Belg.Apic. 25(7) 1961 p196-199
À ce propos, le Frère Adam a publié, début des années 50, un très intéressant article où il expose son opinion sur la délicate introduction des reines.
Le changement général des reines est effectué, chez nous, en mars pour la raison qu’à cette date, il nécessite un minimum de travail et ne produit aucune diminution indésirable de la force de la population, ce qui ne serait pas le cas si cette opération avait lieu en été.
Une reine atteint sa pleine formation et sa plus grande productivité dans l’année suivant sa naissance. Vraisemblablement, son plein potentiel de ponte n’est pas acquis dès l’été au cours duquel elle est née. Cette affirmation soulèvera peut-être des doutes. Mais notre exploitation avec ses ruches spacieuses et sa miellée tardive d’automne nous apporte toujours la preuve de son exactitude. L’introduction, à cette époque de l’année, d’une reine préalablement éprouvée et qui, de plus, se trouve dans la pleine force de sa jeunesse, exige avant tout le développement de la population depuis le printemps.
Je ne voudrais pas laisser l’impression que nous ne renouvelons les reines qu’au mois de mars. Certes, elles le sont en général à cette saison. Mais pour certaines ruches, la nouvelle reine ne leur sera donnée qu’au moment où cela apparaîtra nécessaire. En cas de besoin, quand notre réserve de reines de l’été précédent est épuisée; nous sommes contraints d’utiliser des reines nouvellement fécondées, malgré les difficultés d’introduction. Au cours de ma carrière d’apiculteur, j’ai fait l’essai de toutes les méthodes connues d’introduction des reines; aucune ne m’a donné toute garantie de sécurité et ce sont précisément des reines récemment fécondées qui sont généralement vendues et introduites, malgré les grandes pertes éprouvées.
De nouvelles recherches ont confirmé l’exactitude de la théorie que j’avais primitivement avancée. On cite souvent la haine de races comme cause d’échecs dans l’admission d’une nouvelle reine; pour ma part, je n’en ai jamais eu la preuve. Mais il n’est pas douteux que les jeunes reines de certaines races se montrent plus nerveuses et provoquent ainsi plus aisément une attitude hostile des abeilles en sorte qu’elles courent le risque, à tout moment, d’être tuées par elles. En fait, ceci est une preuve complémentaire de l’exactitude de mon opinion en cette matière.
En résumé, l’acceptation d’une nouvelle reine ne dépend pas tant d’une odeur, mais de son comportement. Une reine complètement formée, en ponte depuis un certain temps, se montre plus tranquille; elle peut être introduite en toute sécurité, sans qu’il soit nécessaire de recourir à toutes les précautions préalables qui ont été jusqu’à présent, jugées indispensables. L’ouverture de la ruche peut, toutefois, mettre sa vie en danger. Mais peu de semaines suffisent à modifier radicalement son comportement; sa démarche sera moins rapide, plus pondérée, plus digne d’une matrone; ses réactions seront plus calmes, plus mesurées. Après quatre semaines de ponte, elle atteindra sa pleine maturité, sinon son maximum de ponte, qui ne se produira qu’au cours de l’année suivante, comme je l’ai déjà dit. Le délai de quatre semaines, que j’indique pour sa maturité, doit être quelque peu allongé pour les reines qui sont nerveuses de naissance, par suite de leur race, ainsi que pour certaines reines bâtardes; mais d’après mon expérience, ce retard ne dépasse pas deux mois dans les cas extrêmes.
Un procédé d’introduction de reines donnant toute garantie de sécurité est d’une nécessité absolue pour toute exploitation apicole.
Par l’opération complète de renouvellement, les deux tiers de nos ruches de rapport sont dotées d’une jeune reine. Les meilleures des reines de deux ans sont laissées provisoirement à leur peuple et, au début de mai, plusieurs d’entre elles sont livrées à des instituts, sociétés ou éleveurs professionnels en vue de la reproduction.
Après égalisation, nos colonies couvrent, fin mars habituellement, sept cadres Dadant. Le taux moyen de leur croissance dépend plus ou moins des conditions de la récolte sur la bruyère au cours de l’automne précèdent. Lors des années de miellée totalement déficitaires, on peut prévoir le prochain effondrement du chiffre de la population ainsi qu’il en fut en 1947, année au cours de laquelle nos ruches, après égalisation, avaient à peine quatre cadres d’abeilles. D’ailleurs, il n’est pas désirable que la population s’accroisse au maximum à cette époque de l’année, car nous n’avons pas de miellée notable au printemps. Une ruchée de moyenne force à cette saison aura un développement meilleur pour atteindre son maximum au moment de la grande miellée.
Tout apiculteur expérimenté sait que souvent un nucleus de l’année précédente se développe mieux et donne une meilleure récolte qu’une ruche qui est trop populeuse dès le début du printemps.
Après l’égalisation des populations et le renouvellement des reines, nous ne touchons plus aux ruches jusqu’à la mi-avril. Si le temps est défavorable, elles sont maintenues sur un nombre limité de cadres. Dans le cas contraire, on ajoute un cadre et dix jours après, un deuxième. L’élargissement est ainsi poursuivi graduellement jusqu’à la fin de mai ou le début de juin, date à laquelle chaque ruche dispose de son plein de douze grands cadres.
