si vous préférez,
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par le Frère ADAM, O.S.B. (1898 - 1996) © photo Erik Österlund Abbaye St Mary, Buckfast, South Devon - Angleterre. Traduction et adaptation française par Georges LEDENT Uccle, Belgique |
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publié en français dans La Belgique Apicole, 19, 1955, par épisodes, avec leur permission. Original in Bee World, 35(10), 1954, 193-203. |
Belg. Apic. 19(4), 1955, 72-80.
Dans ma relation précédente, concernant mes voyages et trouvailles en 1950, je déclarais que l’enquête devait nécessairement s’étendre à tous les pays riverains de la Méditerranée qui possèdent une abeille indigène de valeur remarquable. Fin juin, commencèrent les préparatifs préliminaires aux expéditions prévues pour l’année suivante. Dans une recherche de l’ordre envisagé, rien ne peut être réalisé sans l’aide directe et l’étroite collaboration des compétences de chaque pays à visiter. Plus les préparatifs auront été poussés initialement, plus les perspectives de succès seront probables. Huit mois consacrés à ce travail se révélèrent à peine suffisants. Je désire ici exprimer toute mon estime et toute ma gratitude aux compétences de chacun des pays visités, pour l’aide dont j’ai bénéficié. En fait, sans leur cordiale coopération, il ne m’aurait jamais été possible d’atteindre le succès obtenu.
Dans une enquête de ce genre, la détermination de l’époque et de la succession des pays visités est, dans une importante mesure, dictée par l’avancement de la saison apicole. Ceci me réussit remarquablement, comme les événements le prouvèrent. Je quittai l’Angleterre le 19 février avec comme premier objectif l’Afrique du Nord : Algérie, Maroc, Tunisie, Tripoli, la Cyrénaïque et l’Egypte. Mais, après mon départ, un message fut reçu des autorités égyptiennes demandant de postposer ma visite en raison de complications politiques. En outre, alors que je me trouvais déjà en Algérie, le décret de loi martiale empêcha l’expédition prévue à l’Est, le long de la côte africaine. De fait, il me fallut rentrer par mer à Marseille et, de là, m’embarquer pour Israël, où je passai dix jours. Je touchai Haïfa le 9 avril, visitai ensuite la Jordanie et la Syrie, le Liban, Chypre, la Grèce, la Turquie, la Yougoslavie, l’Italie septentrionale et finalement l’Espagne et le Portugal. Mais tandis que la tournée avançait, il apparut que, pour cette fois-ci, il me faudrait renoncer à la Turquie si je voulais terminer en temps utile avec les moyens dont je disposais. A mi-août, comme j’arrivais aux Alpes Ligures, intervint un autre facteur qui remit en question 1’inclusion, dans le voyage, de la péninsule ibérique, pour l’automne, quand bien même il semblait que le succès final de ma tâche dût en dépendre. L’effort soutenu depuis février rendait une interruption indispensable, mais après un court répit, je fus en mesure de regagner l’Angleterre, le 28 septembre.
L’abeille indigène de l’Afrique du Nord est connue sous divers noms. Des naturalistes l’appelèrent Apis mellifera unicolor var. intermissa. Le zoologiste V. BUTTEL-REEPEN lui donna la sous qualification intermissa dans l’idée qu’elle était une espèce intermédiaire entre l’abeille unicolore de Madagascar et la variété Lehzeni de l’Allemagne septentrionale et de la Scandinavie. Des recherches ultérieures devront déterminer si cette supposition est fondée. Néanmoins, la littérature scientifique connaît cette abeille sous le nom de intermissa depuis 1906.
D’Amérique, Frank BENTON visita la Tunisie en 1883, pour déterminer la valeur des abeilles trouvées dans cette partie du monde. Il recueillit quelques reines et baptisa cette nouvelle variété du nom de « abeille tunisienne » supposant sans doute que cette race était cantonnée à la Tunisie. John HEWITT visita le même pays par la suite et fit connaître l’abeille nord-africaine aux apiculteurs anglais sous le nom « d’abeille punique ». En Afrique du Nord, on la désigne communément comme « l’abeille arabe ».
La distribution géographique de cette race dans sa forme la plus typique ,est limitée à la région bornée à l’Est par le désert de Libye, au Sud par le Sahara, à l’Ouest par l’Atlantique et au Nord par la Méditerranée. En toutes directions se dressent donc des barrières infranchissables aux abeilles. Leur habitat natif, il est clair qu’il ne se borne pas à la Tunisie ; notre abeille est indigène tout autant en Tripolitaine, Algérie et Maroc. Néanmoins son centre de distribution principal se situe indéniablement sur les élévations dites « tell » par les Arabes, si bien que l’appellation « abeilles du Tell » proposée par Ph. BALDENSPERGER, le premier, paraît la plus propre.
Il est fort surprenant que les recueils de références ne contiennent que de plus qu’indigentes indications sur les caractéristiques de l’abeille du Tell (tellienne), et presque tout ce qu’on en dit la déprécie.
Mes tentatives en vue de me procurer des renseignements de première main en important quelques reines d’Afrique du Nord, il y a plus de trente ans, aboutirent à un échec. Me basant sur des informations recueillies dans l’extrême Sud de la France et la Sicile, je n’en fondais pas moins de grands espoirs sur la valeur de la tellienne en vue de son métissage. Ce que j’ai constaté dans son habitat indigène a confirmé ce que j’en attendais depuis mon voyage de 1950 et ce que les études faites à nos propres ruchers en 1953 ont maintenant bien établi. Les recherches biométriques du Dr Friedrich RUTTNER, sur des sujets qui lui ont été procurés, ont corroboré mon point de vue relatif à la valeur de cette race pour le métissage : il a découvert chez la tellienne tous les caractères extérieurs connus des races d’abeilles européennes.
Quand nous nous mîmes en route, fin février, presque partout régnaient des conditions hivernales. Un contraste, une transformation plus violents que celui qui me saisit en débarquant à Alger n’est guère concevable. La floraison de l’oranger et de nombre d’eucalyptus était bien avancée — en fait la profusion florale défiait toute description, dans les jardins et les champs, les bois et les maquis, les collines et le désert. L’essaimage battait son plein, et aussi la miellée.
Le professeur A. STURER était sur le quai à Alger, ainsi que M. Camille PARADEAU, un des apiculteurs professionnels les plus progressistes et prospères d’Afrique du Nord. Je tiens à le remercier pour sa précieuse assistance sans laquelle je n’aurais pu venir au bout de ma tâche dans le temps dont je disposais. Les préparatifs qu’il avait accumulés les mois précédents, autant que sa connaissance parfaite des conditions locales, nous ont permis de pousser plus à fond notre exploration de l’Algérie et de le faire en un minimum de temps.
Nous avons visité en succession rapide une série de ruchers dans toute l’Algérie — dans les vallées reculées dominées par les cimes neigeuses du Diurjura, dans le bocage primitif qu’on trouve encore par-ci par-là le long du rivage méditerranéen, sur le plateau peu peuplé qui s’insère entre l’Atlas et le Sahara, et en bordure même du désert et même dans le désert. Nous avons visité un grand nombre de ruchers commerciaux ; ceux-ci principalement dans la région fertile entre l’Atlas et la Méditerranée, où l’on trouve des plantations de citronniers presque infinies. Cependant, nos recherches ont porté principalement sur des ruchers primitifs dans des endroits reculés du pays, où, par la force des choses, la tellienne a conservé au maximum sa forme et sa pureté.
L’apiculture extensive et l’usage d’équipement apicole moderne sont généralement limités à la population française. Les apiculteurs commerciaux progressistes sont partisans de l’hybride italienne. Les ruches sont de modèle Langstroth ou Dadant. Les énormes étendues d’agrumes, surtout orangers, fournissent la principale source de nectar. Des récoltes extraordinaires sont réalisées lorsque la saison est favorable et la conduite experte. Des rendements considérables sont obtenus également de l’eucalyptus, du romarin, du thym, de la lavande et de quantité d’autres sources secondaires. L’apiculture pastorale est largement pratiquée par les professionnels.
L’apiculture des indigènes est ce qu’on peut imaginer de plus simple et de plus primitif. D’un bout à l’autre de l’Algérie, nous n’avons rencontré aucun autre modèle de ruche primitive que celle qui est confectionnée de tiges de Ferula. La Ferula thyrsiflora pousse partout à profusion et atteint une taille gigantesque. Elle donne le matériel économique par excellence pour des ruches les tiges mûres sont récoltées à l’automne et une ruche complète revient à environ 75 francs français (anciens!). En cours de route, nous avons fréquemment croisé des chameaux et mulets se rendant au marché, chargés de ruches de ce modèle. Malgré la méthode primitive, l’Arabe fait des récoltes qui ne le cèdent en rien à celles de certains pays d’Europe où l’équipement et la conduite du rucher sont évolués. Sauf ce que peut lui coûter la ruche, l’arabe ne dépense rien pour produire son miel.
En Sicile, où l’usage des ruches Ferula est aussi répandu, il est prévu une certaine protection contre le soleil et la pluie. Les ruches y sont proprement rangées en couches de quatre ou cinq superposées, avec jusqu’à vingt ruches côte à côte, le tout formant un bloc énorme de ruches. En outre, un hangar ouvert offre une certaine protection contre les extrêmes de la température et les pluies torrentielles. Dans un rucher arabe primitif, rien de cet arrangement ordonné et de ces précautions élémentaires. Généralement, les ruches en Ferula sont éparses à même le sol, à l’abandon et souvent en ruine. Les abeilles, ainsi exposées aux éléments, n’ont qu’à prospérer ou périr. Et pourtant, outre des extrêmes de température et des pluies torrentielles, il leur faut faire face à une armée d’ennemis telle qu’il ne s’en trouve peut-être pas de pareille ailleurs dans le monde entier. Au cours des temps, dans cette ambiance, la Nature a modelé la tellienne telle que nous la connaissons. Mais, comme il est si souvent de règle là où l’on trouve des qualités exceptionnelles, celles-ci mêmes sont à l’origine de certaines graves imperfections.
