faut faire face à une armée d’ennemis telle qu’il ne s’en trouve peut-être pas de pareille ailleurs dans le monde entier.  Au cours des temps, dans cette ambiance, la Nature a modelé la tellienne telle que nous la connaissons.  Mais, comme il est si souvent de règle là où l’on trouve des qualités exceptionnelles, celles-ci mêmes sont à l’origine de certaines graves imperfections.

Avec une subtile unanimité, tous les traités sur lesquels j’ai pu mettre la main mentionnent la tellienne en termes péjoratifs.  Cela se résume globalement à l’appréciation et à la recommandation : « une race inférieure à peu près en tout point, à ne jamais importer où que ce soit ».  Pourtant plus de vingt ans se sont écoulés depuis que Frank BENTON recueillait ses premières reines en Tunisie et, comme cela arrive si souvent, ce qu’en un temps on a rejeté comme sans valeur s’est révélé par la suite précieux à l’extrême, une fois mieux connu.  La tellienne est sans valeur pour l’apiculteur amateur, soit.  Mais il ne subsiste guère de doute qu’elle est une des races ayant le plus de valeur en vue du métissage.  Les services qu’elle est apte à rendre en cela dépendront largement du soin mis dans le choix de la colonie d’élevage et — ceci tout aussi important — du soin avec lequel il sera procédé au croisement pour provoquer l’épanouissement des meilleures qualités de la race.

La tellienne pure est noire — noir jais, oserait-on dire —, plus noire que la « Nigra » d’origine suisse.  Ce noir est accentué par la rareté de tomentum et de poil.  Elle est peut-être un rien plus grande que sa cousine germaine l’Apis mellifera var. sicula de Sicile.  Les reines sont de couleur plus uniforme que celles d’aucune race d’Europe, noir jais, longues et minces, et fort pointues, à la différence de l’italienne dodue ou de la pesante carniolienne.

Tant reines qu’ouvrières sont vite en mouvement et capables de nervosité extrême lors des manipulations.  De fait, quand on ouvre une ruche, les abeilles ont tendance à entrer en ébullition et à faire le carrousel de façon inquiétante dans la chambre à couvain.  Mais calmées après quelques minutes de paix, elles se soumettront aux manipulations aussi docilement que toute abeille commune d’Europe septentrionale.  Elles peuvent avoir mauvais caractère, mais pas plus que les abeilles noires du midi de la France qu’on avait l’habitude d’importer en si grande quantité dans mon pays.  Tout en étant tombé sur des lignées extrêmement coriaces au cours de nos recherches, nous avons découvert ailleurs quelques lignées maniables au plus haut degré.  Suivant mon estimation, les défauts les plus sérieux de la tellienne sont :

  1. tendance extrême à l’essaimage,
  2. forte accessibilité aux maladies du couvain,
  3. recours généreux à la propolis,
  4. operculation aqueuse.

En regard de ces défauts, sa vitalité, sa fertilité, sa puissance comme butineuse restent inégalées.

L’extrême propension à l’essaimage tient indubitablement à l’extrême vitalité et fertilité.  La réceptivité innée et prononcée aux maladies du couvain est un défaut commun à presque toutes les variétés de l’abeille noire d’Europe, en particulier de la française.  Mais elle est plus accentuée encore que chez la française.  En réalité, ces deux races ont beaucoup de traits communs, p. ex. la débauche de propolis.  On retrouve une relation étroite entre les deux dans tous les caractères — operculation exceptée — mais les qualités sont plus marquées chez la tellienne.

La fécondité de la tellienne est remarquable.  Mais l’extrême fertilité est sans intérêt si elle ne s’accompagne pas d’un degré élevé d’activité, et c’est en cela que la tellienne dépasse toute autre race.  En outre, de cette activité découle toute une série de propriétés désirables : longévité, robustesse, puissance du vol, etc.  Des observations faites en 1953 m’amènent à penser que la tellienne est l’abeille ayant la plus longue vie.  J’ai aussi noté qu’elle garde son activité à des températures auxquelles nulle autre abeille ne mettrait le nez à la porte, pas même la carniolienne.