Chaque population doit bâtir chaque année un minimum de trois cadres; ils sont toujours placés du côté extérieur, près de la partition ou de la paroi de la ruche. Nous n’exerçons aucune contrainte sur les abeilles qui doivent spontanément en entreprendre la bâtisse. Sauf rare exception et passagèrement, nous ne plaçons jamais le cadre de cire gaufrée au milieu des autres cadres, pas plus que nous ne procédons à une limitation ou une translation de couvain ainsi que cela se pratiquait autrefois en Angleterre.
J’ai dit, tantôt, que nous ne plaçons les cadres à bâtir au milieu des autres qu’à titre exceptionnel. Normalement, ils sont suspendus aux côtés des cadres garnis de couvain; ce placement peut être effectué à tout moment sans trouble dans le développement de la population et sans inconvénient pour la cire bâtie. Chacun sait ce qu’il arrive lorsque, en absence de miellée, les cadres de cire sont introduits au milieu du couvain. D’ailleurs, l’exploitant d’un grand rucher n’a pas la possibilité de donner les cadres à bâtir au moment le plus favorable pour chacune de ses ruches; aussi les place-t-il sur les côtés dès qu’il en a le loisir. Ainsi les abeilles pourront y accéder et les bâtir à volonté et ces cadres seront mieux construits. Mais il n’en est pas toujours ainsi avec des abeilles de race bâtarde. Elles gâcheront les cadres placés à la périphérie du nid à couvain en y établissant des cellules de mâles en trop grand nombre; par contre, si ces cadres sont suspendus entre les cadres de couvain, ils seront très bien bâtis en cellules d’ouvrières. Aussitôt qu’ils seront achevés, il faudra les transposer sur les côtés de la ruche, ce qui nécessitera un surcroît de travail. Mais, avec les abeilles bâtardes, c’est la seule possibilité.
D’après ce que nous avons dit précédemment, maints de mes auditeurs auront deviné que, chez nous, il n’est pas question de nourrissement stimulant. C’est exact. Dans le temps, ce nourrissement était considéré comme indispensable; on commençait très tôt à le fournir : dès la Noël, chaque population recevait sa petite boîte de « candi », sucre en pâte d’une confection spéciale. Des compléments de une à deux livres se succédaient jusqu’à la fin de février. A cette date, on donnait chaque soir du sirop de sucre chaud en petites doses. J’ai aussi pratiqué ce sport. Aujourd’hui, il n’en est plus question, sauf en cas de nécessité absolue. Je n’y recours d’ailleurs qu’à mon corps défendant. Le nourrissement administré en avril ou mai provoque la construction en excès de cellules de mâles et l’élevage de faux-bourdons.
Cela n’empêche que, parfois, il faut bien y recourir au cours des années de disette où le nourrissement s’impose pour garder les populations en vie.
Nos ruches reçoivent leur première hausse à la mi-mai, au temps de la floraison des pommiers, donc avant que le nid à couvain contienne le nombre plein de ses cadres. Si nous attendions le moment où toutes nos ruches auraient leurs douze cadres, une tendance à l’essaimage apparaîtrait dès la fin de mai. Par contre, en plaçant une hausse dès que les abeilles couvrent neuf cadres, le développement de la population se poursuit sans interruption.
Nous utilisons des grilles à reine de fabrication particulièrement solide. Auparavant, pendant de nombreuses années, nous ne faisions pas usage de grilles; mais nous avons constaté qu’elles présentaient plus d’avantages que d’inconvénients.
Comme nous l’avons dit, chaque ruchée doit construire, au cours de l’année, un minimum de trois grands cadres de cire gaufrée. La première hausse est, si possible, garnie de quelques cadres bâtis, à défaut avec toute cire gaufrée. Nous estimons que les abeilles doivent beaucoup bâtir. Le renouvellement périodique de la cire des cadres du bas des ruches est d’une nécessité absolue pour la prévention des maladies des abeilles.
Notre méthode exige une surveillance sévère des ruches de rapport pendant la période de croissance de la population et le temps de l’essaimage. Depuis la fin mars jusqu’à la fin de juin, il ne se passe pas deux semaines sans que je prenne le pouls du degré de développement de la colonie. Ce contrôle périodique est indispensable pour vérifier les qualités de ponte de chaque reine. Au cas où l’une d’elles ne satisfait pas à nos exigences, elle est remplacée sans pitié.
Pendant la période d’essaimage, la visite des ruches est opérée chaque semaine. Depuis la fin de juillet, après l’enlèvement des deux cadres de cire bâtis, plus aucune inspection n’est effectuée jusqu’au moment du dernier contrôle avant la mise en hivernage. Sauf au temps d’essaimage, une visite de ruche ne dure pas plus de quelques minutes : un regard sur les deux ou trois premiers cadres de couvain suffit, le plus souvent, pour nous donner les indications nécessaires.