publié en français
par Payot, Paris, 1951. épuisé. |
par le Docteur Maurice MATHIS de l'Institut Pasteur de Tunis |
Au cours de la belle saison, les abeilles mettent en réserve, sous forme de miel operculé, le surplus du nectar rapporté dans la ruche. Les quantités de miel ainsi mises en réserve sont très variables d’une colonie à l’autre et variables au cours des différentes années. Quel est le rôle de ce miel dans l’économie de la ruche ? La croyance commune est que ce miel servira de nourriture aux abeilles pendant la mauvaise saison hivernale. Cette croyance n’est pas tout à fait exacte. Les abeilles présentent une « diapause hivernale » qui les dispense de se nourrir, le miel ne serait alors qu’un aliment énergétique consommé en très petite quantité pour assurer les pertes calorifiques de la ruche. La consommation hivernale du mois d’octobre au milieu de février est d’environ 4 à 5 kg par colonie dans la région parisienne, mais, dans les semaines qui vont suivre les premiers beaux jours, cette consommation va augmenter d’une manière considérable. En effet, à ce moment, les abeilles passent du repos hivernal à l’activité printanière et, avec le premier pollen récolté, elles vont élever un grand nombre de jeunes. La chaleur influence directement la reine, qui reprend sa ponte interrompue par les premiers froids ; le miel joue alors le rôle de réserve pour cet élevage de jeunes. Plus importante a été la quantité de miel récolté au cours de la belle saison précédente, plus les abeilles élèveront de jeunes et formeront une colonie puissante dès l’apparition des grandes miellées, et à ce moment la colonie jettera de nombreux et gros essaims. Donc, enlever trop de miel aux abeilles c’est les empêcher de se multiplier, d’où l’expression latine « castrare » pour désigner la récolte de miel. Une expression identique s’est conservée dans le Berry, on dit que le mouchier « coupe la mouche » quand il fait la récolte de miel.
L’exploitation des abeilles doit tenir compte de ce rôle essentiel du miel dans la biologie des abeilles. On ne peut donc pas en même temps récolter du miel dans une colonie et la multiplier, soit par essaimage naturel, soit par division artificielle. Si l’on veut obtenir une quantité déterminée de miel, on doit chercher à obtenir cette quantité par un nombre correspondant de colonies et non par des prélèvements intempestifs, qui auront pour résultat final la disparition progressive, mais certaine, de toutes les abeilles. On doit toujours avoir à l’esprit que chaque kilo de miel enlevé à un rucher correspond à un nombre d’abeilles déterminé qui n’existera pas pour la récolte au printemps suivant.
Avec les ruches à cadres du type Dadant-Blatt ou Langstroth, l’apiculteur devra laisser à ses colonies une quantité de miel suffisante, non seulement pour passer l’hiver, mais surtout pour pouvoir se multiplier au printemps. L’impossibilité dans laquelle on s’est trouvé au cours de ces dernières années de trouver des essaims à acheter - même à prix exorbitant - provient de récoltes massives opérées dans toutes les colonies, en raison de la pénurie des matières sucrées. L’apiculteur tuait en quelque sorte la poule aux œufs d’or.
Quelle est la quantité de miel que l’on doit laisser aux abeilles ? La réponse est variable suivant la région considérée, la longueur de l’hiver, l’importance et la succession des miellées. Nous répondrons : « Tant que vous n’avez pas atteint le nombre de ruches que vous désirez exploiter, il faut tout laisser ; à partir de ce moment, vous laisserez aux abeilles en moyenne de 20 à 25 kg de miel par colonie. »
Si le miel joue un rôle important en hiver, son rôle n’est pas négligeable en été. A ce moment, en effet, la chaleur et la sécheresse tendent à augmenter la température intérieure de la ruche, les gâteaux remplis de miel serviront par leur masse de « volant de température », s’échauffant très lentement pendant la journée pour rendre la nuit la chaleur accumulée. Les abeilles luttent elles-mêmes d’une manière active en ventilant, mais pour cette ventilation, il leur faut un carburant qui est le miel. Si l’on enlève donc tout le miel d’une colonie aux approches de l’été, sous prétexte que les abeilles n’ont pas froid, on leur enlève tout moyen de défense. Dans les pays tempérés aux étés relativement courts, le rôle du miel est réduit, mais il prend une importance capitale dans les pays chauds et secs comme la Tunisie.
