La Yougoslavie

Il est généralement reconnu que les formes les plus typiques de A. mellifera carnica se trouvent en Haute Carinthie et dans les deux provinces joignantes de Carinthie et de Styrie.  Dans les pays de langue anglaise, cette race est communément dite carniolienne du fait que les premières importations, jusqu’à 1940, provenaient de la Haute Carniole.  Cependant la distribution géographique de la race dépasse largement les trois provinces citées et, comme nous le savons maintenant, s’étend à toute la Yougoslavie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et la plus grande partie de l’Autriche.  Mais on manque de détails précis.  L’abeille grecque, A. mellifera cecropia, est sans aucun doute une sous variété de la carnica.  D’aspect, les deux races ne diffèrent pas, mais il y a divergence marquée dans leurs caractères physiologiques.  Pour autant que j’aie pu m’en assurer, les abeilles du Nord de la Grèce, surtout celles de la péninsule de Chalcidique et de la bande étroite entre l’Egée et la chaîne du Rhodope comprenant la Thrace tant grecque que turque, doivent leur supériorité à une influence dépendant de l’abeille anatolienne.  Jusqu’où l’influence anatolienne va en Bulgarie, dans la plaine de la Maritza, nous ne le savons pas.  Il y a forcément des variations importantes plus nous nous éloignons des centres principaux d’habitat de la carnica.  En réalité, même dans les limites de la Yougoslavie des variations considérables peuvent être notées, bien qu’extérieurement les abeilles ne diffèrent que peu ou prou de la carnica dans l’acception générale.

Au cours d’une longue tournée en Bosnie, Herzégovine, Monténégro et en Serbie du sud-ouest, j’ai trouvé des abeilles de ces régions plus prolifiques et moins essaimeuses que la vraie carnica.  Par contre, la tendance à propoliser est plus marquée, ainsi que, semble-t-il, celle à subir les atteintes du Nosema.  Et même, ce dernier trait est si accusé que nous ne pourrions rien faire de ces lignées, chez nous, en Angleterre.

Le Banat

Il est fait état, ici et là dans la littérature apicole, d’une sous variété de la carnica trouvée dans le Banat — une région située là où convergent les frontières yougoslave, hongroise et roumaine.  Cette abeille a attiré l’attention, il y a déjà plus d’un siècle.  Néanmoins, à m’en référer à tout ce que j’ai été capable de déceler, cela se borne uniquement à des affirmations touchant l’existence de la dite race, tout détail relatif à ses caractéristiques et à sa valeur économique m’échappant jusqu’ici.  Que cette abeille du Banat ait attiré l’attention il y a plus de cent ans paraissait justifier de plus amples investigations !

Le Banat, situé au sud-est de la frontière hongroise, actuelle, est compris entre le Danube au Sud, le Moros au Nord, la Theiss à l’Ouest et les Alpes de Transylvanie à l’Est.  Il a cessé d’être une entité unique : un tiers est devenu yougoslave et le reste appartient à la Roumanie.

Souvent, j’avais entendu parler des vastes forêts d’acacias de cette région et tandis que je remontais au Nord depuis Skopje, mon regard ne rencontrait que robiniers en fleur.  Si bien qu’en arrivant à Belgrade je ne fus pas surpris de découvrir que les ruches avaient été déménagées vers l’Est, aux frontières de la Roumanie.  La route vers ces forêts avait de quoi désespérer tout automobiliste et, plus d’une fois, il parut que nos efforts pour arriver à notre but seraient vains.  Il nous arrivait de passer des monticules de terre qui, jadis, marquèrent la limite entre les empires chrétien et musulman.  Ces vastes forêts d’acacias sont localisées là où un sol pauvre, sablonneux, ne pourrait servir à rien de bien autrement.  Marie-Thérèse en avait fait faire la plantation; c’était une des rares essences susceptibles d’y prospérer.  Les apiculteurs, maintenant, bénéficient de l’aubaine qu’ils doivent à l’impératrice.

Dès notre arrivée, je pus examiner les ruches à loisir.  Comme elles regorgeaient de miel, ce n’était pas facile, bien, que la remarquable docilité des abeilles permit de travailler sans voile.  L’élevage avait été fortement restreint par l’abondance des rentrées et je ne pus noter aucun signe d’essaimage.  Tout de suite une chose me frappa : l’abeille du Banat est beaucoup plus fortement colorée sur les trois premiers segments dorsaux que ce que j’avais jusqu’ici pu observer chez n’importe quelle lignée de carnica.  La couleur n’est pas ce jaune clair de l’Italienne, mais un jaune tanné ou brun rouille que l’on a coutume d’associer à la race primaire.  Toutefois, chez la vraie carnica, le brun rouille ne ressort qu’occasionnellement et jamais aussi marqué que chez la banate.  Il y a du reste pas mal de diversité chez la banate et parfois la couleur pourrait se dire jaune.  Le scutellum des ouvrières varie du jaune au brun; le pelage est brun clair et les tomenta gris avec une touche de jaune.

Nous ignorons l’origine de cette variété.  Comme déjà mentionné, on disait la banate une race distincte, et ce bien avant que n’aient lieu sur une grande échelle des échanges de reines entre régions fort distantes l’une de l’autre.  De fait la ruche moderne venait tout juste d’être inventée et jusque là tout échange de reines était pratiquement impossible.  Les immigrants de Marie-Thérèse provenaient de parties de l’Europe où seule l’abeille noire était connue.  Cette abeille semble avoir été, de quelque façon qu’on regarde les choses, une bizarrerie de la Nature, due au hasard qui a fait une combinaison où interviennent des facteurs constitutifs du façonnement génétique de la carnica.  Ce sont ceux-ci qui se manifestent par spasmes dans la coloration brun rouille qui donne tant de souci aux éleveurs de notre temps, à la poursuite de l’uniformité parfaite.  Le fait que cette abeille ait été capable d’affirmer et de maintenir son individualité distinctive au cœur même de l’habitat de cette autre race qui lui est apparentée, est certes un phénomène remarquable.

Couleur mise à part, nous n’avons pas d’information précise jusqu’ici touchant les caractères en quoi cette variété diffère de Banat mais le temps nous a manqué pour tirer des conclusions au sujet des mérites respectifs de cette sous variété et de la carnica que nous connaissons, l’une par rapport à l’autre.

Il me faut exprimer ma gratitude au président et au secrétaire de l’Association des Apiculteurs Yougoslaves, dont l’aide m’a permis de réaliser cette partie de mes recherches. 

Quittant Belgrade pour l’Angleterre, j’y arrivai vers la fin de juin, à temps pour me permettre de participer aux principaux travaux de la saison.  Me laissant du temps pour compléter les derniers préparatifs du voyage en Egypte, prévu pour l’automne.