Avec une subtile unanimité, tous les traités sur lesquels j’ai pu mettre la main mentionnent la tellienne en termes péjoratifs. Cela se résume globalement à l’appréciation et à la recommandation : « une race inférieure à peu près en tout point, à ne jamais importer où que ce soit ». Pourtant plus de vingt ans se sont écoulés depuis que Frank BENTON recueillait ses premières reines en Tunisie et, comme cela arrive si souvent, ce qu’en un temps on a rejeté comme sans valeur s’est révélé par la suite précieux à l’extrême, une fois mieux connu. La tellienne est sans valeur pour l’apiculteur amateur, soit. Mais il ne subsiste guère de doute qu’elle est une des races ayant le plus de valeur en vue du métissage. Les services qu’elle est apte à rendre en cela dépendront largement du soin mis dans le choix de la colonie d’élevage et — ceci tout aussi important — du soin avec lequel il sera procédé au croisement pour provoquer l’épanouissement des meilleures qualités de la race.
La tellienne pure est noire — noir jais, oserait-on dire —, plus noire que la « Nigra » d’origine suisse. Ce noir est accentué par la rareté de tomentum et de poil. Elle est peut-être un rien plus grande que sa cousine germaine l’Apis mellifera var. sicula de Sicile. Les reines sont de couleur plus uniforme que celles d’aucune race d’Europe, noir jais, longues et minces, et fort pointues, à la différence de l’italienne dodue ou de la pesante carniolienne.
Tant reines qu’ouvrières sont vite en mouvement et capables de nervosité extrême lors des manipulations. De fait, quand on ouvre une ruche, les abeilles ont tendance à entrer en ébullition et à faire le carrousel de façon inquiétante dans la chambre à couvain. Mais calmées après quelques minutes de paix, elles se soumettront aux manipulations aussi docilement que toute abeille commune d’Europe septentrionale. Elles peuvent avoir mauvais caractère, mais pas plus que les abeilles noires du midi de la France qu’on avait l’habitude d’importer en si grande quantité dans mon pays. Tout en étant tombé sur des lignées extrêmement coriaces au cours de nos recherches, nous avons découvert ailleurs quelques lignées maniables au plus haut degré. Suivant mon estimation, les défauts les plus sérieux de la tellienne sont :
- tendance extrême à l’essaimage,
- forte accessibilité aux maladies du couvain,
- recours généreux à la propolis,
- operculation aqueuse.
En regard de ces défauts, sa vitalité, sa fertilité, sa puissance comme butineuse restent inégalées.
L’extrême propension à l’essaimage tient indubitablement à l’extrême vitalité et fertilité. La réceptivité innée et prononcée aux maladies du couvain est un défaut commun à presque toutes les variétés de l’abeille noire d’Europe, en particulier de la française. Mais elle est plus accentuée encore que chez la française. En réalité, ces deux races ont beaucoup de traits communs, p. ex. la débauche de propolis. On retrouve une relation étroite entre les deux dans tous les caractères — operculation exceptée — mais les qualités sont plus marquées chez la tellienne.
La fécondité de la tellienne est remarquable. Mais l’extrême fertilité est sans intérêt si elle ne s’accompagne pas d’un degré élevé d’activité, et c’est en cela que la tellienne dépasse toute autre race. En outre, de cette activité découle toute une série de propriétés désirables : longévité, robustesse, puissance du vol, etc. Des observations faites en 1953 m’amènent à penser que la tellienne est l’abeille ayant la plus longue vie. J’ai aussi noté qu’elle garde son activité à des températures auxquelles nulle autre abeille ne mettrait le nez à la porte, pas même la carniolienne.
Comme déjà signalé, la tellienne n’a pas seulement à affronter des variations extrêmes en fait de conditions climatiques, il lui faut faire face aussi aux ravages d’ennemis innombrables. L’énorme escarboucle noir, cetonia opaca, inconnu en Europe du Nord, la menace constamment, prêt à ruiner les rayons s’il parvient à s’introduire dans la ruche. Les abeilles paraissent bien n’avoir rien à opposer à cet ennemi. Pas plus, du reste, qu’au merops superciliosus, ce vorace mangeur d’abeilles aux joues bleues, un des plus délicieux oiseaux de la création — mais un ennemi mortel de l’abeille. Cet oiseau se nourrit d’abeilles, bien qu’il gobe à l’occasion une guêpe ou deux. Et, ce qui complique les choses, c’est qu’il ne vit pas isolé, mais en volées qui en comptent jusqu’à cent. On estime qu’une bande de l’espèce consomme sa livre d’abeilles chaque jour. Heureusement cet oiseau émigre en septembre vers le cap de Bonne Espérance, mais il réapparaît en mars. Le frelon d’Orient sévit en plein en Afrique du Nord ; néanmoins c’est la fourmi aveugle — dorylus fulvas — qui est à considérer comme l’ennemi le plus sournois. Rongeant un trou à travers la planche du fond, sans qu’on s’en aperçoive, cet insecte passe dans la ruche et, avant que le maître ne se soit rendu compte que quelque chose ne va pas, la colonie a péri et l’envahisseur a disparu.
Il y a constamment des lézards et crapauds autour des ruches. Quand on soulève le toit d’une ruche, il n’est pas rare d’en voir s’échapper un flot de lézards. La fausse teigne constitue un problème sérieux dans tout pays subtropical ; toute colonie sans résistance, ou incapable de garder ses effectifs durant les mois d’été, a peu de chance d’échapper à la destruction à la suite de ses ravages.
On assure souvent que 1es colonies de telliennes présentent couramment le phénomène de la production de femelles parthénogénétiques ou sans paternité. Jusqu’ici je n’ai rien découvert à l’appui de cette opinion.
Notre enquête en Algérie n’aurait pas été complète sans l’exploration des oasis du Sahara. Nous y aurions perdu une des meilleures occasions offertes par la Nature d’étudier les effets de multiples siècles de consanguinité sur l’abeille. En outre, tout incitait à penser que, dans l’isolement complet d’une oasis, il serait trouvé une lignée d’un type apte au métissage. Bien qu’à court de temps, nous décidâmes de visiter Laghouat, Ghardaïa, Bou-Saada et, avec un peu de chance, peut-être l’une ou l’autre oasis moins connue.
Depuis mon arrivée en Afrique du Nord, j’avais vu beaucoup de la merveilleuse flore de l’Algérie : touffes éclatantes d’immaculées asphodèles, larges surfaces tapissées de soucis indigènes, calendula algeriensis, ou masses énormes d’oxalis corniculata rubra et variabilis, bouquets géants de l’éclatante erica arborea, et du thym mauve, bleu et pourpre. Il se peut que les districts primitifs du littoral méditerranéen contiennent la concentration la plus sensationnelle de fleurs sauvages. Les sources à nectar les plus importantes de la jungle subtropicale sont le romarin et la lavande — lavendula stacchas — qui prospèrent ici comme nulle part ailleurs. Mais, sur notre route vers le Sahara, nous découvrîmes une flore sauvage totalement différente. En pleine gloire printanière éphémère : un tapis épais s’étendant dans toutes les directions jusqu’à l’horizon. L’air embaumait lourdement la douce senteur du miel, et le va-et-vient des insectes donnait l’impression d’un grand nombre d’essaims croisant par-dessus nos têtes. Mais il n’y avait pas d’abeilles parmi cette foule. Dans ces régions désolées, elles ne pourraient survivre au bref et brillant enchantement du printemps.
A Laghouat, nous trouvâmes environ cinquante colonies d’abeilles dont trois apiculteurs, l’un chrétien, le second juif et 1e troisième mahométan, étaient les propriétaires respectifs. Au rucher du chrétien les abeilles étaient dans des ruches modernes tenues avec la sollicitude méticuleuse et maniaque caractéristique de l’amateur. Chez le juif, c’était un conglomérat de ruches diverses aussi bien que de caisses de toutes formes et dimensions, suspendues en position renversée parmi les branches des mandariniers ; dans ces caisses, des essaims fraîchement enruchés. Sous les caisses, on pouvait ramasser à la douzaine des cadavres de reines vierges. Le troisième apiculteur, un officier arabe pensionné des forces françaises, nous permit aimablement l’accès à la séclusion de son jardin d’abeilles, mais seulement après que les formalités d’usage eurent été strictement observées. Son rucher consistait en ruches de ferula, de forme et de dimensions traditionnelles, sauf que, pour quelque raison elles étaient enrobées d’une épaisse couche d’argile. Le vieil Arabe, fièrement, pointait le doigt vers une ruche disparaissant dans une montagne d’herbe alfa, qui n’avait pas donné moins de sept essaims l’année précédente. Au terme de la saison d’essaimage, il ne restait pas plus de deux à trois cents abeilles ; néanmoins cette colonie en miniature avait survécu et rempli la ruche de bâtisses nouvelles, de couvain et de miel — prête de nouveau à reprendre ses aspirations colonisatrices. La consanguinité — depuis des temps immémoriaux, peut-être — n’avait pas eu ici d’effet néfaste sur la viabilité du couvain et la vitalité des abeilles. Et de fait, c’est à Laghouat que nous avons rencontré les plus puissantes colonies de pures telliennes, couvrant, en mars, vingt cadres de couvain de format Dadant. Les abeilles de l’oasis étaient remarquablement douces, nonobstant une violente tempête de sable déchaînée durant notre visite.
La fureur de cette tempête nous enleva toute possibilité de pénétrer plus profondément dans le Sahara. Il nous fallut revenir sur nos pas et même le trajet vers le Nord, vers Bou-Saada, se révéla une aventure périlleuse. L’extrême chaleur jointe au sirocco qui l’escortait, aggravée encore par les difficultés de la piste du désert qu’il fallait suivre, nous fut presque fatale : pas d’eau à des miles à la ronde pour compenser celle que notre radiateur perdait. Bien que j’aie eu à subir l’épreuve de chaleurs extrêmes et des mécomptes de toute espèce durant les mois suivants, rien n’égala jamais le supplice du trajet de Laghouat à Bou-Saada. Nous atteignîmes Alger le 30 mars et partions le lendemain matin pour Marseille, d’où nous nous embarquions le 2 avril pour Israël.