Comme déjà signalé, la tellienne n’a pas seulement à affronter des variations extrêmes en fait de conditions climatiques, il lui faut faire face aussi aux ravages d’ennemis innombrables.  L’énorme escarboucle noir, cetonia opaca, inconnu en Europe du Nord, la menace constamment, prêt à ruiner les rayons s’il parvient à s’introduire dans la ruche.  Les abeilles paraissent bien n’avoir rien à opposer à cet ennemi.  Pas plus, du reste, qu’au merops superciliosus, ce vorace mangeur d’abeilles aux joues bleues, un des plus délicieux oiseaux de la création — mais un ennemi mortel de l’abeille.  Cet oiseau se nourrit d’abeilles, bien qu’il gobe à l’occasion une guêpe ou deux.  Et, ce qui complique les choses, c’est qu’il ne vit pas isolé, mais en volées qui en comptent jusqu’à cent.  On estime qu’une bande de l’espèce consomme sa livre d’abeilles chaque jour.  Heureusement cet oiseau émigre en septembre vers le cap de Bonne Espérance, mais il réapparaît en mars.  Le frelon d’Orient sévit en plein en Afrique du Nord ; néanmoins c’est la fourmi aveugle — dorylus fulvas — qui est à considérer comme l’ennemi le plus sournois.  Rongeant un trou à travers la planche du fond, sans qu’on s’en aperçoive, cet insecte passe dans la ruche et, avant que le maître ne se soit rendu compte que quelque chose ne va pas, la colonie a péri et l’envahisseur a disparu.

Il y a constamment des lézards et crapauds autour des ruches.  Quand on soulève le toit d’une ruche, il n’est pas rare d’en voir s’échapper un flot de lézards.  La fausse teigne constitue un problème sérieux dans tout pays subtropical ; toute colonie sans résistance, ou incapable de garder ses effectifs durant les mois d’été, a peu de chance d’échapper à la destruction à la suite de ses ravages.

On assure souvent que 1es colonies de telliennes présentent couramment le phénomène de la production de femelles parthénogénétiques ou sans paternité.  Jusqu’ici je n’ai rien découvert à l’appui de cette opinion.

Notre enquête en Algérie n’aurait pas été complète sans l’exploration des oasis du Sahara.  Nous y aurions perdu une des meilleures occasions offertes par la Nature d’étudier les effets de multiples siècles de consanguinité sur l’abeille.  En outre, tout incitait à penser que, dans l’isolement complet d’une oasis, il serait trouvé une lignée d’un type apte au métissage.  Bien qu’à court de temps, nous décidâmes de visiter Laghouat, Ghardaïa, Bou-Saada et, avec un peu de chance, peut-être l’une ou l’autre oasis moins connue.

Depuis mon arrivée en Afrique du Nord, j’avais vu beaucoup de la merveilleuse flore de l’Algérie : touffes éclatantes d’immaculées asphodèles, larges surfaces tapissées de soucis indigènes, calendula algeriensis, ou masses énormes d’oxalis corniculata rubra et variabilis, bouquets géants de l’éclatante erica arborea, et du thym mauve, bleu et pourpre.  Il se peut que les districts primitifs du littoral méditerranéen contiennent la concentration la plus sensationnelle de fleurs sauvages.  Les sources à nectar les plus importantes de la jungle subtropicale sont le romarin et la lavande — lavendula stacchas — qui prospèrent ici comme nulle part ailleurs.  Mais, sur notre route vers le Sahara, nous découvrîmes une flore sauvage totalement différente.  En pleine gloire printanière éphémère : un tapis épais s’étendant dans toutes les directions jusqu’à l’horizon.  L’air embaumait lourdement la douce senteur du miel, et le va-et-vient des insectes donnait l’impression d’un grand nombre d’essaims croisant par-dessus nos têtes.  Mais il n’y avait pas d’abeilles parmi cette foule.  Dans ces régions désolées, elles ne pourraient survivre au bref et brillant enchantement du printemps.