En résumé, le miel fait partie intégrante d’une colonie d’abeilles, et, sous aucun prétexte et dans aucun cas, il ne doit manquer complètement. Une bonne précaution et que nous conseillons vivement d’observer c’est de donner aux abeilles, dès l’établissement de l’essaim, après la ponte de la reine, une certaine quantité de miel, par petites doses répétées tous les soirs. Avec quelques kilos de miel, acquis sans effort l’essaim deviendra plus robuste et sera à même de passer convenablement son premier hiver.
Le miel joue également le rôle d’un volant pour l’élevage des larves au cas d’un arrêt subit de la miellée. On sera étonné à ce moment de la consommation énorme qui se fait dans la ruche. Des miellées mêmes importantes, séparées par des périodes de sécheresse ne produisent en définitive que des récoltes dérisoires, c’est ce qui arrive malheureusement trop souvent sous nos climats. Pour que la récolte soit bonne, il faut donc une miellée continue pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois d’où la pratique de la transhumance des ruches ou « pastorale » que nous traiterons au chapitre suivant.
Le nourrissement artificiel des abeilles est une pratique très ancienne et encore couramment utilisée. En quoi consiste-t-il ? A quoi correspond-t-il ?
Dans la majorité des cas, il consiste à donner aux abeilles des plaques de sucre que l’on pose au-dessus des rayons pour aider les abeilles à passer des hivers longs et rigoureux. Nous déconseillons cette pratique, il vaut mieux laisser aux abeilles des provisions suffisantes de miel à l’automne que de courir le risque de les voir périr en hiver ou au début du printemps, et de se donner beaucoup de mal à subvenir tardivement à leur besoin. Personne ne peut prévoir la durée de l’hiver et les intempéries d’un printemps tardif ; il vaut donc mieux laisser trop que pas assez, nous renvoyons le lecteur au chapitre précédent.
La distribution de miel ou de sirop de sucre au printemps dès que les abeilles commencent à sortir et rapportent du pollen, est une pratique courante connue sous le nom de « nourrissement stimulant ou spéculatif ». L’idée de pousser le développement du couvain avant la grande floraison pour que la colonie ait à ce moment un grand nombre de butineuses est excellente et parfaitement rationnelle. Les plants de certains primeurs sont mis dans des serres chauffées dès la fin de l’hiver pour être repiqués en pleine terre avec les beaux jours. A partir du moment où l’on veut exploiter les abeilles comme un animal domestique, il faut en quelque sorte les pousser artificiellement. Quelles sont les modalités de ce nourrissement ? Et pourquoi les avis sont-ils si partagés ? Pour une raison bien simple, ce nourrissement est souvent donné à contretemps, d’où le terme de « spéculatif ». Il faut en effet récolter une quantité de miel supérieure à celle que l’on récolterait sans nourrissement, et ce n’est ’pas toujours le cas.
Le nourrissement stimulant doit être commencé à une date qui est essentiellement variable d’une année à l’autre pour la même région, et tout à fait différente pour des régions éloignées. L’apiculteur se guidera d’abord sur le comportement des abeilles et sur la connaissance exacte des floraisons de sa localité. On doit savoir sur quoi les abeilles récolteront lorsque le nourrissement cessera.