Je me suis abstenu de décrire plus amplement les caractères moins manifestes de l’abeille tellienne, parce que mes investigations ne sont pas terminées encore. Quoi qu’il en soit, tout ce que j’en ai découvert jusqu’ici indique que la tellienne est une race primaire, et que les nombreuses variétés d’abeilles brunes ou noires — tout au moins celles d’Europe occidentale — ont évolué au cours du temps à partir de la tellienne. Je n’ai pas, jusqu’ici, eu le temps d’explorer la Péninsule Ibérique, mais les lignées que j’ai trouvées à l’extrême Sud de la France ne sont, dans tous leurs caractères, distantes que de quelques degrés du prototype. L’affinité étroite est évidente. Le dessin de l’évolution, au nord et au nord-est des Pyrénées, peut être facilement retracé et les différences sont affaire d’intensité et de degré uniquement. Les études du Dr RUTTNER, sur de la matière d’Afrique du Nord qui lui a été procurée, confirment mes ébauches de conclusions.
A la dernière minute des difficultés m’empêchèrent d’inclure le Maroc dans ma tournée de recherches de 1952. Je me vis, à regret, également obligé de renoncer à visiter les confins extrêmes du sud-ouest de l’Algérie, habitat de l’abeille saharienne.
Belg. Apic. 19(5), 1955, 113-117.
Après sept jours en mer, assez désagréables, la Palestine — le pays où coule le lait et le miel — fut atteinte le 8 avril. Je passai la nuit sur le Mont Carmel et, le lendemain matin, durant le voyage vers Tel-Aviv, la Terre Promise se révéla dans toute la gloire de son printemps. On me dit que la profusion extraordinaire de fleurs sauvages qui s’offrait à la vue n’avait pas eu sa pareille depuis presque un demi siècle. Elle était due aux pluies exceptionnellement abondantes de l’hiver précédent.
La route vers Tel-Aviv traverse la partie la plus fertile d’Israël, la plaine de Saron, qui s’étend au Sud du Mont Carmel. Une ceinture de plantations d’orangers large d’environ 35 km l’enserre sans interruption jusqu’à Jaffa et au-delà. En pleine floraison, elle répandait un lourd parfum sur toute la campagne. On me dit que la miellée était près de son maximum et que les apiculteurs étaient déjà occupés à extraire.
Au Ministère de l’Agriculture, à Tel-Aviv, je fus présenté à M. D. ARDI, conseiller apicole du Gouvernement. Bientôt un plan fut établi pour la prospection d’Israël et il fut convenu que M. ARDI me servirait de guide. Je lui exprime ici tous mes remerciements pour son aide et son hospitalité.
La poussée dynamique de cet Etat de formation récente se manifeste partout. Les problèmes économiques sont résolus de la manière la plus directe et la plus efficiente. Peut-être l’exemple le plus frappant en est-il l’action entreprise par le Ministère israélien de l’Agriculture pour équiper les apiculteurs de tout le pays d’un matériel d’élevage de qualité. Ce matériel provient des stations de fécondation appartenant au gouvernement. La principale est à Hefzebah, près de l’ancienne Césarée. Par force de loi, aucune abeille ne peut être tenue dans un rayon de cinq km de la station.
Hefzebah produit une lignée d’italiennes spécialement sélectionnées qui a fait l’objet, avant d’être généralement adoptée, de tests approfondis durant une série d’années, sous le climat d’Israël, côte à côte avec nombre de lignées d’origines variées. Ce faisant, le Gouvernement d’Israël vient en aide à la profession de la façon la plus efficace qui soit.
II est arrivé qu’on dise qu’Israël possède sa propre race d’abeilles indigènes. Mais en y regardant de plus près, on a constaté qu’il n’y a pas de différence tranchée entre les abeilles du Liban, de Syrie et de Palestine. Les légères variations ne justifient pas une classification séparée. Géographiquement, Israël est une partie de la Syrie et il n’y a pas de barrière naturelle qui eût pu empêcher une interpénétration s’il avait existé plus d’une seule race indigène.
L’abeille syrienne, Apis mellifera var. syriaca, ressemble à la cypriote ; les deux races n’en sont pas moins nettement distinctes, bien qu’étroitement apparentées. La syrienne est plus menue et présente tous les défauts de la cypriote, à un degré plus intense, en particulier l’agressivité. A mon point de vue, l’humeur de la syrienne enlève à cette race toute valeur qu’elle pourrait présenter à d’autres titres, bien qu’à l’encontre de certaines races européennes, elle n’attaque que quand on la dérange. Une apiculture primitive peut fort bien s’en accommoder puisqu’en dehors d’une récolte de miel par an, en fin de saison, quand la colonie en est à son point le plus bas, on n’y met pas les doigts. Mais les manipulations que requiert l’apiculture moderne ne paraissent pas compatibles avec des colonies de syriennes. Même des colonies miniatures, ne couvrant que quelques rayons, ne tolèrent pas d’être dérangées, comme j’ai pu en faire l’expérience. En outre, un essaim d’abeilles en furie, attaquera et poursuivra tout être vivant à sa portée. Cette habitude d’attaquer en masse à grande distance de la ruche est un trait fort dangereux. Les telliennes, les cypriotes et certaines lignées françaises le possèdent également, mais à un bien moindre degré.
La syrienne pure est une abeille élégante. L’abdomen est très effilé et les trois premiers segments dorsaux sont jaune-citron clair. Les tomenta et les poils ont des reflets argentés et le scutellum est d’un jaune brillant. La fécondité de la syrienne est prodigieuse, elle ne l’est que trop. L’abeille est bonne butineuse et possède une grande vitalité. Par contre le penchant à l’essaimage est excessif et quand l’impulsion est déclenchée, un nombre énorme de cellules royales est construit, souvent des centaines. Une des qualités les plus marquées de la syrienne est son intrépidité à défendre son foyer.
La vraie syrienne se différencie de toutes les autres races par l’aspect et les caractéristiques biologiques. Néanmoins il n’est pas facile d’en trouver des colonies à l’état pur. En Israël même, on n’en trouvera peut-être qu’en Galilée supérieure, dans la région entre le lac Hula et Metulla. En Jordanie, elles sont plus répandues. Mais dans le Nord du Liban et en Syrie, l’influence de l’abeille d’Anatolie est nettement discernable. En fait, on relève une variation marquée même dans les colonies immédiatement au Nord de Beyrouth. Les métis prédominent partout en Israël, car un gros effort est fait pour supplanter l’abeille indigène.
Il y a quelques apiculteurs israéliens qui considèrent l’introduction des italiennes comme une grave erreur. On sort l’argumentation bien usée en faveur de l’abeille indigène, tout comme dans beaucoup de pays. Nous avons visité un des partisans de l’abeille indigène et une démonstration de la docilité de celle-ci nous fut donnée. Je n’en suis pas sorti convaincu. A mon sens, l’abeille syrienne ne rachète son irascibilité par aucune qualité. Bien qu’il m’ait été assuré souvent que des lignées réellement douces existent, je n’en ai jamais rencontré au cours de mes pérégrinations.
Pénétrant dans un rucher où des syriennes étaient tenues dans des ruches modernes, on était aussitôt aux prises avec une horde d’abeilles furieuses et sifflantes, dont une nuée vous poursuivait à une distance considérable après que vous aviez quitté le rucher. Cette méchanceté extrême est parfois considérée comme éminemment désirable : un des apiculteurs arabes les plus capables m’a assuré qu’il était seul à avoir une récolte de miel parce que l’humeur de ses abeilles rebutait les visiteurs inconsidérés.
En 1952, Israël comptait environ 33 000 colonies et l’on s’efforce d’en doubler le nombre en quelques années. Le matériel nécessaire est importé d’Amérique, équipement Langstroth exclusivement, et pour l’économie et la simplification, des corps de ruche devront servir de hausses. Les ruches primitives ne se trouvent que dans des villages arabes isolés.
L’apiculture commerciale est surtout l’apanage des établissements communaux coopératifs ou kibboutzim. Certains des kibboutz gèrent jusqu’à un millier de colonies. On s’attache à l’apiculture intensive plutôt qu’extensive ; la rareté du bois, le prix élevé des ruches importées et les conditions économiques générales excluent toute fantaisie dans la conduite des abeilles. La récolte provient principalement de la fleur d’oranger, laquelle donne de vingt à trente kilos par ruche. Fin avril ou début mai, les ruches sont déplacées des plaines côtières à vergers d’orangers vers les collines et monts de Galilée, pour y faire une seconde récolte sur les fleurs sauvages dont les plus importantes sont l’acacia, le cactus, la lavande, la carotte sauvage, la sauge, le thym et une grande variété de chardons. Le rendement en est, de nouveau, de vingt à trente kilos par ruche. Il n’y a pas de doute que l’apiculture commerciale n’ait un avenir prometteur en Palestine.
Comme on pouvait s’y attendre, la récolte de miel dans le Levant dépend principalement des pluies tombées durant les courts mois d’hiver. Ceci est vrai pour la fleur d’oranger et, plus encore, pour la flore sauvage. Cependant, les espoirs nés de l’abondance des pluies peuvent être en fin de compte réduits à néant par le redouté " khamsin " au moment de la floraison. Tout le Levant avait bénéficié de pluies particulièrement abondantes l’hiver précédent, en 1952. Mais, au moment où la miellée battait son plein, le chaud khamsin flétrissait toute la floraison en quelques heures. En place d’une récolte record, on ne tira que six kilos par ruche — la moyenne la plus basse des dernières dix années. Néanmoins les fleurs sauvages en altitude ne furent pas touchées et une récolte exceptionnelle y fut faite.
De mi-juillet à novembre, moment où débute la saison pluvieuse, il n’y a ni nectar ni pollen. Durant cette période, les colonies ont à lutter en outre contre frelons et fausses teignes, et la bataille est acharnée : les populations sont d’abord affaiblies par les frelons, puis les fausses teignes donnent le coup de grâce. En dépit de tous les efforts pour lutter contre les frelons, par appâts empoisonnés et destruction des nids, on perd en moyenne chaque année, environ 10 % — parfois jusque 30 % — des colonies. Certains apiculteurs ont dû déménager des ruchers entiers dans des régions moins fortement infestées de frelons.