A Laghouat, nous trouvâmes environ cinquante colonies d’abeilles dont trois apiculteurs, l’un chrétien, le second juif et 1e troisième mahométan, étaient les propriétaires respectifs.  Au rucher du chrétien les abeilles étaient dans des ruches modernes tenues avec la sollicitude méticuleuse et maniaque caractéristique de l’amateur.  Chez le juif, c’était un conglomérat de ruches diverses aussi bien que de caisses de toutes formes et dimensions, suspendues en position renversée parmi les branches des mandariniers ; dans ces caisses, des essaims fraîchement enruchés.  Sous les caisses, on pouvait ramasser à la douzaine des cadavres de reines vierges.  Le troisième apiculteur, un officier arabe pensionné des forces françaises, nous permit aimablement l’accès à la séclusion de son jardin d’abeilles, mais seulement après que les formalités d’usage eurent été strictement observées.  Son rucher consistait en ruches de ferula, de forme et de dimensions traditionnelles, sauf que, pour quelque raison elles étaient enrobées d’une épaisse couche d’argile.  Le vieil Arabe, fièrement, pointait le doigt vers une ruche disparaissant dans une montagne d’herbe alfa, qui n’avait pas donné moins de sept essaims l’année précédente.  Au terme de la saison d’essaimage, il ne restait pas plus de deux à trois cents abeilles ; néanmoins cette colonie en miniature avait survécu et rempli la ruche de bâtisses nouvelles, de couvain et de miel — prête de nouveau à reprendre ses aspirations colonisatrices.  La consanguinité — depuis des temps immémoriaux, peut-être — n’avait pas eu ici d’effet néfaste sur la viabilité du couvain et la vitalité des abeilles.  Et de fait, c’est à Laghouat que nous avons rencontré les plus puissantes colonies de pures telliennes, couvrant, en mars, vingt cadres de couvain de format Dadant.  Les abeilles de l’oasis étaient remarquablement douces, nonobstant une violente tempête de sable déchaînée durant notre visite.

La fureur de cette tempête nous enleva toute possibilité de pénétrer plus profondément dans le Sahara.  Il nous fallut revenir sur nos pas et même le trajet vers le Nord, vers Bou-Saada, se révéla une aventure périlleuse.  L’extrême chaleur jointe au sirocco qui l’escortait, aggravée encore par les difficultés de la piste du désert qu’il fallait suivre, nous fut presque fatale : pas d’eau à des miles à la ronde pour compenser celle que notre radiateur perdait.  Bien que j’aie eu à subir l’épreuve de chaleurs extrêmes et des mécomptes de toute espèce durant les mois suivants, rien n’égala jamais le supplice du trajet de Laghouat à Bou-Saada.  Nous atteignîmes Alger le 30 mars et partions le lendemain matin pour Marseille, d’où nous nous embarquions le 2 avril pour Israël.

Je me suis abstenu de décrire plus amplement les caractères moins manifestes de l’abeille tellienne, parce que mes investigations ne sont pas terminées encore.  Quoi qu’il en soit, tout ce que j’en ai découvert jusqu’ici indique que la tellienne est une race primaire, et que les nombreuses variétés d’abeilles brunes ou noires — tout au moins celles d’Europe occidentale — ont évolué au cours du temps à partir de la tellienne.  Je n’ai pas, jusqu’ici, eu le temps d’explorer la Péninsule Ibérique, mais les lignées que j’ai trouvées à l’extrême Sud de la France ne sont, dans tous leurs caractères, distantes que de quelques degrés du prototype.  L’affinité étroite est évidente.  Le dessin de l’évolution, au nord et au nord-est des Pyrénées, peut être facilement retracé et les différences sont affaire d’intensité et de degré uniquement.  Les études du Dr RUTTNER, sur de la matière d’Afrique du Nord qui lui a été procurée, confirment mes ébauches de conclusions.

A la dernière minute des difficultés m’empêchèrent d’inclure le Maroc dans ma tournée de recherches de 1952.  Je me vis, à regret, également obligé de renoncer à visiter les confins extrêmes du sud-ouest de l’Algérie, habitat de l’abeille saharienne.