Prenons le cas de la région parisienne avec la floraison des marronniers d’Inde qui débute aux alentours de la mi-avril. On commencera le nourrissement vers le 15 mars, après que les abeilles par leur activité et les apports massifs de pollen nous ont renseignés sur leur élevage naturel de couvain. A partir de ce moment, on distribuera tous les soirs, ou tous les deux soirs, aux colonies les plus puissantes un sirop épais de sucre mélangé à un peu de miel liquide. Les quantités de sirop ainsi distribuées doivent être suffisantes pour activer l’élevage des larves, mais insuffisantes pour être mis en réserve sous forme de miel operculé. Selon les colonies les quantités distribuées varieront de 200 à 500 cc. On cessera le nourrissement dès la pleine floraison, quitte à le prolonger de quelques jours s’il survient une période de froid et de pluie. L’opération aura pleinement réussie si l’on parvient à posséder de nombreuses et jeunes abeilles exactement au moment où elles auront de grosses récoltes à faire.
On voit que le nourrissement est une opération délicate et qui ne peut être bien menée que par un apiculteur expérimenté. Il ne s’agit pas en effet de nourrir des colonies et de les sauver de la famine, mais d’obtenir que les abeilles transforment du sirop en jeunes abeilles, prêtes pour la récolte.
Dans certaines régions, entre la floraison du printemps et celle d’automne, il existe une période creuse, pendant laquelle les abeilles n’ont rien à butiner; les apiculteurs qui connaissent ces particularités pratiquent alors « le nourrissement d’été » en vue de la deuxième récolte.
Une excellente pratique consiste après la dernière récolte, quelques semaines avant les grands froids, à compléter les réserves des abeilles par une distribution massive de sirop de sucre tiède. A l’inverse du nourrissement stimulant qui doit se faire par petites quantités répétées, le nourrissement d’automne sera massif et complet en une ou deux fois. On distribuera de 4 à 5 litres à quelques jours d’intervalle. Cet apport massif sera immédiatement mis dans les cellules et servira aux abeilles à se préparer au repos hivernal ; par ailleurs, il complétera les provisions d’hiver dans le cas où elles auraient été sous-estimées.
Le nourrissement des abeilles par les distributions de sirop de sucre que nous venons d’indiquer n’est possible que pour quelques colonies, il deviendrait trop onéreux pour un gros rucher. Les apiculteurs ont donc imaginé et depuis les temps les plus reculés à déplacer leurs colonies au cours des différentes saisons de l’année pour les faire bénéficier de plusieurs floraisons. Réaumur signale que les Anciens Egyptiens déplaçaient leurs ruches en bateau en leur faisant descendre le cours du Nil. Les abeilles profitaient ainsi d’une succession ininterrompue de miellées.
Réaumur signale également qu’à son époque les apiculteurs du Gâtinais avaient l’habitude de déplacer leurs ruches, soit en Sologne les années sèches, soit en Beauce les années humides.
Dans la région des Landes, on transporte les abeilles dans les bois d’acacias au printemps pour les ramener à la bruyère le reste de la saison.
Dans la région du Var et des Alpes Maritimes, les ruches parcourent un véritable circuit : après avoir passé l’hiver sur la côte près de la mer, elles sont transportées à l’intérieur pour la floraison du romarin, puis au cœur de l’été, elles sont montées dans les champs de lavandes.
En Australie, les ruches sont constamment déplacées, suivant exactement les floraisons des différentes variétés d’eucalyptus. Nous ne citerons que pour mémoire l’Amérique qui a porté cette technique à un grand degré de perfectionnement. Il faut savoir qu’un déplacement en altitude de quelques centaines de mètres est souvent beaucoup plus avantageux qu’un parcours en plaine de plusieurs dizaines de kilomètres.
Quoi qu’il en soit la transhumance ou pastorale est la seule méthode véritablement intéressante à employer pour les ruchers industriels. Ces transports présentaient jadis de grandes difficultés, surtout lorsque les distances étaient un peu longues et qu’on ne pouvait employer que des chevaux ou des mulets, animaux extrêmement sensibles aux piqûres des abeilles. Avec les moyens mécaniques le transport devient un jeu d’enfant, nous n’insisterons pas outre mesure.
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