Les pluies et le froid en novembre mettent un terme à la bagarre et, avec le début de la saison humide, l’abeille signe un nouveau bail avec l’existence. Dans les régions maritimes, le caroubier (Ceratonia siliqua) et le loquat (Eriobothyra japonica) donnent un nectar abondant et du pollen quand le temps est favorable. Dans les régions plus élevées, il n’est pas rare que sévissent durement mais brièvement des conditions hivernales. Néanmoins l’hiver ne pose pas de problème sérieux à l’apiculteur.
Depuis des années, j’entendais beaucoup parler de l’abeille syrienne grâce à l’amabilité de Fr. Maurus MASSE. Lors de son séjour à notre monastère à Abon-Cosch, il avait cherché à tirer le meilleur parti de cette race. Ses efforts n’avaient guère été récompensés et je ne suis plus, maintenant, surpris de son échec.
Belg. Apic. 19, 1955, 168-171 & 195-200.
Le 19 avril, je passai en Jordanie, à notre Monastère de Saint-Benoît, sur le Mont Olivet. Le site est au sud-ouest de Jérusalem et offre une vue parfaite de la vieille Ville et de la zone du Temple. jusqu’à peu de temps d’ici, on tenait des abeilles Syriennes au Monastère, sans grand succès.
Les Arabes ont foi en leur abeille indigène. On m’assura à satiété qu’il existait deux variétés distinctes de cette abeille, l’une bâtissant des rayons en forme de lune, l’autre en forme de sillon ondulé... On ajoutait que la première est douce mais a la vie brève et ne butine guère, tandis que l’autre, acariâtre, vit longtemps et récolte un miel abondant. Par malheur, cette nette différenciation ne résiste pas à l’examen. Faisant abstraction de la similitude orientale, notons qu’un jeton, enruché dans un de ces cylindres de glaise israéliens, élèvera des rayons parallèles à l’entrée et, par suite, de forme apparentée au cercle parfait. D’autre part, un essaim primaire occupera aussitôt la plus grande partie du cylindre et construira des rayons perpendiculaires à l’entrée, en bâtisse froide, comme on dit prosaïquement en Europe. Un jeton a peu de chances d’échapper aux ravages du frelon et de la fausse teigne et, pour cela, est aux yeux du non initié, à vie courte et médiocre butineur. Cette notion de l’existence de deux variétés d’abeilles d’une seule et même race indigène est curieusement répandue dans le Moyen-Orient. Nous la retrouverons, basée sur la même différenciation, à Chypre.
Ces dernières années, de grands efforts ont été faits pour introduire la ruche moderne en Jordanie. Mais s’il ne s’accompagne pas de l’introduction simultanée d’une abeille plus maniable, ce programme tout pétri d’intentions louables paraît voué à l’insuccès. Il n’y a rien à gagner à mettre des abeilles syriennes en ruches modernes; on sera ensuite forcé de les abandonner à leur sort, parce que intraitables. Elles peuvent donc aussi bien rester dans leurs cylindres d’argile. De plus, le rendement net en miel n’accuserait guère d’amélioration, mais une différence se marquerait nettement entre le prix de revient dans les ruches modernes, comparé à ce qu’il est en apiculture primitive. Dans un pays où le bois manque, il n’est pas indiqué d’introduire une abeille convenant aux méthodes modernes de conduite du rucher, puisque le prix de revient d’une ruche à cadres ne sera jamais couvert. Les cylindres de glaise durcie au soleil ne coûtent pour ainsi dire rien et si on les fait suffisamment grands ils constituent un logement satisfaisant pour l’abeille syrienne.
Mon enquête en Jordanie m’a conduit à nombre de ruchers primitifs sans que j’en rencontre d’importants : au plus une douzaine de ruches mais, plus souvent, seulement de deux à quatre. Les ruches d’argile sont bien conçues et de capacité acceptable, par suite bien adaptées aux écarts de température et à ce que vaut l’abeille indigène. Elles ont, intérieurement, 65 cm de long et 30 cm de diamètre. Les parois ont 5 bons cm d’épaisseur. Moins répandues sont les ruches en poterie, ayant la forme d’une jarre à eau orientale, d’une contenance d’environ 10 litres, dont le col fait office d’entrée. Ces jarres sont posées couchées, et l’ouverture par où se récolte le miel, à l’arrière, est pourvue d’un disque détachable. Ces ruches présentent l’avantage d’être très durables et d’offrir une protection quasi parfaite contre les multiples ennemis. Mais il est indispensable qu’elles ne soient pas exposées directement aux rayons du soleil dont il est superflu d’abriter les cylindres d’argile. Ces ruches paraissent particulières à la Jordanie et au Liban. Du moins ne les ai-je vues nulle part ailleurs.
Le 7 mai, je quittai Jérusalem pour la Syrie et le Liban, via Jéricho et Amman. Dans le voisinage de Jéricho, la moisson du blé battait déjà son plein. La saison avançait rapidement. Dans les champs, les lis avaient disparu jusqu’au prochain retour du printemps et le paysage était brun et dur. Mais au moment de prendre congé d’Israël, je tombai de nouveau dans un site aussi charmant que tout ce que l’on peut imaginer, dans la vallée verdoyante de Wadi Salt, où serpente la route menant à Amman après avoir quitté la plaine de Jéricho. Cette étroite vallée, incrustée entre les collines désolées de l’antique Moab, avec sa profusion de fleurs sauvages, ses masses d’oléandres en pleine floraison et, partout, la fleur écarlate ciré du grenadier, s’arrangeait pour composer un tableau délicieux, inoubliable. Dans ce paysage magnifique le Département de l’Agriculture de Jordanie a récemment établi un rucher expérimental, entre Suweilé et Ensalt.
A mon arrivée à Amman, je rendis au Département de 1’Agriculture la visite attendue, puis pris la piste risquée du désert, en direction de Damas.
Au moment d’entrer en Syrie, j’avais déjà recueilli une importante collection d’échantillons pour le département apicole de Rothamsted, précieuse en vue d’études biométriques mais n’ayant de valeur que sous cet aspect. Néanmoins, les autorités douanières syriennes étaient d’un autre avis. Les nombreuses boîtes pleines de tubes de verre, chacun avec sa protection, son étiquette et son numéro, leur parurent trop précieuses pour passer sans qu’une somme rondelette soit consignée. Puis j’étais en route pour Damas ... où des choses de ce genre pourraient bien s’y vendre, se disaient-elles. Au bout de deux heures, perdues sous la chaleur insupportable du désert d’Arabie, je fus autorisé à poursuivre, non sans avoir à payer pour le dérangement que j’avais occasionné, et avec chacune des boîtes dûment pourvue du sceau de plomb de la douane. Ce ne devait être que le début des difficultés auxquelles ces échantillons allaient donner lieu jusqu’à la rencontre d’autorités plus éclairées, des mois plus tard.
La végétation merveilleuse du Liban compte une quantité de trèfles sauvages. En Galilée, j’en avais déjà vu de nombreuses variétés nouvelles pour moi, mais elles croissent avec une tout autre profusion dans le Liban. De fait, on m’a dit à Beyrouth qu’on n’avait pas, jusqu’ici, fait le relevé de toutes ces espèces : on pense qu’il pourrait y en avoir 150 ou plus. Mon attention se portait sur deux espèces surtout, des espèces miniature, l’une blanche et l’autre rouge. Toutes deux ne dépassent pas 7,5 cm de hauteur mais la profusion des fleurs est surprenante. Leurs têtes forment d’épais tapis blancs ou pourpres. Lorsque, venant de Damas, je traversai pour la première fois la partie la plus élevée des Monts du Liban, mon œil fut frappé par d’énormes plaques de pourpre qui s’avérèrent être de ce trèfle miniature rouge en pleine fleur. Sa valeur en tant que source de nectar se révélait aussitôt : les abeilles y foisonnaient. Je n’ai même jamais vu auparavant autant d’abeilles butinant aussi intensément une zone donnée.
En outre, elles devaient être venues de loin, car, à des lieues à la ronde, on ne voyait pas de rucher sur ce haut plateau partout ailleurs pelé et aride. Le trèfle miniature blanc est une tout aussi riche source de nectar. Les deux espèces croissent au niveau de la mer et sur la hauteur, mais le rouge paraît préférer le sol pauvre des monts du Liban, à environ 1000 m d’altitude.
J’ai rencontré le blanc — mais pas le rouge — à l’altitude élevée de Troodos, à Chypre.
La flore du Liban est plus luxuriante, voire plus variée encore, que celle d’Israël. Le pays, montagneux, assure de plus abondantes pluies, et la forte humidité jointe à la chaleur oppressante confèrent aux basses régions maritimes un caractère tropical naturel tout au long de l’été. La ceinture de bosquets d’agrumes, les plantations de bananes et de loquats, le long du littoral, fournissent une des principales sources de nectar. Toutefois, la flore nectarifère, variée à l’extrême, des flancs des monts et des collines donne une récolte de miel qui n’est pas moins riche. En somme, je crois que le Liban dispose, pour les abeilles, d’une des flores les plus riches et les plus variées du monde.
Les possibilités de l’apiculture au Liban se reflètent dans la taille des ruches primitives. La tradition et une expérience séculaire ont indubitablement démontré les avantages d’une ruche ayant une capacité en miel bien supérieure à la moyenne d’autres pays. Les ruches libanaises sont tubulaires et mesurent un plein mètre et quart en longueur et un peu moins de 30 cm de diamètre. Elles ne sont pas faites de bois, glaise ou terre, ni de tiges de roseau ferula, comme dans d’autres pays que j’ai visités, mais d’osier recouvert d’un mince enduit de glaise comme finition. Des éléments raides en bois sont incorporés longitudinalement dans le clayonnage afin de donner à l’ensemble tubulaire la stabilité et la rigidité nécessaires. Ces ruches d’osier ne peuvent être mises directement sur le sol — surtout dans un climat humide; elles sont placées individuellement sur des supports, une série de ceux-ci se superposant à une autre, sous un abri couvert avec un toit quelconque. A Baalbeck — renommée pour son miel ainsi que pour les ruines uniques de son temple — j’ai vu les ruches primitives ayant, de toutes, la plus grande capacité; elles étaient faites en bois et n’avaient pas moins de 1,80 m de long et 35 cm de hauteur et largeur à l’intérieur.
