La Grèce Septentrionale et les Iles Egées

Après avoir terminé ma tâche en Asie Mineure, au mieux de mes possibilités, je poursuivis via Edirne et Kavalla vers Salonique.  Je profitai de l’occasion pour reprendre l’exploration de la partie grecque de la Macédoine.

C’est en 1952 que j’avais expédié le premier lot de reines grecques en Angleterre.  Grâce à l’American Farm Institute, je pus m’en procurer un nouvel assortiment en provenance de la péninsule de Chalcidique.  Le premier contingent importé en 1952 nous avait donné des résultats extrêmement bons et, au cours des ans, mon appréciation du début touchant la valeur de cette race est restée vive.  De fait, je la considère comme l’une des races les plus précieuses que nous ayons.  Je fus donc enchanté d’avoir l’occasion de me refournir en matériel d’élevage.

En 1952, lors de mes recherches en Grèce et dans le Péloponnèse, j’y avais inclus une visite en Crète.  Déjà alors, je m’étais rendu compte de ce que mon enquête n’aurait pas été complète si je n’explorais pas quelques-unes des îles Egées.  La mer Egée comporte 483 îles et il était clair, d’emblée, que je ne pourrais en visiter que quelques-unes.

Mon premier objectif était l’île d’Ios, à peu près au centre d’un groupe connu sous le nom de Cyclades.  Il paraissait bien probable que les abeilles des autres îles n’accuseraient pas de différence substantielle.

L’île d’Ios, environ 120 km2, compte environ 7000 habitants.  Lors de ma visite, la population, en abeilles, représentait quelque 3000 colonies, dont 550 en ruches modernes.  Ios est très montagneux, et toutes les ruches étaient à la bruyère, sur les hauteurs.  Comme il n’y a pas de routes, il nous fallut enfourcher bourricots ou mulets, seul moyen de transport, une façon lente et pénible de se déplacer.  C’est cependant ainsi que sont véhiculées les ruches, tant modernes que primitives.  Un mulet porte quatre ruches primitives ; l’apiculteur déambulant derrière, à pied, avec une ruche sur l’épaule et une autre ficelée au dos.  Ces pauvres gens des îles ne regardent pas à l’effort, et on n’imaginerait pas un mode de transport plus ardu.

Notre groupe se composait de neuf personnes et, presque tout le long du trajet, il nous fallut aller en file indienne sur nos montures sur la piste traîtresse.  Au lever du jour, je notai d’abord une végétation subtropicale très variée, puis plus haut, ce fut de plus en plus de la bruyère.  Bien que l’Erica verticillata fût fort répandue, je pus observer d’autres variétés que je ne connaissais pas jusque là.  Graduellement nous repérions de-ci de-là un groupe de ruches, abritées dans un creux ou qu’une anfractuosité de roc masquait du vent, sans que jamais il n’y en eût plus de 10 à 20 ensemble.

Les abeilles, ici, appartiennent à la même race que celle de Grèce continentale.  Fort curieusement, je pus observer le même phénomène constaté en Crète, à savoir, à l’occasion, une colonie dotée d’une propension à piquer à l’égal de celles de certaines races d’Orient.  La majorité des colonies avait bon caractère à tout point de vue, autant que celles du continent, chez qui je n’avais jamais rencontré d’exemple de cette irritabilité extrême.  Ces manifestations isolées du pire caractère s’expliquent difficilement, vu qu’aucun signe n’autorisait à l’attribuer à une importation du Proche Orient.

Au retour, je ne m’arrêtai à Athènes que brièvement, jusqu’à ce que le Ministère de l’Agriculture ait fait le nécessaire en vue de ma visite à Samos.  Cette île est célèbre à plus d’un titre, peut-être surtout pour son muscat.  Très fertile, elle s’étend sur quelque 460 km2 et compte 67 500 habitants, elle possède 4855 colonies d’abeilles, dont 3480 en ruches primitives.  L’île suivante par ordre de grandeur, Ikaria, bien que de moitié plus petite, possède 8240 colonies, d’après les chiffres que me fournit le Directeur de l’Agriculture lors de ma visite.  Tant Samos qu’Ikaria sont sous juridiction du Directeur de Vathy Samos.

Sur la base de ces données, la densité en colonies à Ikaria est de plus de 35 colonies par km2, probablement la plus forte qui existe au monde.  Thasos, au nord de l’Egée, plus grande d’un tiers, possède 10 000 colonies et est souvent appelée l’île aux abeilles.  Dans l’une et l’autre île, le miel, principalement de miellat provient d’un pin, Pinus halepensis.  Néanmoins à Ikaria, Erica verticillata intervient à peu près dans la même mesure.  Pour autant que j’aie pu m’en assurer, Ikaria et Thasos, avec la Chalcidique, cette péninsule à la côte Nord de l’Egée, sont les centres les plus importants de l’apiculture en Grèce, et les régions où la production de miel constitue le seul gagne-pain de nombreux apiculteurs.

Les abeilles de Samos et d’Ikaria paraissent être de race anatolienne occidentale.  A peine 1,5 km sépare le point le plus rapproché de Samos du littoral d’Asie Mineure, et moins de 20 km séparent Samos d’Ikaria.

Quand donc je quittai la grand-route, mes pensées étaient tournées vers le passé.  Mais avant d’arriver à Philippi, mon attention fut attirée par un immense entassement de ruches tressées, une superposition de couches alignées.  J’en comptai 400, mais il y en avait bien plus.  Leur disposition régulière témoignait du savoir-faire d’un apiculteur fier de son état.  Les ruches étaient toutes du même modèle et d’une capacité énorme.  Ce rucher était l’œuvre d’un apiculteur particulièrement compétent disposant d’abeilles prolifiques au-delà de la normale.

Capacité mise à part, ces ruches présentaient une autre particularité : les éléments verticaux des corbeilles tressées, dépassaient de 5 bons cm dans le bas, permettant ainsi aux abeilles d’entrer et de sortir ad libitum dans n’importe quelle direction, fournissant en outre une ventilation dépassant de loin ce qui est généralement jugé nécessaire.  La chose était d’autant plus frappante qu’habituellement les apiculteurs, en Grèce, tiennent l’entrée de leurs ruches bien plus étroite que nous ne le faisons généralement ici en Angleterre.

J’appris que ces ruches venaient de l’île de Thasos.  On les amenait ici à cette saison de l’année où il n’y avait rien à récolter dans l’île, alors qu’il y avait de quoi trouver sa subsistance sur le Continent.  La grande quantité de ruches sur un seul emplacement, leur excellent état et la capacité exceptionnelle étaient suggestives de la nature des abeilles et de l’apiculture — dans cette île : j’étais informé maintenant là-dessus.

Ces détails permettent d’apprécier combien l’apiculture, dans les îles de l’Egée, constitue un facteur économique de première importance.  Bien que, dans certaines îles, les abeilles, en somme, ne présentent pas de valeur particulière en vue de l’élevage, leur valeur économique et de production ne fait pas de doute.  Nul ne pourrait trouver son gagne-pain avec des abeilles de qualité inférieure, avant tout ici où l’apiculture primitive est la règle plutôt que l’exception.