L’usage de ruches modernes (Langstroth et Dadant) est passablement répandu dans tout le Liban. Le gouvernement fait tout ce qui est possible pour encourager davantage encore l’adoption d’équipements modernes et de méthodes avancées d’apiculture.
L’abeille indigène laisse beaucoup à désirer. Bien que pas tout à fait aussi irritable que l’abeille trouvée en Israël, il lui déplaît d’être dérangée. Il y a une différence marquée de couleur, de taille, de caractère et de comportement général par rapport à la syrienne au Nord de Beyrouth. Il y a bien eu de l’importation, néanmoins j’incline à attribuer ces variations à l’influence de l’abeille d’Anatolie. Peut-être pourrait-on tirer quelque chose d’utile de cette rencontre hétérogène par élevage sélectif, mais on se demande si cette peine serait justifiée. Une bonne lignée de ligustica digne de confiance, et une distribution de produit d’élevage sur le modèle de ce qui se fait dans le pays méridional voisin, semble devoir être la bonne solution. Procéder de la sorte donnerait un résultat rapide et sûr, avec un minimum de frais.
Le Liban a des paysages incomparables et il serait difficile de trouver un autre pays de même grandeur au climat aussi varié et à la flore aussi riche. C’est un pays où l’apiculture devrait prospérer comme nulle part ailleurs dans le Proche-Orient.
J’ai une grande dette de gratitude envers Sir Henry et Lady KNIGHT pour l’aide qu’ils m’ont accordée sous tant de formes durant mon séjour au Liban. je leur en exprime toute ma reconnaissance.
La visite que je faisais à Chypre, je l’avais attendue intensément. Plus de trente-trois années s’étaient écoulées depuis que le premier envoi de reines cypriotes était arrivé à Buckfast, et d’autres en nombre avaient suivi plus tard. J’étais par conséquent bien au fait des idiosyncrasies de cette race Apis mellifera var. cypria, mais il y avait différents problèmes importants que seule pouvait résoudre l’étude sur place. En outre, de bonnes raisons permettaient de présumer qu’en cherchant bien, on trouverait des lignées isolées plus accommodantes que tout ce que nous avions possédé jusqu’ici.
A Chypre, où j’arrivai le 17 mai, des délégués du Département de l’Agriculture m’offrirent aimablement leur assistance sitôt mon débarquement à Limassol. Cependant rien d’utile ne pouvait être fait ce jour-là, parce que, à peine étais-je arrivé, la pluie se mit à tomber, une pluie d’une intensité tropicale. Cette averse, non seulement n’était pas de saison, mais aussi tombait fort mal à propos, la récolte du grain battant encore son plein. J’appréciai néanmoins ce changement, pour ma part, après la chaleur moite de Beyrouth.
Je retournais à Nicosia le lundi suivant pour rendre visite au Département de l’Agriculture. Sitôt que j’y fus, on me remit aimablement une liste complète de tous les ruchers importants de l’île, avec indication du nombre de colonies et du type de ruches de chacun. Après un bref échange de vues, M. Osman NOURI dressa un itinéraire et passa ses instructions aux chefs de district intéressés. La première semaine fut consacrée aux secteurs Nord et Centre, puis nous poussâmes notre enquête aux districts de Famagusta, Larnaca, Limassol, Paphos et Lefka. Le 4 juin, je partais de Larnika pour la Grèce. Grâce aux arrangements efficaces et à la coopération bienveillante des chefs de district respectifs, je fus en mesure de procéder à mon enquête, non seulement de façon expéditive, mais encore très à fond, et M. S.A.L. THOMPSON aussi; contribua puissamment au succès de mes efforts.
La flore nectarifère de Chypre est assez variée, mais ne peut être comparée a celle du Liban. L’humidité fait défaut et il n’y a pas de cours d’eau permanents. Durant la plus grande partie de l’année, la plaine centrale " la Messaoiria " offre à peine aux abeilles de quoi subsister. Elle est stérile et brûlée de la fin mai jusqu’au retour des pluies. Les collines et vallées, et les deux chaînes montagneuses cheminant parallèlement de l’Est à l’Ouest de la plaine, offrent une bien plus riche provende. Le sommet le plus élevé de la chaîne de Troodos, au Sud, s’élève à 1932 m. La chaîne de Kyrenia, au Nord, est plus basse.
La récolte principale de miel provient de fleurs de fruitiers, citronniers, chardon et thym sauvage. Par suite du manque d’humidité, le trèfle ne sert pas aux abeilles et c’est probablement pour la même raison que le caroubier (Ceratonia siliqua), très apprécié comme source de nectar en Sicile, ne donne pas ici. C’est fort regrettable, étant donné que Chypre est renommée pour ses caroubiers; il y en a environ deux millions et, contrairement à la plupart des arbres, ils semblent prospérer partout. Il y a nombre de sources secondaires de nectar, depuis le début des pluies hivernales jusqu’à la saison sèche. Les abeilles peuvent récolter suffisamment pour se sustenter l’hiver — loquat, acacia, et eucalyptus qui donnent en décembre, puis différentes espèces de pissenlits, fèves et anchusa, et, vers le printemps, oxalis, romarin, sauge, etc.
Les plantations étendues d’agrumes se concentrent aux environs de Famagusta, Limassol et Lefka. Le thym sauvage (Thymus capitatus), la même espèce dont provient le fameux miel de l’Hymette, prospère seulement sur des versants dénudés et grillés où rien de fameux ne pourrait subsister. Les nombreuses espèces de chardons se trouvent principalement dans les secteurs plus arides du pays. Certains sont jolis; le plus beau de tous, répandu partout fin mai le long des chemins, est tout vêtu de bleu céleste : la mince tige et les feuilles.
La nature ne s’est pas montrée particulièrement indulgente pour l’abeille à Chypre. Sauf parmi les bocages d’orangers, il n’y a pas de miellées abondantes en nectar. L’abeille indigène, par la force des choses, est incapable de s’en tirer durant la plus grande partie de l’année, mais la quantité de surplus récoltée est mince.
Il y a environ 22 000 colonies d’abeilles à Chypre, dont moins de 2000 dans des ruches modernes. Des efforts sont entrepris en vue de favoriser les méthodes modernes d’apiculture et des cours sur l’apiculture avancée sont donnés à la ferme centrale expérimentale de Morphou. A cette ferme, il y a une petite installation de manufacture de cire gaufrée, la seule dans l’île. Les ruchers possédant un équipement moderne sont en majeure partie la propriété des grosses compagnies de culture fruitière. L’établissement d’apiculture et d’élevage de reines appartenant à M. S.A.L. THOMPSON, à Jingen Bahchese, Kyrenis, est probablement le plus avancé de son espèce.
Les ruches primitives de Chypre sont d’argile soit cuite soit séchée au soleil. Elles sont tubulaires, de dimensions intérieures de 75 × 25 cm environ. Les ruchers en comportant cent à cent cinquante sont fort communs; les tubes d’argile sont empilés et soudés en un bloc compact, comme les briques dans un mur. Ils sont généralement disposés en quatre ou cinq étages et, fréquemment, un gros ensemble de ces tubes fait penser à un mur de clôture; les tuiles de faîtage qui les couronnent habituellement concourent à compléter l’illusion. Les petits ruchers sont rares à Chypre. Dans certains villages, à Paphos, par exemple, il arrive qu’on trouve des ruches incorporées aux murs des maisons et, s’ouvrant par l’intérieur dans une chambre à coucher ou une pièce où l’on se tient. Bien que la Ferula thyrsifolia pousse à Chypre, on ne l’utilise pas à la confection de ruches; on lui préfère l’argile plus durable.
On ne sait quand ni d’où la première colonie d’abeilles fut apportée à Chypre. L’hypothèse d’un essaim volage ayant volé depuis le continent est à écarter, l’Asie Mineure étant à 65 km. et la Syrie à 100 km. Certains signes tendraient à indiquer une descendance de souche égyptienne : Chypre a été d’abord occupée par les Egyptiens en 1450 avant J.C. et il est connu que, environ 850 ans plus tard, il y avait des abeilles dans l’île, puisque Hérodote fait allusion à un essaim qui avait pris possession d’un crâne suspendu devant le temple d’Aphrodite. L’attention de l’apiculture moderne se porta pour la première fois sur l’abeille cypriote en 1866.
La taille de l’abeille cypriote est à mi-chemin entre l’italienne et la syrienne. La couleur des trois premiers segments dorsaux est orange clair brillant; les quatrième et cinquième segments sont également orange, mais seulement près des lames ventrales. Chacun des trois premiers segments dorsaux porte un bord noir nettement délimité, du plus étroit sur le premier et au plus large sur le troisième segment. La couleur des trois segments postérieurs dorsaux est d’un noir accusé, qui tend à rehausser l’orange des trois premiers segments. Les lames ventrales, sauf les deux postérieures, sont généralement d’un orange transparent sans aucune trace d’une coloration plus foncée : ceci est une des marques les plus caractéristiques de la cypriote. Le scutellum est orange pâle, et la toison ainsi que les tomenta sont chamois.
Les reines sont sensiblement plus petites que toutes celles d’origine européenne. Leur couleur et le marquage sont beaucoup plus constants, et ce marquage si bien défini, fait qu’une reine cypriote peut être facilement identifiée. L’abdomen est orange pâle, mais chaque segment dorsal porte un rebord étroit, bien délimité, noir, en forme de croissant. Il arrive qu’on observe un marquage assez analogue chez une reine hybride commune, mais dans ce cas les bandes sont plus larges et la délimitation en est moins nette. Bien que fort menues, les reines cypriotes sont excessivement prolifiques. Cependant leur fécondité n’atteint son maximum que lorsqu’elles sont croisées avec une autre race.
Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, les cypriotes pures n’ont pas de propension à l’essaimage. Ceci serait fatal dans leur habitat natif. Sous l’impulsion de la fièvre d’essaimage, elles construisent d’ordinaire un grand nombre de cellules royales — souvent plusieurs centaines — et ont tendance à les former en groupes ressemblant à une grappe de raisins miniature. La puissance d’élevage de cette race est prodigieuse, et plus de miel est consacré à élever du couvain qu’il ne plairait à l’apiculteur, mais ceci doit être considéré comme un dispositif de la nature en vue d’assurer la survivance respective des colonies dans leur habitat natif. Les cypriotes sont robustes, vivent longtemps et sont douées libéralement comme butineuses. Les opercules sur le miel sont foncés et d’aspect aqueux. Peu ou pas de constructions de raccordement. La propolis est utilisée plutôt largement, mais heureusement pas cette espèce résineuse poissante, mais bien un aggloméré de propolis, d’opercules, etc. moins prêt à coller aux doigts. Des morceaux de cette mixture sont souvent déposés le long de l’entrée, en automne. Les cypriotes traversent l’hiver plus sûrement que toute autre race, même sous notre climat septentrional — bien que leur home natif soit subtropical. Ceci est une de leurs qualités à épingler. Il n’est jamais venu à ma connaissance de cas où une colonie cypriote, pure ou de première hybridation, n’ait pas passé l’hiver.
Rien n’a peut-être rendu la cypriote plus impopulaire que son irritabilité. La plupart des lignées réagissent violemment à tout dérangement et cette irascibilité est tout aussi prononcée dans son habitat natif. Et cependant, les relations au sujet des premières importations en Europe insistent sur sa remarquable docilité, et j’ai trouvé qu’il existe encore dans l’île de ces lignées accommodantes.
Bien que la cypriote soit probablement la race connue la plus homozygote, mon enquête a révélé un certain degré de variation. Il y a beaucoup de vallées encaissées où l’isolement individuel est aussi total que celui de l’île même. Ces poches isolées contiennent le matériel en vue de la poursuite de l’amélioration de la race cypriote. Il devrait être possible, par sélection appropriée, de développer des lignées aussi douces et aussi tolérantes à manipuler que n’importe quelle lignée italienne.
Le complet isolement et l’âpre entourage de l’île, mis ensemble, constituent pour nous un atout inestimable et Chypre est, pour le généticien entreprenant, une véritable Ile au Trésor. Cependant, des milliers d’années de croisements consanguins entre relativement peu de colonies ont, jusqu’à un certain point, masqué ce dont la race est capable, et l’expérience me porte à croire que les qualités latentes ne s’épanouiront à plein que par hybridation. Mais j’insiste sur le fait que les cypriotes pures, tout en ayant un prix incomparable en vue de développer sur elles de nouvelles lignées, sont sans valeur pour l’apiculteur moyen.
L’apiculteur, à Chypre, bénéficie d’une seule bénédiction : l’absence complète de maladies. Pour conserver cette heureuse chance et pour garantir la continuation de la pureté de la race cypriote, l’importation de reines et d’abeilles est strictement interdite.
Je voudrais exprimer mes remerciements reconnaissants au Directeur du Département de l’Agriculture, M. P.C. CHAMBERS, pour son aide précieuse, et aux divers Chefs de District pour leur coopération; je voudrais rappeler aussi ma gratitude envers feu M. Osman NOURI, qui avait pris les arrangements nécessaires à mon enquête à Chypre; hélas, il est mort subitement peu après mon départ. Je voudrais encore remercier M. S.A.L. THOMPSON pour l’aide fournie sous diverses formes; je garde l’agréable souvenir des courtes visites au chalet de montagne dominant Kyrenla avec, au loin, le coup d’œil sur la Cilicie et les crêtes enneigées du Taurus.
Belg. Apic. 19(9), 1955, 235-242.
Après deux jours de mer, vers midi, le 6 juin, nous étions en vue du cap Sunium. En fin d’après-midi, nous arrivions à Athènes et avions devant nous ce qui allait être les trois semaines les plus exténuantes et épuisantes de notre tournée.
A part l’indication sommaire qu’il y a en Grèce plus de colonies d’abeilles par habitant que dans tout autre pays (environ une par dix habitants), la situation de l’apiculture dans cette partie extrême du Sud-Est de l’Europe était fort peu connue. Le grand nombre de colonies était, dans une certaine mesure, l’indication d’une prospérité apicole, mais n’impliquait pas nécessairement un rendement substantiel par colonie. Ce dernier aurait fait présupposer, entre autres choses, une abeille indigène remarquablement douée. Les doutes que j’avais sur ce point ne furent pas longs à être dissipés.
Le lendemain de notre arrivée nous trouva explorant l’Attique, poussant au Sud jusqu’au cap Sunium, avec le Dr A. TYPALDOS-XYDIAS et M.C. MICHAELIDES. Le Dr XYDIAS, venu à ma rencontre la veille, au Pirée, a été durant de nombreuses années Conseiller Technique au Ministère de l’Agriculture et peut être considéré comme le père de l’apiculture moderne en Grèce. En fait, journellement, je me suis rendu compte, au cours des quelques semaines suivantes, que le Dr XYDIAS est connu et estimé de chaque apiculteur grec.
Nos tournées nous ont amenés deux fois au Péloponèse, et ensuite, de Patras nous poussions à Missolonghi, Arta, Janina, Konitse; de là à Metsovon au cœur de la chaîne du Pinde et, plus loin, à Kalambaka, Grevena, Kozania, Veria, Edesse, Salonique et la partie de pays au Nord-Est de cette ville. je fis seul l’excursion en Crète, où les autorités agricoles de l’île m’apportèrent toute l’aide désirable. Les dispositions étaient déjà prises en vue d’une visite à quelques-unes des îles de la Mer Egée, à laquelle tant le Dr XYDIAS que moi-même attachions beaucoup d’importance étant donné que c’est là — tout comme à Chypre — qu’il y a des chances que se trouve le matériel d’élevage le plus précieux. Par malheur, en fin de compte, le temps me fit défaut pour cette visite.
Les Athéniens de l’antiquité, nous a-t-on dit, faisaient constamment l’éloge de quatre choses : leur miel, leurs figues, leurs baies de myrte et les Propylées [Portique de l’Acropole d’Athènes, admirable édifice en marbre blanc, édifié de 437 à 433 avant J.-C.]. Le miel dont les Athéniens étaient si fiers était récolté sur le mont Hymette, immédiatement à l’Est de la ville. Il provient du thym de montagne, (Thymus capitalus). Il est fortement aromatique, avec beaucoup de corps, et de teinte ambre clair. C’est en effet un miel délicieux au possible, mais qui ne flattera pas toujours nos palais habitués aux senteurs subtiles de nos miels nordiques plus pâles. Le thym sauvage n’est pas l’apanage que du mont Hymette; il est répandu dans toute la Grèce méridionale, le Péloponèse et la Crète où il constitue la source principale de nectar. Dans ces régions, il prospère sur tout versant dénudé, rocailleux, stérile, où, à son exception près, rien ne tient par suite du manque d’humidité. A mon arrivée, il commençait précisément à fleurir et certains ruchers que je visitais embaumaient le riche parfum du nectar fraîchement récolté. Cependant il me fut dit que la sécrétion ne donnait pas abondamment par manque d’humidité.
Les plantations d’orangers et de citronniers abondent dans les régions maritimes de la Grèce méridionale mais, Arta mis à part, leur extension n’atteint jamais celle des plantations du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord. D’autres variétés fruitières à bon rendement pour les abeilles se situent dans la partie Nord du pays, entre Veria et Naoussa. En réalité, c’est là que se font les plus fortes récoltes de miel. Elles proviennent principalement du trèfle, du noisetier, de la sauge sauvage, de la sarriette de montagne et de miellat. La Crète possède une flore nectarifère extrêmement riche et variée avec quantité d’espèces de bruyère Erica, lesquelles sembleraient être absentes dans le Levant.
Il y a en Grèce quelque 700 000 colonies d’abeilles, et j’ai été fort impressionné par l’efficience de l’apiculture grecque, tant moderne (avec des ruches Langstroth) que primitive. En Europe septentrionale, l’apiculture est généralement considérée comme un à-côté, ou comme un passe-temps plaisant, et les apiculteurs n’ont souvent que trois ou quatre ruches. Il n’en va pas ainsi en Grèce ! Il y a probablement plus d’apiculteurs professionnels en Macédoine que n’importe où en Europe. L’apiculture pastorale est un fait acquis et se pratique sur une grande échelle avec des résultats très honorables. Il m’a été dit que des moyennes de cent kilos ne sont pas rares. D’un point d’observation bien placé, à quelque cinquante km au Nord-Est de Salonique, il était possible de repérer des ruchers ne totalisant pas moins de deux mille colonies — le district fourmillait littéralement d’abeilles. A l’Ouest, passé Edesse, dans des régions quasi inaccessibles, aux confins de l’Albanie, des ruchers importants étaient blottis partout au creux des collines et les milliers de colonies qu’ils comportaient venaient tout juste d’être amenées là de fort loin. De-ci, de-là se voyaient de tout aussi importants ruchers de ruches primitives, amenées elles aussi dans ces parages inhospitaliers. Les apiculteurs professionnels, modernes tout comme primitifs, dépendent de l’apiculture pastorale pour réaliser un revenu tout comme sur lequel ils puissent compter.
L’apiculture primitive, en Grèce, est instructive et de grand intérêt du point de vue historique. Nous savons que la ruche-panier d’aujourd’hui était d’usage courant en Grèce il y a plus de trois mille ans et que le principe du cadre mobile, redécouvert il y a environ un siècle, était en fait appliqué dans cette ruche par les Grecs antiques. La ruche est construite en matière tressée et a la forme d’un pot à fleurs en terre. Sa profondeur est de 58,5 cm, le diamètre supérieur est de 38 cm et l’inférieur de 30,5 cm — à l’intérieur. Neuf barres — larges de 38 mm, pour être exact — s’appliquent sur le bord. Les rayons sont attachés à ces barres, exactement comme dans la ruche inventée par DZIERZON vers le milieu du siècle dernier. En y mettant un soin un peu particulier, chacun des neuf rayons peut être examiné séparément avec autant de liberté que dans une ruche moderne à cadres. En outre, la forme de cette ruche grecque correspond aux inclinations naturelles des abeilles mieux que ne le fait aucune ruche rectangulaire moderne. En Grèce, les paniers reçoivent une généreuse couche d’argile extérieurement et intérieurement, alors qu’en Crète, — pour une raison quelconque que je n’ai pu découvrir — on ne met qu’une couche mince à l’intérieur et sur 5 cm à l’extérieur, le long du rebord inférieur. En Crète, on rencontre parfois des ruches en poterie de mêmes forme et dimensions. Elles sont moulées habilement avec un crucifix au-dessus de chaque entrée. Parfois aussi, on voit des ruches faites de roseau, quelque peu semblables à notre propre panier anglais, complet avec son surtout. Mais les paniers grecs sont d’habitude plus grands, plus hauts et plus pointus. Un type, moins répandu, a le dessus arrondi en dôme.
Tous dépassent en capacité leur correspondant anglais traditionnel. Je n’ai pas vu de ruches en argile séchée au soleil ou en tiges de ferula, bien que la ferula thyrsifolia soit fort commune en Grèce.
En Crète, particulièrement dans la péninsule au Nord de la baie de Suda, j’ai vu des ruchers importants — situés en plein milieu du thym sauvage — composés entièrement de ruches en clayonnage. L’osier nu avec quelques poignées de roseau jetées par-dessus composaient toute la protection et l’abri. Certains de ces ruchers primitifs contenaient plus de cent ruches.
A quelques milles au sud-est de l’antique Mycène et du tombeau d’Agamemnon — en Argolide, Péloponèse — il y a une cour clôturée de murs, unique ne comptant pas moins de nonante-huit (98) fûts à abeilles, chacun coiffé de sa ruche-panier pourvue en complément de son épais revêtement d’argile, qui semble traditionnel dans cette partie de la Grèce. Même dans l’ancien temps, il semble qu’il ait été attaché beaucoup d’importance à la direction vers laquelle les ruches devaient être tournées car chacun de ces fûts regarde l’Est ou le Sud-Est.
L’abeille indigène de l’extrémité sud-ouest de l’Europe ne paraît jamais avoir attiré l’attention jusqu’ici, pour quelque inexplicable raison. A vrai dire, elle n’est pas douée de cet éclat qui forcerait l’attention. Mais en tant qu’abeille « pour travailler » en général, elle n’a peut-être pas sa pareille. Elle rappelle la caucasienne dans nombre de ses caractéristiques — tendance à propoliser et construction de jonctions en fragments de rayon. Ces deux défauts sont moins développés chez l’abeille grecque et, dans certaines lignées, sont négligeables. Ses qualités les plus marquées sont douceur, prolificité et peu de propension à l’essaimage. Je ne suis tombé sur aucune colonie colérique, sauf en Crète. L’apiculteur grec n’a presque jamais recours à l’enfumoir : un bout de champignon incandescent est généralement placé sur les cadres pendant qu’on procède à un examen. Les abeilles en cours de manipulations se comportent avec autant de bonne humeur et de calme que la moyenne des carnioliennes. Leur capacité d’élevage est réellement phénoménale : je suis enclin à penser qu’aucune autre race n’atteint l’effectif d’une colonie grecque ou surtout d’une reine grecque croisée avec un mâle italien ou carniolien. Mais, à la différence des races italienne ou orientale, l’élevage est fortement restreint après la mi-juillet — en fait trop fortement pour les buts que nous poursuivons. Le nid à couvain peut très bien se trouver plein à bloc de provisions à fin juillet. Le couvain est compact et irréprochable à tous points de vue, et notre expérience nous conduirait à estimer que l’abeille grecque est moins encline à essaimer que n’importe quelle race ou lignée que nous avons expérimentée à nos ruchers. Mais elle est nettement propoliseuse, bâtit volontiers des raccords, et ses opercules ont un aspect assez aqueux. Nos expériences préliminaires et nos observations indiquent que l’abeille grecque réunit par excellence les qualités de la butineuse de grande classe.
Aristote avait observé que les abeilles de Grèce n’ont pas une couleur uniforme. De son temps, les abeilles marquées de jaune étaient considérées comme les meilleures. Actuellement, les abeilles grecques sont brunes, avec un segment jaune ressortant par-ci par-là.
Néanmoins à l’Ouest de la Chaîne du Pinde, de Missolonghi à Janina, elles sont uniformément noires. A janina, on nous a assuré que près de Konitza, à la frontière albanaise, nous pourrions trouver une variété jaune pur, mais notre enquête sur place ne révéla qu’une pointe de jaune, ce qui se voit communément aussi bien à l’est du Pinde qu’au cœur de ces montagnes. Dans ces régions, il est rare de trouver une colonie absolument uniforme de couleur; une partie peu importante et variable des abeilles a un ou deux segments basanés. Comme on pouvait s’y attendre, les reines offrent une gamme étendue de colorations. Les mâles, par contre, n’en offrent pratiquement aucune.
La Crète — dont la mythologie fait le berceau de l’abeille mellifère — possède des abeilles présentant un pourcentage élevé de marquage jaune. De fait, les abeilles de cette île favorisée font un « assortiment varié » à tous points de vue. Avant que je ne quitte l’Europe, on m’avait assuré que je trouverais en Crète les plus gentilles abeilles existantes, mais l’humeur de certaines colonies que j’eus à examiner indiquait sans conteste une influence orientale. A Chypre, j’ai trouvé la plus grande uniformité, en Crète une « désuniformité » bien ancrée.
Bien que notre expérience de l’abeille grecque se soit bornée à une saison, les résultats préliminaires indiquent que, partant d’une bonne lignée, cette race pourrait s’avérer de grande valeur. Elle est sans conteste supérieure à la caucasienne, dont j’avais une expérience antérieure.
Qu’il me soit permis d’exprimer combien j’ai apprécié l’affabilité multiforme du Ministère grec de l’Agriculture et de remercier le Dr A. TYPALDOS-XYDIAS et M.C. MICHAELIDES pour leur aide et leur générosité que je me rappellerai toujours avec gratitude. Mes remerciements vont aussi aux apiculteurs de Chalcidique dont l’aide a contribué de façon si décisive au succès final de tous mes efforts.
Belg. Apic. 19(10), 1955, 274-280.
L’abeille indigène de Yougoslavie occidentale, du Monténégro et de Bosnie a la réputation d’être plus prolifique et moins essaimeuse que la carniolienne type de Slovénie. Malgré la réputation qu’a cette dernière d’être prolifique, j’ai été contraint, depuis quelques années, de conclure au contraire. Le degré de fécondité d’une race ou d’une reine individuelle est plutôt un concept arbitraire, et la carniolienne est certainement prolifique en comparaison de l’ancienne abeille anglaise indigène; CHESHIRE et COWAN se sont manifestement livrés à une comparaison de ce genre et il semble que leur verdict ait été répété depuis lors, sans avoir fait l’objet d’un contrôle. La carniolienne moyenne n’est pas prolifique suivant notre standard. Nous avons récemment mis à l’épreuve plus d’une douzaine de lignées que nous nous étions procurées dans des parties fort différentes de son habitat natif et la plupart d’entre elles n’arrivaient pas à remplir de couvain plus de sept cadres M. D. (Dadant standard), au plus fort de la saison, alors que notre lignée en garnissait dix, sans peine. Par suite, c’est avec un intérêt aigu que j’envisageais une enquête dans les Alpes Monténégrines et dans la haute chaîne de montagnes longeant la côte dalmate, étant donné que j’espérais avec confiance y trouver une lignée mieux adaptée à nos desseins particuliers.
En quittant la Grèce, j’entendais gagner Skoplje pour ensuite piquer aussitôt à l’ouest, en direction de Cetinje, tout de suite au Nord de l’Albanie, et poursuivre par Raguse, Sarajevo, Split et Ljubljana. Hélas, une mésaventure, le dernier jour où j’étais en Grèce — un pneu éclaté impossible à remplacer — nous obligea à prendre la route moins hasardeuse de Skoplje à Nich, Belgrade, Zagreb et Ljubljana. Même, cela étant, le voyage s’avéra effroyable, et nous avions la sensation de ne pas avoir de pneu de rechange. Mais après un trajet de cauchemar, dans une région où les routes sont quasi inexistantes, nous arrivâmes enfin sain et sauf à Ljubljana.
Ljubljana, connue antérieurement sous le nom de Lublin ou Laibach, est le centre et le quartier général de l’Association des apiculteurs slovènes : Zveza Cebelarshih Drustev v Ljubljana, qui m’a aidé dans mes recherches en Slovénie. Cette association, comme la plupart des autres sur le Continent, fournit ses membres en équipement de toute espèce au prix coûtant. Elle publie également un journal mensuel d’une très haute tenue, le « Slovenska Cebelar ». Les membres de l’association possèdent ensemble 70 000 colonies, dont 50 000 logées en ruches modernes. Le nombre total de colonies en Yougoslavie est d’environ 800 000, dont la moitié en ruches modernes.
Nous nous sommes procuré nos premières reines carnioliennes, il y a plus de cinquante ans, chez Michel Ambrozic, de Moistrana, Haute-Carniole, lequel a fondé le commerce mondial de ces reines et abeilles. Depuis lors, nous avons eu des reines importées de sources diverses, avec des résultats divers, mais il avait été impossible d’obtenir une importation directe de Carniole depuis 1939. D’où le vif intérêt avec lequel je me disposais à visiter l’habitat central de cette race. En outre, j’avais une idée que je mettrais la main sur quelque chose de valeur spéciale, sans parler de l’acquisition d’une connaissance plus précise de l’ambiance ayant contribué à former le type le plus classique de carniolienne qu’on trouve dans cette région.
Notre enquête nous mena d’abord en Basse-Carniole, au sud et sud-est de Ljubljana. Les abeilles sont passablement uniformes, mais comme nous nous écartions de la Carniole centrale, soit plein est, sud ou sud-ouest, les légères variations des caractéristiques externes allaient s’accusant. De plus, il arrivait que l’humeur des abeilles laissât à désirer. Néanmoins, à l’est de Ljubljana, près de la frontière hongroise, il me parut que les abeilles étaient plus prolifiques et, peut-être, moins essaimeuses, mais d’extérieur moins uniforme — ceci peut-être dû en partie à l’influence de l’abeille du Banat, une sous-variété de la carniolienne, dont l’habitat central se situe plus à l’est ou sud-est de Maribor. Un mois plus tard, j’ai eu l’occasion d’explorer la région adjacente au Nord, en approchant de la Hongrie, depuis la Styrie.
L’abeille carniolienne, dans sa forme classique et dans sa plus grande uniformité, ne se rencontre que dans l’isolement de la Haute-Carniole, en particulier dans la vallée isolée courant en direction plein Ouest de Bled. Les Karawanken les dominent au Nord et Nord-Est, les Alpes Juliennes à l’Ouest et Sud-Ouest, constituant un barrière infranchissable. De fait, cette charmante vallée de Bled à Bistrica forme une des plus parfaites stations d’élevage dessinée par la Nature, et il n’est pas surprenant qu’y soient élevées certaines des meilleures reines carnioliennes.
Au cœur même de cette vallée vit Jan STRGAR, connu dans le monde entier comme éleveur de reines carnioliennes. Son établissement a été fondé en 1903, et une partie considérable du « Slovenski Cebelar » de décembre 1953, a été fort à propos consacrée à commémorer cet événement. En dépit de son âge avancé, Jan STRGAR s’emploie encore activement à l’apiculture et à l’élevage de reines ; fait curieux, il s’en est tenu jusqu’à ce jour au primitif Bauerkasten « boîte paysanne », avec plein succès, semble-t-il. La majorité des reines carnioliennes envoyées en Angleterre entre les deux guerres mondiales provenaient de Bitnje, Bohinjska Bistrica. Un éleveur connu, José SUSNIK, Brod 1, Bohinjska Bistrica, a une station d’élevage au débouché Ouest de la vallée; Franc VOOK, Hros 27, Lesce, Bled, est un autre éleveur fort réputé.
Dans mon premier rapport (le premier voyage : voir « Bee World », vol. 32 et « Belgique Apicole », 17, janv.-juillet 1953), j’ai décrit assez à fond les caractères généraux de l’abeille carniolienne. Cette description vaut également pour les lignées trouvées en Carniole même. Sans doute, il existe quelques variations : de fait une variation étendue entre une lignée et une autre est un des traits les plus marqués de la race. Nous avons certaines lignées dont l’uniformité des caractères extérieurs aurait difficilement pu être surpassée, mais qui se sont avérées, en pratique, dépourvues de valeur. On attache trop d’importance, souvent, à l’uniformité, en particulier, chez la carniolienne. Un facteur vers le jaune est présent dans sa composition génétique, qui se manifeste souvent comme variation saisonnière. L’éleveur d’une des meilleures lignées m’a assuré qu’il n’est pas rare que ses abeilles accusent une certaine coloration jaune sur les premiers segments dorsaux au début de l’été, laquelle disparaît complètement des générations suivantes élevées par température plus basse en automne. En réalité, les meilleures lignées (jugées au rendement) que j’aie rencontrées jusqu’ici sont connues pour montrer passablement de jaune. Dans toute race, les variations de couleur et de robe se manifestent de la façon la plus saisissante chez les reines et ceci est particulièrement vrai chez la carniolienne. On risque d’attacher trop d’attention à l’uniformité extérieure et de perdre de vue l’objectif autrement important qu’est la performance.
Un fait sensationnel est l’absence complète de maladies du couvain dans tout l’habitat natif de la carniolienne. Ceci m’a fortement impressionné, car dans tous les pays que j’ai visités jusqu’ici (à l’exception de la Crête), la loque américaine et la loque européenne sont communes, et dans certains cas, endémiques. Mais la Carinthie et la Carniole semblent former un îlot d’immunité. Acariose, Nosema et paralysie sont présents, mais pas de loque. Son absence ne peut être fortuite : les barrières montagneuses retarderaient sans l’empêcher la progression de la maladie, et j’ai vu de la loque américaine dans une région quasi inaccessible des montagnes du Pinde, aux confins de l’Albanie. Nous sommes en présence, ici, non d’une immunité véritable, mais probablement d’une résistance innée.
Les conditions apicoles en Carniole, surtout en Haute-Carniole, sont fort semblables à celles de la province autrichienne touchant la Carinthie. Néanmoins, en Carniole centrale et basse, surtout dans la région montagneuse longeant l’Adriatique, il y a une flore nectarifère plus variée. En Haute-Carniole, le miellat des pins constitue la source principale. En Carniole basse et centrale, le tilleul abonde et paraît donner généreusement ici ; il était en plein épanouissement lors de ma visite et j’ai pu prendre un échantillon de miel de tilleul pur. Un autre miel de qualité supérieure est récolté en août et septembre, dans la région montagneuse de Dalmatie, de la sarriette de montagne, Satureia montana. Certains des apiculteurs les plus entreprenants transportent leurs ruches au printemps sur le romarin qui croît à profusion sur certaines îles de la côte dalmate. Ainsi sont réalisées certaines récoltes admirables d’un miel de qualité suprême. Nombre de colonies sont aussi transportées dans la péninsule d’Istrie, à fin juin, en vue du miel de châtaignier, lequel est cependant de moindre qualité, il existe de nombreuses sources secondaires, et la flore, en général, est plus favorable à l’apiculture dans le Nord-Ouest de la Yougoslavie que dans le territoire autrichien adjacent.
Je n’ai pas d’idée du moment où l’on commencera à avoir recours à des pavillons. En Carniole, ils sont acceptés et forment partie intégrante tant de l’apiculture primitive que moderne. Pour l’apiculture pastorale, les ruches sont empilées dans des abris formés de panneaux. Je n’ai pas vu de pavillons en Yougoslavie en dehors de la Carniole.
La population yougoslave est renommée pour sa cordialité et son hospitalité et j’en reçus plus que ma part. Le soir de mon départ, l’Association des Apiculteurs slovènes organisa une grande réunion d’adieu à Ljubljana. Entre autres choses, des souvenirs de l’antiquité apicole me furent offerts en signe de bienveillance. J’ai une grande dette de gratitude envers le Président de l’Association, Krmelj MAKS, son secrétaire plein d’entrain, Franc CVETKO et les éditeurs du « Slovenski Cebelar », Vlado ROJEC, Stane MIHELIC et Josip KOBAL. Que tous soient remerciés du fond du cœur. Et dans mon souvenir ne s’effacera pas toute la gentillesse du peuple slovène à mon égard.
En quittant la Yougoslavie, j’avais une série de recherches à faire en Carinthie et en Styrie, régions adjacentes, dont le haut intérêt devait se manifester en temps voulu. Néanmoins, les Alpes Ligures furent le théâtre important de mes recherches suivantes. J’y avais fait une brève visite en octobre 1950, sans être en mesure de me procurer des reines liguriennes en raison de la saison trop avancée.
Le renom mondial de l’abeille italienne tient en partie au succès consécutif aux premières importations faites, il y a tantôt un siècle. Ces abeilles provenaient des Alpes Ligures — d’où le terme abeilles ligures. Suivant ce que nous avons trouvé, l’originale abeille italienne fauve, incorporant toutes les qualités qui l’ont rendue si populaire, ne se trouve que dans les Alpes Ligures, dans la région montagneuse entre La Spezzla et Gênes.
Valeur pratique mise à part, je sentais qu’une connaissance plus approfondie de la Ligure basanée aurait une influence profonde sur nos expériences ultérieures de croisement. Après beaucoup d’efforts, voilà que je pouvais maintenant me procurer des reines du type requis. Le paquet contenant les précieuses reines fut laissé dans ma chambre durant la nuit, prêt à être mis à la poste le lendemain. A ma surprise, le lendemain matin, table et paquet grouillaient de petites fourmis noires, et lorsque je touchai le paquet, des milliers de ces maudites bêtes dégringolèrent de l’ouate entourant les cages. Toutes les reines et toutes les abeilles avaient été tuées par les fourmis. La perte de mes abeilles ligures fut le plus grand désappointement du voyage. Je ne pouvais pas revenir sur mes pas : le temps me manquait et mon énergie était à bout.
Je n’en partis pas moins vers le Midi de la France, pensant bien embrasser la Péninsule Ibérique. Mais bientôt, il devint manifeste que l’effort longuement soutenu depuis février rendait indispensable un arrêt et une récupération de repos et je retournai à Buckfast, le 29 septembre.
Graduellement, sûrement et pas à pas s’accumulent les informations relatives aux multiples races de l’abeille mellifère et il en ressort une connaissance plus précise de l’ordre de leur répartition. Ainsi, doucement s’élabore le puzzle des races. Le mode de leur évolution se révèle étape par étape, si bien que les défauts et les qualités de chacune peuvent être remontés jusqu’à leur berceau primitif. Par degrés, nous arrivons à comprendre plus parfaitement et plus exactement le vaste fondement de potentialités dont nous disposons pour créer « l’abeille parfaite ». Mais beaucoup reste à faire, vu que dans des entreprises de cette espèce, où difficultés et retards imprévisibles sont inévitables, le temps est un facteur de première importance.
Je désire exprimer ma profonde gratitude au Dr C.G. BUTLER, pour son aide constante et à M. A.W. GALE pour sa générosité. L’œuvre n’aurait pas pu être poussée à ce point sans l’assistance dont, fort à propos, ils nous firent bénéficier.
Nous avons eu le privilège de suivre pas à pas l’itinéraire tracé par Frère ADAM dans ces sites méditerranéens, berceaux millénaires de notre civilisation.
En relatant ses passionnantes recherches, il nous a donné d’un trait de plume alerte, en même temps que des images pittoresques de ces pays, une idée du dynamisme qui l’anime et de sa compétence de chercheur apicole.
Nous lui exprimons ici, avec gratitude et respect, nos remerciements chaleureux pour l’autorisation qu’il nous a si aimablement accordée de traduire et de publier son rapport.
M. Georges LEDENT a bien voulu nous rendre l’inestimable service d’être le fidèle et scrupuleux interprète du texte original anglais. Nous ne pourrions mieux l’en féliciter qu’en reproduisant les mots de Frère ADAM qui lui écrivait le 10 juillet dernier (1955) l’expression de ses « remerciements reconnaissants pour l’excellente traduction » faite de ses notes.
Nous y joignons de tout cœur ce témoignage de notre sympathie.
Achille LECOCQ, rédacteur
La Belgique Apicole,
Octobre 1955.
publié en français dans
La Belgique Apicole, 19, 1955, par épisodes; avec leur permission. Original in Bee World, 35, 1954. |
par le Frère ADAM, O.S.B. Abbaye St Mary, Buckfast, South Devon - Angleterre. Traduction et adaptation française par Georges LEDENT Bruxelles, Belgique |